A Fès nord, les deux candidats ont ravi la vedette aux autres >A Fès nord, l'une des deux circonscriptions de la capitale spirituelle comptant chacune quatre sièges et 200.000 votants potentiels, la campagne sort du lot. Elle met en confrontation
LE MATIN
04 Septembre 2007
À 16:21
Clash entre un puissant maire de la ville, qui a su faire tomber de son piédestal le monstre syndical Abderrazak Afilal et le député de Fès médina, deuxième homme du PJD, dont certains lui reconnaissent le rôle de véritable meneur du jeu au parti.
Le Premier est l'instiqlalien Hamid Chabat, redoutable tacticien au regard sûr, le second n'est autre que l'homme vif au menton finement rasé, Lahcen Daoudi, véritable machine du verbe au Parti de la justice et du développement.
Deux formations politiques aux idéologies voisines, historiquement basées sur le référentiel religieux, mais ô combien différentes dans leurs déclinaisons politiciennes. Les deux candidats au Parlement ont pratiquement ravi la vedette aux autres, toutes obédiences partisanes confondues. «Si les autres formations n'ont pas 6%, il y a de fortes chances que les sièges soient partagés entre le PJD et l'Istiqlal», indique Daoudi.
Il est vrai que les autres partis, même l'USFP, le RNI ou le PPS manquent de punch face à la déferlante istiqlalienne et à la discipline de fer du PJD. Entre ces derniers, c'est à fleurets mouchetés que la bataille est engagée. La chaleur accablante qui sévit à Fès a mis les nerfs de leurs candidats à rude épreuve, eux qui doivent constamment garder la tête froide. Depuis le début de la campagne, les deux rivaux s'observent, chacun guettant les failles de l'autre. N'eut été la forte présence des autorités, les choses auraient tourné autrement.
Mais, cette présence est différemment 111prétée par les deux candidats. Daoudi y trouve une initiative louable de l'Etat qui a su dissuader évitant ainsi des incidents pouvant nuire à la bonne marche de la campagne. Pour Chabat, elle sert à protéger son rival contre les Fassis qui ne le portent pas dans leurs cœurs.
Des CDs pour convaincre
Il est 17h, vendredi dernier au quartier Benslimane, l'un des plus difficiles, mais convoité pour sa densité démographique. Lahcen Daoudi a enfilé ses espadrilles avant d'attaquer les ruelles sinueuses du quartier surplombant la ville. Entouré de deux gardes du corps qui le suivent comme son ombre, il tient à saluer presque tout le monde, commerçants, jeunes oisifs qui trouvent dans le spectacle de la campagne une courte distraction et même les personnes, blottis sur les terrasses plus aérées des cafés.
La manif est bien organisée, les slogans parfaitement synchronisés. Quant aux passants, ils répondent automatiquement au V de victoire que les militants PJD leur adressent. Fait marquant : L. Daoudi est harcelé par les appels des journalistes étrangers qui s'intéressent de près aux chances du parti et à la manière dont il mène sa campagne. Les poignées de main du candidat de la lampe sont franches, comme pour montrer sa fermeté. «Les Marocains n'aiment pas les candidats faibles», nous déclarera-t-il plus tard.
Et pour mieux le montrer, il distribue aux habitants des CD qui synthétisent ses virulentes 111ventions au Parlement et à l'émission politique Hiwar. «J'ai innové. J'en distribue 4.000 exemplaires par jour durant les deux semaines de campagne», tient-il à expliquer. Cette technique n'est pourtant pas le seul apanage du candidat PJD. H. Chabat met la barre plus haut. «Nous allons finir par distribuer 200.000 CD durant la campagne. Ils contiennent toutes les réalisations que la ville a connues depuis 2003 et pas des paroles en l'air ressassées au Parlement ou à la télévision», glisse-t-il.
Question d'argent
La progression des militants PJD continue dans les rues du quartier Benslimane. Il y a presque autant de jeunes filles que de garçons, qui crient à tue-tête des slogans du genre «wa 3la zaman, cheffar fel barlaman (quel temps, le voleur au Parlement), ou d'autres, incriminant la hausse de la TVA ou encore la cherté de l'eau et de l'électricité. Pourtant L. Daoudi a été catégorique : «il est hors de question que je donne des promesses d'ordre local dans ma campagne. Les communales, c'est pour 2009». Sur ce registre, son challenger istiqlalien ne se gêne pas.
Il est partant pour les deux options : «Nous sommes les seuls à avoir un programme 110nal et un autre local à Fès», indique-t-il. Pour lui, Daoudi n'est pas un sérieux concurrent. «D'abord par son absence de la ville durant les cinq années de son mandat comme député de Fès médina.
Le pire, c'est qu'il a commencé sa campagne par des mensonges. Il n'arrête pas de dire aux habitants de Fès nord qu'il est pauvre et qu'il loue un petit appartement comme la plupart d'entre eux», dit H. Chabat. Et d'enfoncer le clou, «La réalité, c'est qu'il est l'homme le plus riche de la ville avec son compte bien garni en banque, grâce aux contrats juteux que son cabinet d'étude décroche. Il dit aux Fassis que s'ils votent pour le PJD, ils voteront pour l'islam, comme si les candidats des autres partis n'étaient pas musulmans». De son côté, Daoudi ne ménage pas son concurrent : «Le risque avec Chabat, c'est l'usage de l'argent.
Le test, sont les quartiers huppés de la ville où les gens n'ont pas besoin d'être soudoyés pour donner leur voix. Là, le PJD raflera facilement la mise». Quant à l'Islam comme argument électoral, Daoudi nuance. «Le langage islamique, nous l'utilisons uniquement avec des gens dont le niveau intellectuel ne permet pas des discussions de fonds sur le chômage, la corruption, les projets, la fiscalité…». Toutefois, ce qu'il redoute le plus, c'est la roulotte au jour du scrutin. Elle consiste à utiliser le même bulletin pour voter plusieurs fois pour la même liste.
Là, le rôle du chef du bureau de vote est primordial. Il doit s'assurer que le bulletin n'est pas contrefait. «Nous avons demandé à ce qu'il n'y ait que des enseignants dans les bureaux de vote, mais hélas, la majorité seront des fonctionnaires communaux», regrette-t-il.
Quartiers difficiles
Samedi 1er septembre à midi. Le soleil est à son zénith. Nous nous trouvons avec le maire de Fès dans une de ces nombreuses maisons qui menacent ruines dans Kasbah al Anouar, dans l'ancienne médina. Ici, les murs sont soutenus par des échafaudages en bois. A l'intérieur, ces piliers encombrants grignotent de l'espace de la maison et donnent un sentiment d'imminent danger. «C'est Lahcen Daoudi qui a représenté au Parlement pendant cinq ans cette partie de la ville.
Durant toute cette période, il n'a jamais mis les pieds ici. Ce sont l'agence de sauvegarde de l'ancienne médina, la commune et le ministère du Logement et de l'Urbanisme qui ont réalisé les armatures. S'il a du courage, qu'il vienne faire campagne à la Kasbah», tonne Chabat. Ces armatures, on en trouve à tout bout de champ dans ces ruelles tortueuses où à vue d'œil on peut remarquer des logements qui semblent s'effriter lentement.
Tout au long de la discussion avec Chabat dans ce décor désolant, les militants resserrés les uns contre les autres se bousculent pour vanter ses mérites et décocher des flèches aux autres candidats, principalement à Daoudi.
Plusieurs se présentent comme ayant milité au sein du PJD avant de le quitter pour intégrer le camp du maire. Un ancien militant aigri du parti de Saad Eddine Othmani, ayant gardé sa barbe intacte, a accusé Daoudi d'avoir pris sa place lors des dernières élections. Contrairement au PJD, la campagne du maire est spontanée. Outre les militants, les habitants s'y joignent, surtout les femmes, qui ne cachent pas leur sympathie pour le maire. ----------------------------------------------
Les deux facettes de Fès
Fès a changé. La ville est plus affable qu'il y a trois ans. Les jardins sont régulièrement entretenus, les immeubles aux belles façades poussent partout et les nombreux ronds-points des grandes artères rivalisent en beauté. Hamid Chabat s'enorgueillit d'avoir pu «en cinq ans seulement, faire venir, le groupe immobilier Addoha, la CDG, le groupe Eâmar...
le prix du ciment a flambé, celui de la main d'œuvre aussi». Pour lui, le budget de fonctionnement de sa commune est passé de 280 millions de dirhams en 2003 à 420 MDH. Quant au budget d'investissement, la ville s'était longtemps contentée de 30 MDH par an, pour grimper à 400 MDH. Et le maire d'ajouter que sa commune a pu revaloriser le foncier. L'exemple du terrain Annakhil, dont la superficie est de 32 hectares, est éloquent.
Il a été cédé en 2003 à 40 MDH. Un mois plus tard, il a été repris par la commune. «Nous en avons cédé 11 hectares seulement contre la bagatelle de 800 MDH», indique Chabat. Autre son de cloches chez Daoudi, qui estime que «l'on a tué les villes intérieures en éliminant le code d'investissement». Et d'ajouter qu'à Fès, plusieurs sociétés ont baissé le rideau. Rien qu'en 2005, 5.000 personnes ont perdu leur emploi. «J'ai proposé que Fès et Meknès aient comme débouché maritime le port de Kénitra. Mais encore faut-il que ce dernier soit réaménagé».