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L'esclavagisme dénoncé dans l'art contemporain

16 Septembre 2006 À 17:44

Le musée du quai Branly accueille à Paris du 12 septembre au 13 novembre 2006 une exposition de Romuald Hazoumé sur l'esclavagisme, à travers une installation de bidons. Cet artiste né en 1962 à Porto Novo au Bénin a exposé ses œuvres dans le monde entier depuis plus de 25 ans.

Son installation, qui a été présentée pour la première fois à Cotonou en 1999, est porteuse d'un message fort, à la fois symbolique et politique. « Je dénonce une Afrique, un monde, gérés par des roitelets corrompus qui volent, pillent, détournent, s'approprient, s'enrichissent en surexploitant le peuple », assène Romuald Hazoumé.

Son œuvre est constituée de 304 masques réalisés à partir de bidons d'essence.
Disposée à même le sol, elle rappelle la structure d'un bateau négrier. Chaque masque possède une identité propre et représente un esclave, à l'exception de deux d'entre eux, qui figurent le roi du Bénin et «le Chacha», régent nommé au Bénin pendant la période coloniale et chef de Ouidah, un des plus grands ports négriers de l'Afrique de l'ouest. Ces deux figures visibles à la proue du navire transposé symbolisent la complicité de certains Africains avec les Européens dans la traite d'esclaves.

L'exposition «La Bouche du Roi» de Romuald Hazoumé, qui raconte l'histoire de l'esclavage et la déportation des Africains noirs, relate également l'histoire de l'esclavage moderne lié avant tout à des enjeux économiques et à une denrée précieuse, source de travail des Béninois, l'essence.

Le Bénin est connu depuis quelques années par le trafic de l'essence transporté par des hommes en mobylettes, appelés «héros de la survie». Cette contrebande engendre une raréfaction des bidons, et c'est ce qui a poussé Romuald Hazoumé à utiliser ce contenant pour reprendre les souffrances des esclaves africains de l'époque.

Si la réalité de l'esclavage s'est transformée, elle reste suspendue au danger de cet « aller simple pour le tombeau » décrit en 1686 dans «La Ballade du Négrier», long poème du XVIIe siècle qui a influencé Romuald Hazoumé.

L'objet rejoint la parole dans cette installation, par la restitution d'un fond sonore qui semble émaner des masques eux-mêmes : une litanie de noms d'esclaves et une improvisation de chants alternés, des « lamentations » ou implorations aux divinités yoruba afin que cesse la souffrance de ces hommes qui «ne savent pas où ils vont».
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Extraits d'un entretien avec Romuald Hazoumé
« Etre artiste c'est répondre à un questionnement, et mes réponses ne me satisfaisaient plus. Il fallait que j'aille à la source pour comprendre pourquoi nous avions cette attitude, ce fatalisme… Comprendre pourquoi mes ancêtres Yoruba faisaient des masques : c'est cela qui m'a poussé à faire des kaélétas (masques). Il fallait voir ce qu'il y avait derrière. Je me suis plongé dans le Fa. Du sud-ouest du Nigeria au sud-ouest du Ghana, on parcourt la région du Fa. Le Fa c'est la géomancie divinatoire qui permettait de savoir l'avenir […]. Le travail que j'ai réalisé sur le Fa m'a fait beaucoup avancé. […]
Après cette nouvelle étape de mon parcours, j'ai commencé à m'ennuyer et je suis revenu aux masques-bidons. Il n'y a aucune rue au Bénin où l'on ne trouve un bidon, du type même que j'utilise : le bidon du trafiquant d'essence. Car à Porto Novo, le trafic d'essence est partout. […]
C'est comme cela que je suis devenu photographe, parce que ces bidons, je ne pouvais pas les obtenir facilement. […]
J'ai travaillé sur «La bouche du roi» en filmant tous les jours les trafiquants, ces as de la débrouille, dans leurs gestes au quotidien. Ils vont au marché, achètent des bidons, y mettent de l'essence, et cette essence est utilisée par la population béninoise. Mais quand on voit comment se passe ce trafic, on se rend compte que les bidons sont traités exactement comme l'étaient les esclaves auparavant.
On peut établir une métaphore entre ces deux situations. […]
C'est toute une vie autour de l'objet bidon. Et cet objet bidon devient l'esclave d'aujourd'hui. […]
Un film de 7 minutes rend compte de ce trafic des bidons d'essence évoqué par Romuald Hazoumé.

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