Naissance de SAR Lalla Khadija

Bonne à tout faire

Un métier ingrat et déprécié que les femmes continuent à exercer

28 Mai 2007 À 16:21

«Vous avez besoin d'une «sabbana» (femme pour la lessive) ?». C'est par ces mots que Touria, une quadragénaire, essaie de décrocher des clients tout au long de la journée. Vêtue d'une djellaba noire délavée et de sandales en plastique, cette femme de ménage journalière interpelle les passants et conducteurs de voitures dans l'espoir de «décrocher» un client providentiel.

A l'image de Touria, elles sont une dizaine de femmes à s'aligner au bord des trottoirs de la rue Omar Slaoui, près du marché commercial, en attendant un client qui pourrait compenser les longues journées d'attente. «Il m'arrive de rester une semaine sans emploi.

C'est pour cela que j'accepte de faire toutes les tâches et corvées ménagères exigées par les clients, malgré les sommes modiques qu'ils me donnent», nous confie Touria. «Les gens profitent souvent de notre situation précaire pour nous imposer toutes sortes de tâches ménagères», ajoute Fatima, une mère de deux enfants qui travaille à la tâche.

Cependant, les «sabbanate» de ce quartier casablancais ne sont pas toutes du même avis. Certaines d'entre elles critiquent même le comportement de leurs concurrentes. «C'est la conduite de certaines femmes de ménage qui fait fuir les clients et les poussent à prendre beaucoup de précautions avec toute personne engagée au «mokef» (lieu de recrutement des travailleurs journaliers), nous explique Hafida, sans quitter du regard les passants de la rue Omar Slaoui. «Personnellement, je n'ai eu que des mauvaises expériences avec ces femmes du «mokef». Sur les trois personnes que j'ai déjà engagées, l'une d'elles a essayé de dérober quelques provisions de ma cuisine alors que les deux autres ont profité de ma sympathie pour exiger 80 dirhams pour deux heures de ménage», affirme Samira.

Et d'ajouter que ces comportements malhonnêtes n'encouragent pas vraiment à apporter de l'aide à cette catégorie de femmes. «Je crois que ces personnes ont pris l'habitude de recourir à d'autres « travaux» que les tâches ménagères pour survivre. C'est pour cela que je ne leur fais jamais confiance», indique une jeune mère de famille. Malgré cette mauvaise réputation acquise avec le temps, certaines femmes de ménage préfèrent toujours croire en «la générosité des Casablancais».

«Les bienfaiteurs, Dieu les préserve, nous aident à survivre, J'ai des clientes habituelles qui me paient, me donnent de l'argent pour le transport, de la nourriture et parfois des vêtements neufs, en plus de la "sadaqa” l'aumône. C'est pour cela que je ne discute pas mon prix avec elles», nous confie Hafida.

«Cependant, il existe, Dieu nous en garde, des gens qui nous font voir de toutes les couleurs, pour deux sous», ajoute-t-elle avant de partir avec l'une de ses dites clientes habituelles. «Cette Hafida est une vraie fille de… Elle ne respecte guère les règles du jeu.

Non seulement elle saute sur le premier client venu, mais elle salit notre réputation», affirme une autre «sabbana». Khadija, veuve et mère de deux enfants de 9 et 14 ans, laisse échapper ces propos pour apaiser sa colère contre sa collègue. Il faut dire que les femmes de ménage qui squattent au fil de la journée la rue Omar Slaoui, meublent souvent leurs journées de disputes et de conversations vulgaires.

En début d'après-midi, elles commencent à quitter les lieux et la rue redevient calme. Cependant, l'aventure de ces femmes se continue ailleurs. «On ne peut attendre éternellement des clients qui ne viennent pas. Pour survivre, nous sommes bien obligées de trouver d'autres activités plus rentables. L'après-midi, j'utilise mes mômes pour mendier à côté du tribunal», affirme Touria qui se mit à pleurer en prononçant ces mots.

Nous avons vite compris qu'elle s'adonne, malgré elle, à cette activité qu'elle n'aime pas du tout. «Les gens ne réalisent pas le fait d'être pauvre, de demander à ses enfants de vendre des sacs en plastic ou de mendier, alors que leurs semblables s'amusent, conclut-elle.
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Pain sec et maigre espoir

Malgré le langage vulgaire, parfois choquant, ces femmes marginalisées, ne sont guère que des mères de familles qui croient en l'avenir. Elles ont toutes des rêves, parfois banales, mais vitaux. Elles espèrent travailler comme femme de ménage, dans une société ou chez un médecin, pour bénéficier d'un salaire fixe et d'une assurance maladie.

En attendant que ces rêves se concrétisent, ces pauvres malheureuses, meurtries par l'attente de clients, rentrent souvent chez elles, les poches vides. A défaut d'argent, ces femmes se contentent, presque quotidiennement, de thé et de pain sec et dans les jours fastes, un peu de l'huile d'olives.

Dans le regard de ces femmes, on voit facilement quelque chose de brisé et surtout le poids de la vie, qui ne leur pas fait de cadeaux.
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