Fête du Trône 2006

Milton Friedman, le révolutionnaire

29 Novembre 2006 À 15:32

La plupart du temps, les grands penseurs sociaux font d'abord naître des clivages d'opinions. Ils sont admirés par certains et méprisés par d'autres jusqu'à ce que leur mise en question radicale de notre perception du monde finisse par convaincre. Milton Friedman fait partie de cette catégorie pour au moins deux raisons. D'une part, il a joué un rôle prépondérant en économie ; et d'une manière plus générale, il a laissé sa trace dans les sciences sociales. D'autre part, au vu de l'histoire, son influence sur l'opinion publique et sur l'élaboration de la politique économique a permis d'améliorer un nombre incalculable d'existences. Des décennies durant, Milton Friedman resta bloqué dans une traversée du désert intellectuelle : il refusait le consensus keynésien de l'après-guerre, posant en postulat que les gouvernements aient recours à la politique budgétaire pour gérer la demande globale –conception qui a inspiré les politiques économiques étatistes des années 70. A l'époque, Friedman faisait, du coup, figure de véritable révolutionnaire intellectuel. Il poursuivait une recherche universitaire rigoureuse tout en rédigeant avec élégance des ouvrages et des articles à succès en faveur des politiques d'économie de marché. Dans ses écrits, il revendiquait le lien entre liberté économique et liberté politique, défendu par les grands économistes, d'Adam Smith à Friedrich von Hayek. Friedman a fait revivre et développé la théorie monétaire selon laquelle les résultats économiques dépendent essentiellement de la quantité d'argent en circulation. Dans «Histoire monétaire des Etats-Unis, 1867-1960» (écrit avec Anna Schwartz), il a attribué les récessions, y compris la Grande crise des années 30, à une baisse de la masse monétaire. De même, il soutient que l'excédent monétaire est responsable de l'inflation. Dans les années 60, Friedman a montré que la gestion keynésienne de la demande par la dépense publique augmentait de façon constante la masse monétaire et accélérait la hausse des revenus et des coûts. Avec Edmund Phelps - lauréat du prix Nobel cette année -i il a prouvé qu'il n'existe pas de corrélation stable entre le chômage et l'inflation. Les politiques publiques expansionnistes visant à faire baisser le chômage en deçà d'une certaine limite alimenteraient les anticipations inflationnistes et saperaient la croissance économique et l'emploi. Cette analyse a anticipé et expliqué la conjonction entre la hausse de l'inflation et la montée du chômage des années 70, connue sous le nom de «stagflation». Friedman a joué un rôle catalyseur dans les nouvelles politiques économiques des gouvernements. La stimulation et le contrôle budgétaire ont cédé la place à un nouvel instrument de la gestion économique : les politiques monétaires menées par des banques centrales indépendantes. Les travaux de Friedman sur le rôle de l'Etat dans la société ont grandement influencé l'opinion publique. Avec Hayek, son collègue de l'Université de Chicago, Friedman a lancé un assaut intellectuel plus général contre le keynésianisme, en soutenant que tout gouvernement qui se permet de contrôler l'économie au nom de l'égalité menace les libertés individuelles. Dans ses rubriques pour «Newsweek», publiées entre 1966 et 1983, et ses ouvrages «Capitalisme et liberté, La liberté du choix» et «La tyrannie du statut quo» (en collaboration avec sa femme Rose), Milton Friedman propose une vision de la liberté à la fois séduisante et accessible. En effet, «La liberté du choix» - à l'origine d'une émission de télévision populaire qu'il présentait - a été publié illégalement en Pologne dans les années 80. Tout au long des années sombres de la domination communiste, ce livre m'a permis de rêver d'un avenir libre. Dans un style à la clarté remarquable, Friedman met en avant une philosophie politique particulièrement convaincante, associée à des propositions concrètes. Par exemple, il a lancé l'idée des bons d'études, persuadé que la compétition dans l'enseignement privé garantirait de meilleurs résultats scolaires que les systèmes publics.

Copyright : Project Syndicate, 2006.
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* Gouverneur de la Banque nationale de Pologne.
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