L'humain au centre de l'action future

«La Vallée des loups», film le plus cher de l'histoire du cinéma turc

25 Février 2006 À 13:15

Le film turc sur la guerre en Irak «La Vallée des loups», décrié comme antiaméricain et antisémite, séduit la communauté turque d'Allemagne, alors qu'une partie de la classe politique allemande redoute qu'il ne vienne renforcer le fossé entre Occidentaux et Musulmans.

«Kurtlar vadisi» raconte comment le jeune Turc Polat se rend au Kurdistan irakien pour éliminer un capitaine américain, Sam, qui avait trahi un ami officier de l'armée turque. Quelques minutes suffisent pour repérer les «bons», les Turcs rangés bon gré mal gré du côté des Américains, mais tirant -presque- toujours de face, et les «méchants», les «Amis» qui mitraillent les enfants et bombardent les mosquées.

Le capitaine Sam est particulièrement tourné en ridicule : la plupart du temps un chewing-gum dans la bouche, il s'est fait livrer un piano à queue blanc dans son quartier général.

On le surprend à prier dans ses moments de doute au pied d'un crucifix. Derrière son bureau est accrochée une reproduction de la Cène.

Le film, qui regorge de violence sanguignolante, s'attarde aussi sur un médecin juif prélevant des organes sur des détenus de la prison d'Abou Ghraïb à des fins de transplantation. Au passage, le réalisateur Serdar Akar en profite pour dénoncer, plus sobrement, la torture dans cette prison.

«La vallée des loups»--film le plus cher de l'histoire du cinéma turc avec un budget de 8,4 millions d'euros-- est tiré d'une histoire vraie, l'arrestation le 4 juillet 2003 par des GI's de 11 militaires turcs en raison d'"activités suspectes" dans la ville kurde irakienne de Souleymaniye (nord), et dont les têtes ont été recouvertes de sacs de jute.

Hymne à la nation turque, mais surtout pamphlet, un peu confus, contre la guerre, «La vallée des loups» a déjà attiré depuis deux semaines plus de 200.000 spectateurs en Allemagne, qui compte la plus grosse communauté turque d'Europe.

Dans les quelques cinémas de Berlin où le film est joué, les séances ne désemplissent pas, mais ce ne sont pas des festivals d'applaudissements à chaque soldat américain qui tombe ou d'exclamations «Allah est grand» comme veulent le faire croire certains hommes politiques allemands. «C'est comme un Rambo turc! Et après tout, pourquoi ce serait toujours les Américains qui gagneraient?», dit Haydar Sögüt, 34 ans.

«Je pense que le film reflète assez bien la réalité même s'il est parfois exagéré», affirme Ibrahim Yadikar, 18 ans.

Kenan Kolat, président de la Communauté turque en Allemagne, principale association représentative, estime qu'«une démocratie doit tolérer des films qui ne lui plaisent pas». Mais pour Edmund Stoiber, président de l'Union chrétienne-sociale (CSU), la branche bavaroise du parti de la chancelière Angela Merkel, «ce film irresponsable ne développe pas l'intégration mais cultive la haine et la défiance à l'égard de l'Occident». Il a demandé que l'on retire le film des programmations. Plusieurs cinémas ont déjà choisi de ne pas renouveler l'exploitation.

Markus Söder, secrétaire général de la CSU, y voit un obstacle à la candidature de la Turquie à l'Union européenne.

Une intransigeance qui déplaît même à droite, dans le camp libéral: M. Stoiber et les autres se comportent "comme les régimes des pays arabes qui s'en prennent à la liberté de presse et d'expression", estime la députée européenne libérale Silvana Koch-Mehrin. Le distributeur du film, Anil Sahin, lie le débat autour du film à la querelle autour des caricatures du prophète Mahomet dans les journaux occidentaux, qui a suscité des manifestations violentes dans le monde musulman.

Selon lui, «il y a là quelque chose qui ne va pas. Quand un caricaturiste offense deux milliards de musulmans, c'est de la liberté d'expression, quand un film d'action prend un Américain pour cible, c'est de l'incitation à la haine».
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