Le doctorat français,une impasse à franchir
C'est une longue histoire, depuis l'indépendance. Le problème actuel du doctorat français est un symptôme parmi d'autres des déboires de notre système d'enseignement. Le premier sursaut est intervenu avec la Charte de l'éducation et de la formation. L'impasse actuelle est l'un des signes des pesanteurs du passé qui nous empêchent d'avancer plus vite.
C'est une longue histoire, faite de silences, de non-dits, de dialogue de sourds, de tergiversations et de controverses juridiques, ou plutôt pseudo-juridiques De quoi s'agit-il en fait ? Les titulaires du doctorat français («nouveau régime», 1984) obtenu avant l'année 1997, date de promulgation d'un nouveau statut des enseignants-chercheurs, posent depuis plus de 20 ans le problème de l'équivalence de leur diplôme avec les divers PHD délivrés à travers le monde, alors qu'elle est probablement reconnue partout comme telle. Sauf au Maroc, où une malheureuse décision en a fait l'équivalent de l'ancien DES marocain, lui-même ancien équivalent de l'ancien diplôme français de 3e cycle. Cette «erreur», admise officieusement semble-t-il, n'a jamais été réparée. Pire, il n'est pas question de l'évoquer ou de la reconnaître publiquement.
Face à ce black-out, les PHD sont en revanche reconnus officiellement au Maroc comme équivalents du doctorat d'Etat et ce, depuis le début des années 70. D'où l'expression «ou diplôme reconnu équivalent», couramment accolée à celle de doctorat d'Etat dans nos textes législatifs et réglementaires.
Cette qualité a permis au PHD, à l'instar du doctorat d'Etat, de garantir d'office jusqu'en 1997 le statut de professeur habilité (l'ancienne appellation de maître de conférences, avant 1997) dès l'obtention du diplôme ainsi que l'accès direct, sans concours, au statut de PES (professeur de l'enseignement supérieur) après quatre années d'exercice (cf. décret n° 2-06-804 du 19 février 1997, portant statut particulier du corps des enseignants-chercheurs…).
La demande constante des lauréats du doctorat français a été de réparer cette «erreur». Elle a continuellement été formulée jusqu'à présent et, ce qui est tout à leur honneur, dans un cadre exclusivement juridique et syndical. Elle prend d'autres proportions aujourd'hui, depuis le lancement de la grève de la faim le 1er novembre 2006, faute d'un dialogue constructif et animé d'un désir commun de justice et d'équité.
Faute de réaction de juristes spécialistes du domaine - leur avis devrait pourtant éclairer l'opinion - nous tenterons de comprendre et d'interpréter la proposition actuelle de solution du ministère de l'Enseignement (et donc du gouvernement jusqu'à preuve du contraire).
Elle repose sur d'autres «erreurs». Sa logique interne semble conforme en apparence aux textes en vigueur. Les concernés sont considérés comme professeurs habilités à partir de l'an 2002.
Le choix de l'année s'explique par le recours à l'article 31 du décret cité, alinéa 4, qui prévoit le reclassement direct dans le cadre de PES des professeurs habilités qui ont obtenu «le doctorat d'Etat ou un diplôme reconnu équivalent» cinq ans après la promulgation du texte cité (1997).
Les concernés n'ayant pas obtenu aux yeux du ministère ce diplôme, ils doivent en tant que «professeurs habilités» se soumettre à un concours pour devenir PES après quatre ans d'exercice.
D'où l'insistance du ministère dans ses déclarations sur l'année 2006, même si elle touche à sa fin. En quoi y a-t-il erreurs? D'abord, cette proposition en 2006 d'ériger rétrospectivement ceux qui ont été traités en maîtres assistants depuis 1984, par un coup de baguette magique, en maîtres de conférence, mais seulement à partir de 1997 (cf. 4e alinéa du texte cité de 1997), et en professeurs habilités en 2002. Elle ne repose sur aucune base juridique.
Elle se veut conciliante, mais est-ce une raison pour passer outre la loi ?
La proposition d'habilitation octroyée à compter de 1997, même si elle se veut en faveur des concernés, au moins partiellement, ne respecte pas les textes en vigueur (cf. texte cité de 1997, art. 12, et décret n° 2-96-794 du 19 février 1997 fixant les conditions et les modalités d'organisation de l'habilitation universitaire).
Cette décision peut être taxée d'arbitraire.
En outre et surtout, ou bien ces enseignants sont vraiment considérés comme ayant obtenu un doctorat d'Etat (ou «l'équivalent») déjà avant 1997 ou au plus tard en 1997 (comme le veut la proposition actuelle), auquel cas leur situation doit être régularisée en tant que maîtres de conférence à partir de la date d'obtention de leur diplôme, le doctorat français.
La proposition, pour devenir logique avec elle-même, devrait alors obéir au texte de même objet (décret n° 2-75-670 du 17 octobre 1975) qui prévoit le recrutement, sans concours, de maîtres de conférence dans le cadre des PES après un exercice de 4 ans. C'est ce que réclament les concernés.
L'abrogation partielle de ce texte ne peut constituer en l'occurrence un argument pour l'ignorer. Ou bien ils sont considérés comme ne détenant pas de doctorat d'Etat (ou l'équivalent), comme cela a été le cas jusqu'à la dernière proposition du ministère, et alors on revient à la case départ et on applique strictement le texte de 1997 à des professeurs assistants.
La question de l'obligation de concours pour l'accès au cadre de PES découle de ce qui précède. Ou bien il s'agit d'anciens maîtres de conférence (avant 1997) selon la proposition actuelle du ministère, et alors la question ne se pose pas puisqu'ils peuvent devenir PES sans concours. Ou alors cette question ne concerne que les professeurs effectivement habilités après 1997 selon les règles de l'art (cf. texte cité ci-dessus).
Cette accumulation ubuesque d'erreurs est impressionnante. Pourquoi toutes ces subtilités pour dénier toute équivalence entre le doctorat français et les divers PHD ? Nous parlions d'une longue histoire car le Maroc a vécu d'autres situations aussi ubuesques dans le passé. Rappelons par exemple l'acquisition par ancienneté du titre de PES, sans soutenance de travaux devant un jury (années 60) ; ou la promotion de maîtres assistants, titulaires de l'ancien doctorat de 3e cycle ou du DES, en maîtres de conférence, pourtant supposés être détenteurs d'un doctorat d'Etat ou -déjà -d'un diplôme équivalent (années 70).
Et au fait, comment prouver objectivement l'équivalence ou non entre le PHD et l'ancien doctorat d'Etat ? Ou bien y aurait-il des «erreurs» sélectives ?
Loin de nous l'idée de critiquer ou de dénigrer. C'est une simple évocation du passé à méditer. En outre, les brillantes carrières des uns et des autres montrent bien que les diplômes ne constituent pas une fin en soi.
Mais c'est là une autre histoire. Aujourd'hui, la différence est que la situation est en train de tourner sérieusement au tragique. Certains reprochent la grève de la faim lancée par quelques collègues, ou leur tournent tout simplement le dos. Mais ils oublient qu'ils en sont venus à cette extrémité après une lutte légitime de plus de vingt ans pour les plus anciens, neuf ans pour les plus jeunes!
Chacun doit se sentir en fait responsable quelque part. Il ne s'agit plus de simple controverse juridique ou administrative, ni de simple responsabilité sectorielle.
L'impasse est telle qu'il est grand temps de tourner la page, comme cela a été fait dans d'autres domaines, avec un sens élevé de l'éthique et de l'équité. C'est désormais avant tout une affaire de l'Etat.