riez, c'est un ordre !
Les sitcom, c'est extraordinaire. C'est tellement distrayant et gai. On en est reconnaissant à la télé. Ca ne passe qu'à la télé.
On passe de bons moments devant. En famille. Les sitcom, c'est fait pour les familles. C'est pudique. On ne peut pas craindre un hic. Mais, voilà, par moment, c'est déroutant. Complexant.
Peut-on imaginer une seule de ces séries tragi-comiques, nées aux Etats-Unis, imitées en Europe et reprises ailleurs, qui déferlent sur notre petit écran, sans l'intervention de ces «animateurs»' hilares, hommes et femmes invisibles, qui nous guident, nous orientent, nous poussent à partager la gaieté de ces scènes amusantes, humoristiques, rigolotes, drôles, cocasses, burlesques et désopilantes ? Peut-on imaginer une seule de ces séries sans ces adorables animateurs qui nous extirpent, malgré nous, un rire, un sourire ou, a défaut, une grimace ? Les sitcom, il y a de tout genre et de toutes nationalités. Des américaines, des françaises, des égyptiennes et d'autres, de toutes nationalités. Il y a même des nationales, des sitcom bien de chez nous.
Ca fait plaisir de les regarder. On y entend ces spectateurs invisibles, qui expriment leur hilarité avec de grands éclats de rires. Des rires qui viennent de loin.
D'Amérique, d'Europe ou du Moyen-Orient. C'est un moment de gaieté qu'on partage avec des peuples étrangers, même si on ne les voit pas. L'humour, la gaieté c'est ce qui doit unir l'humanité. On se sent vraiment solidaire et uni.
«Souriez, le monde vous sourit», dit un adage. Ne dit-on d'ailleurs pas que «le rire est le propre de l'homme» ? Il faut cependant reconnaître qu'on rit toujours plus du côté de ces spectateurs invisibles. C'est là où le bat blesse. Ils rient tout le temps. Ils rient à chaque réplique.
Alors que nous restons muets. On n'a pas compris. On essaie de se rassurer. Quelque chose a dû nous échapper. On se sent mal à l'aise. C'est comme devant une blague. On a l'air idiot lorsqu'on n'a pas compris. Mais on fait semblant d'avoir compris. On essaie de rire. Comme obligé. Pour faire comme tout le monde.
Les sitcom, ça vous pousse à rire. Mais quand ça ne vient pas tout seul et qu'on entend des gens piaffer de joie, ça gêne terriblement. Surtout en présence des enfants. Ils ne comprennent pas pourquoi papa reste la bouche bée.
Pourquoi il ricane comme ça ? Ils ne sont pas dupes. On ne sait pas quoi faire ni comment se rattraper sinon de rappeler aux enfants qu'il est temps d'aller au lit.
Comment leur expliquer que les rires qu'ils viennent d'entendre sont faux.
Que la scène ou la réplique n'en valait pas la peine. Mais allez faire de la concurrence à la télé La télé, c'est sacré.
La sitcom est la contraction des mots «situation» et «comédie». Elle met en scène un groupe de personnages stéréotypés qui réagissent à une situation donnée de manière plus ou moins immature.
Ce genre de spectacle, bien qu'il ne nous est familier que depuis quelques années, est apparu en Amérique dans les années 60. Les Etats-Unis étaient alors un pays triomphant dans une période de grande prospérité. Les sitcoms sont de belles histoires de familles où les enfants turbulents font des bêtises et les parents, sévères mais justes, les remettent dans le droit chemin.
A partir des années 70, de nouveaux thèmes apparaissent. On aborde les phénomènes fortement liés à la société comme le racisme, la contraception, l'avortement, l'homosexualité . Puis arrivent les années 80 et le retour au rêve américain. Les sitcoms se recentrent sur des noyaux durs où cette fois, les deux parents travaillent.
Comme dans « Cosby Show», diffusée de 1984 jusqu'en 1992 et qui met en scène des parents vivant avec leurs enfants dans un foyer agité mais heureux. On commence ensuite à voir apparaître le phénomène des familles recomposées avec « Madame est servie» (« Who's the boss»), puis on assiste à un effritement de la famille cocon de la classe moyenne, avec les 250 épisodes de «Mariés deux enfants» qui s'étalèrent sur dix ans, de 1987 à 1997. La présence de rire sur la bande son s'explique par la filiation directe des sitcoms avec les spectacles de variétés et les comédies radiophoniques enregistrés à l'origine dans les théâtres.
La complexité des tournages ne laissant pas beaucoup de place au public, les rires ont commencé à être ajoutés en post-production à partir de bandes son enregistrées. Cette pratique a eu lieu jusqu'en 1980 puis on commença à tourner des séries en public, avec notamment le fameux «Cosby Show». Aujourd'hui, toute sitcom américaine digne de ce nom le fait. On réalise en moyenne 22 épisodes par an avec enregistrement devant le public. Ailleurs, on continue à procéder comme dans le passé. Du rire artificiel. Les producteurs français des séries « Hélène et les garçons», «Les vacances de l'amour» etc. ne peuvent pas s'en passer.
On continue à rire. De ce rire qui fuse de derrière l'écran et qui vous paralyse. Qui vous complexe. Ils sont terribles ces rieurs. Ils font des miracles. D'une sitcom ridicule, ils vous font un chef d' uvre d'humour. Dépassés et battus tous les mécanismes classiques du rire.
Le nouveau mécanisme adopté par les séries télévisées est plus percutant. On entraîne, malgré soi, le spectateur dans le rire. Si tu ne ris pas, c'est que tu es un imbécile. Imbécile, on ne veut pas l'être, alors on rit. Tu ne peux même pas zapper, c'est trop tard. On se sentirait tout simplement stupide de rester indifférent au moment où les rieurs... rient.C'est agaçant, certes, mais l'art demande bien des sacrifices... On rit, plus ou moins, de la même façon, en Europe, en Afrique, en Amérique ou en Asie. Seulement, voilà, quand on rit jaune devant une sitcom, cela ne veut pas dire obligatoirement qu'on est Chinois.
La cause est ailleurs . Il est indéniable que la télé a fait des progrès depuis son apparition. Du noir et blanc, elle est passée aux couleurs. D'un ton sérieux et appliqué, elle est passée à l'hilarité et à la gaieté. On doit s'y adapter.
Demain, elle sera artificiellement expressive dans la totalité de ses émissions. On entendra des commentaires de matchs de football avec des applaudissements, des hurlements, des sifflements, des explosions, des pétarades alors que les spectateurs sur le stade sont muets. Le bruitage sera artificiel, mais nous, devant la petite lucarne, on vibrera tout naturellement.
Même si le match est terne.
Demain, on entendra applaudir le bon Shuck Norris lorsqu'il terrasse ses méchants adversaires, siffler le juge qui prend partie pour les «Frères Dalton», huer Sue Ellen, l'épouse infidèle de «Dallas», prier pour le «Titanic» en détresse, sangloter sur la fin de Roméo et Juliette...
Et tout cela pour guider le spectateur. Pour le plaisir du spectateur. Pour que le spectacle soit complet.
Le spectateur, devant son petit écran, vibrera à chaque action, comme s'il était sur les gradins d'un stade de football ou d'un ring de boxe, au milieu de la foule, dans laquelle il perd son identité et se défoule... On fera tout pour l'y aider. Les professionnels du cinéma et de la télévision devraient un jour penser à récompenser cette nouvelle catégorie d'employés du 7ème art sans laquelle beaucoup de sociétés de production feraient faillite.
Ces rieurs qui nous enchantent, nous captivent, nous ensorcellent Il y aura un jour, parmi les prix dédiés à la production télévisuelle, une récompense pour le meilleur rire. On l'appellerait-le «Gabriel», non parce que cela vient du nom du saint patron des hommes de la télévision, mais parce que dans le mot «Gabriel» il y a la syllabe «ri»...