L'humain au centre de l'action future

Cohabitation pour le pire... et pour le meilleur

Pour son premier long métrage de fiction, Shainee Gabel, réalisatrice en 1997 du documentaire à succès « Anthem », met en scène deux amis vivant en marge de la société et l'itinéraire d'une jeune fille, Purslane, en quête de ses repères. Cette histoire in

06 Novembre 2006 À 16:53

Après la mort de sa mère, Purslane, dite « Pursy », revient à la Nouvelle-Orléans pour prendre possession de la maison de son enfance, une veille bâtisse dans laquelle elle trouve deux amis de la défunte. Bobby Long (John Travolta), ex-professeur de littérature, et son protégé, son ancien assistant à l'université Lawson Pines (Gabriel Macht). Les deux amis y vivent depuis longtemps et n'ont pas l'intention d'en partir. D'emblée, la cohabitation se révélera difficile et agressive (les échanges exécrables entre Pursy et Bobby). Mais bientôt un rapprochement s'opérera et les trois naufragés de la vie découvriront peu à peu des liens secrets qui les unissent.

Avec un scénario assez convenu, à la thématique cependant difficile, celle de la vie des marginaux aux Etats-Unis, la scénariste et réalisatrice Shainee Gabel réussit véritablement un film hors normes, qui dénote avec le paysage cinématographique américain. Forte d'un casting de choix (John Travolta, Scarlett Johansson et Gabriel Macht), Gabel montre des qualités artistiques majeures avec cette œuvre qui rappelle les grands succès des années 1940 et 1950.

En une série de plans gracieux et énergiques, la cinéaste filme ses personnages dans une Nouvelle-Orléans à l'ambiance si particulière, mêlant intimement le plaisir qui naît d'une forme cinématographique aboutie et l'émotion qui surgit des vieilles histoires (une fille séparée depuis longtemps de sa mère, ne connaissant pas son père) quand on les raconte avec un désir neuf.
C'est l'Amérique avec ses rêves, ses passions et ses mythes qui incarne ces trois personnages.

Bobby Long est hanté par son image qui montre un homme dissimulé, mystérieux, ne pouvant prétendre à la neutralité, avec son discours truffé de citations littéraires dont la source nous est révélée par son assistant.

A la faveur de l'amitié entre les deux hommes réunis autour d'une jeune femme qu'ils aiment bien, se noue un mélodrame d'une beauté renversante. Une amitié scellée au service d'une fille cherchant ses origines. « Love Song » est une évocation sombre et lyrique à la fois de la puissance rédemptrice de l'éducation devant la finitude et les insuffisances de la vie.

D'une beauté saisissante, ce mélodrame déconstruit avec virtuosité la linéarité de la vieille fable cinématographique pour mieux la ressourcer aux sortilèges immémoriaux du spectacle vivant, vibrant avec le chant (Bobby Long chante tout au long du film), palpitant avec la danse (Bobby dansant le rock).

Scarlett Johansson, engoncée dans ses vêtements, est d'une beauté stupéfiante. Son personnage, Purslane, touche au but de sa quête. La jeune actrice est belle et surtout trop vraie pour qu'on lui échappe. Purslane a le privilège de vivre dans un film d'une étonnante justesse.

Ce qui est vrai des êtres, l'est aussi des lieux. Le décor « kitch » de la Nouvelle- Orléans, ses bâtisses d'un charme suranné, ses cafés où la musique bat son plein, deviennent des espaces qui communiquent entre eux sans jamais perdre leur singularité, où chaque mouvement des personnages déclenche des résonances parfois exquises, parfois douloureuses (la maladie de Travolta).

L'air du temps souffle fort sur cette histoire intime. Le café-restaurant dans lequel les deux compères rencontrent leurs amis, tous musiciens, est un lieu hautement symbolique où la musique est omniprésente car on entend nettement, sans que jamais elle ne prenne le pas sur l'essentiel, une élégie à une musique qui a fait et continue de faire de la Nouvelle-Orléans une ville particulière au sein des Etats-Unis.
La musique dans le film sonne comme un écho lointain et fidèle d'une longue épopée.

Les personnages jouent avec une espèce de déconcentration pour faire valoir l'évidence de leur souffrance et de leur courage et ils peuvent compter sur la mise en scène de Shainee Gabel. En effet, la réalisatrice convoque à la fois la fluidité romanesque, l'exaspération adolescente et la modernité lucide.

Elle y ajoute une sérénité nouvelle qui ne ralentit en rien le film, mais lui donne un rythme ample, qui accueille aussi bien les éclats de frénésie du rock'n roll ( la scène où Travolta danse) que les scènes douloureuses entre Bobby Long et Lawson. Le plaisir de Gabel éclate à chaque plan de cette chronique. Un plaisir hautement partagé par le spectateur.
Copyright Groupe le Matin © 2025