Fête du Trône 2006

Les Etats-Unis d'Afrique : Réalités et utopies

Jawad Kerdoudi
>Consultant économiste et président de l'IMRI

15 Juillet 2007 À 12:58

Le 9e Sommet de l'Union africaine s'est réuni à Accra (Ghana) du 1er au 3 juillet 2007. A l'ordre du jour de ce sommet le projet de création d'un gouvernement africain continental. Ce projet était soutenu par la Lybie et le Sénégal, et avait pour objectif la création d'un gouvernement africain de 15 ministres à mettre en place le 1er janvier 2008. Les discussions furent houleuses, avec notamment l'opposition à ce projet de deux grands poids lourds de l'Afrique : le Nigeria et l'Afrique du Sud.

Finalement, et comme c'est le cas dans tous les désaccords, il a été décidé de créer 4 commissions qui devront fournir un rapport à la prochaine session ordinaire de l'Union africaine, qui aura lieu en janvier 2008. Ces commissions doivent se pencher sur le concept de gouvernement de l'Union et ses relations avec les gouvernements nationaux, définir les domaines de compétence du gouvernement continental et l'impact sur la souveraineté des Etats, enfin élaborer une feuille de route et un calendrier, ainsi qu'un plan de financement.

On ne peut que s'étonner de cette fuite en avant des dirigeants de l'Union africaine, alors que ce continent se débat dans des problèmes politiques et économiques incommensurables. Michèle Alliot-Marie, ministre française de l'Intérieur, et ancienne ministre de la Défense, dans un récent article sur " La nouvelle mission de l'Europe en Afrique", décrivait comme suit la situation en Afrique : " Il est vrai que bon nombre de pays africains souffrent actuellement d'instabilité, d'échecs gouvernementaux, de conflits régionaux, de violentes luttes intestines politiques et d'autres maux connexes, y compris des massacres et une brutalité à grande échelle, des guerres civiles, des mouvements massifs de réfugiés, des bouleversements économiques et des dégâts écologiques ".

Sur le plan économique, la situation en Afrique n'est guère plus brillante : 300 millions de personnes vivent avec moins de 1$ par jour, dont 70% de femmes. L'espérance de vie n'est que de 53 ans, et l'analphabétisme frappe 38% de la population. Le taux de scolarisation dans le secondaire n'est que de 29,3%. Enfin 80% des enfants atteints de sida se trouvent en Afrique.

Au lieu de s'occuper des problèmes concrets de l'Afrique, et notamment des graves crises qui secouent le Darfour, la Somalie, le Zimbabwe et la Côte d'Ivoire, le sommet a préféré discuter d'un projet complètement utopique, a savoir l'instauration d'un gouvernement africain continental. Il faut savoir que l'instauration d'une union régionale est extrêmement complexe et demande beaucoup de temps. En plus, toutes les unions régionales déjà constituées dans le monde ont donné la priorité au volet économique plutôt qu'au volet politique.

L'Union européenne a mis plus d'un demi-siècle pour se constituer. Au départ, elle était composée seulement de 6 pays, et en compte 27 aujourd'hui. Pour accéder à l'union économique, la construction européenne a été jalonnée d'une multitude d'étapes, et de plusieurs traités (Rome en 1957, Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997, Nice en 2001). Elle a été dotée d'institutions permanentes et solides, dont la Commission européenne de Bruxelles, qui a été le véritable maître d'œuvre de l'Union.

Malgré tous ses efforts, l'Union européenne n'a pas réussi à constituer une véritable union politique.
Les autres unions régionales : ALENA, ASEAN, MERCOSUR, APEC, ne sont que des zones de libre-échange, chaque pays gardant sa souveraineté politique.

Aussi, pour construire un projet sérieux d'Union en Afrique, il faut tout d'abord s'atteler à la gouvernance politique. Il y a lieu tout d'abord d'assurer une véritable démocratie dans les pays africains, où le gouvernement issu des urnes, représente réellement la volonté populaire. Il faut par la suite consolider les unions régionales existantes : UMA (Maghreb), CEN-SAD (Pays du Sahel), UEMOA (Afrique de l'ouest), CEEAC (Afrique centrale), EAC (Afrique de l'est) COMESA (Afrique australe).

Une fois cela fait, on peut songer alors à une union des Etats africains, qui serait l'émanation des unions régionales africaines. Sans cet effort de longue haleine, tout projet précipité serait voué à l'échec.
Copyright Groupe le Matin © 2025