Baâlabeck, la cité phénicienne, menacée par les bombardements israéliens
Le ministre libanais de la Culture, Tarek Mitri, a lancé un appel au directeur général de l'Unesco, Koïchiro Matsuura, pour qu'il assure la protection des sites archéologiques de Baalbeck et de Tyr, classés au patrimoine mondial de l'Humanité. «Au nom du gouvernement libanais, je vous demande d'intervenir afin que cessent les bombardements (israéliens) qui menacent les sites de Baâlbeck et de Tyr, classés au patrimoine mondial de l'Humanité, en application des conventions de l'Unesco pour la protection du patrimoine mondial en temps de guerre», a-t-il écrit à M. Matsuura.
«Les bombardements intensifs visent les abords immédiats de ces sites. Les structures archéologiques, déjà fragiles, sont menacées par les déflagrations répétées et risquent d'être directement touchées», a-t-il affirmé.
«Devant cette situation qui pourrait devenir catastrophique, votre intervention imminente est nécessaire», a-t-il ajouté. Le centre de la ville de Baâlbeck, bastion du Hezbollah, situé à 90 km à l'est de Beyrouth, est systématiquement visé par l'aviation israélienne.
Il est situé à 300 mètres des temples romains. Selon des habitants de la ville, les temples de Bacchus et de Jupiter, qui compte les six colonnes romaines les plus hautes du monde, sont proches des cibles des bombardements.
Tyr, à 83 km au sud de Beyrouth, comporte un hippodrome romain et un port phénicien. La ville de Baalbek, située au pied du versant sud occidental de l'Anti-Liban, se trouve à 85 km de Beyrouth. Elle se positionne à une altitude de 1150m, en bordure de la riche plaine de la Békaa, l'antique Coelesyrie. Son emplacement entre les deux grandes régions civilisées de l'Antiquité, entre Nil et Euphrate, était hautement stratégique. La cité se trouva ainsi sur une principale voie de passage des caravanes marchandes sillonnant les routes entre la Mésopotamie, l'Egypte et toute la Méditerranée Orientale.
Dans cette cité de l'intérieur phénicien, construite sur un tell(1), loin de ses sœurs maritimes perchées sur les promontoirs rocheux de la côte, la religion avait aussi son rôle dans la vie quotidienne. Les hommes cherchaient la protection des dieux les guidant durant leurs déplacements. Le culte religieux à Baâlbek était dédié, à l'instar des autres cités, à une triade locale.
Le dieu Ba'al-Hadad, dieu sémitique de l'orage et la tempête, régénérateur de la fertilité de la terre. Il pouvait envoyer la pluie, provoquer la sécheresse ou même les inondations, donnant ainsi, selon certains historiens(2) son nom à la ville : «Seigneur de la Békaa' (Ba'al = Seigneur, Bek = Beqa') ou "Seigneur de la source»(Ba'al = Seigneur, nebek = source). Au côté de Ba'al-Hadad trônait la déesse Atargatis, déesse-mère syrienne et un jeune dieu (un Adonis local) de la végétation et des troupeaux.
Au cours de l'époque hellénistique (333-64 av.J.C.), sous l'influence des Ptolémées, les cultes de Baâlbek furent solarisés. Ba'al fut identifié au dieu égyptien Rê et au dieu grec Hélios donnant ainsi à la ville le nom d'Hélioplolis, «la cité du soleil», comme la grande métropole égyptienne. La cour de l'ancien temple fut modifiée et agrandie et l'on décida la construction d'un podium à son extrémité Ouest, destiné à porter un temple à la mode grecque.
Comme la cour se trouvait déjà surélevée par rapport au niveau de la plaine environnante, il aurait fallu que le podium soit assez solide pour supporter une construction à la mesure de la cour (135 X 113m). Après le transport de trois blocs de 750T (le Trilithon), les ingénieurs abandonnèrent cette technique (une légende évoquait la présence d'extraterrestres ou de Djins qui auraient tranporter ces trois blocs).
Un quatrième bloc resta sur place dans la carrière non loin du temple. Le travail fut poursuivi mais avec des blocs de taille plus modeste(3). Le podium est le seul vestige datant de cette époque hellénistique. L'agrandissement et l'embellissement des temple fut entrepris avec les Romains.
La conversion de l'empereur Constantin (307-337) au christianisme marque l'arrêt des cultes païens mais surtout la cessation des travaux d'embellissement qui s'étaient poursuivis jusqu'alors dans les temples de Baâlbek-Héliopolis. L'abandon progressif du site le voua à une lente déchéance, en plus des séismes violents qui ébranlèrent les colonnades. Le zèle religieux n'épargna pas le reste.
Théodose (379-395) fit abattre les statues païennes avec un tel acharnement qu'aucune statue digne d'intérêt ne fut retrouvée sur place(9). Il fit également raser la tour-autel pour construire dans la grande cour une grande basilique et transforma la cour hexagonale en église et le temple de Vénus en chapelle. Quant à Justinien (527-565), il prélèva huit colonnes du temple de Jupiter pour en orner la basilique Sainte Sophie.
A la suite de la conquête Arabe en 637, les temples furent transformés en citadelle (qal'a) d'ou le nom actuel du site «Qal'at Baâlkek». Au cours des siècles suivants, la ville passa successivement aux mains des Omeyyades,& des Abassides, Toulounides, Fatimides et Ayyoubites. Mise à sac par les Mongols vers 1260, elle connut une période de calme et de prospérité sous les Mamluks mais fut de nouveau délaissée par les Ottomans sombrant ainsi dans l'oubli et la ruine.
Un intérêt scientifique pour la sauvegarde des vestiges du temple de Baalbek commença à s'intaller. Une mission anglaise du Fonds palestinien d'Exploration entreprit une première mission en 1873. Elle ne fut malheureusement pas suivie d'effet.
La vrai exploration débuta avec la mission archéologique allemande de 1898 à 1905, qui arriva suite à la visite de l'empereur Guillaume II(13) , et fut dirigée par l'archéologue Otto Puchstein. Après la 1ére Guerre mondiale et l'installation du mandat français, d'autres missions se succédèrent supervisées successivement par C. Virolleaud, R. Dassaud, S. Ronzevalle, H. Seyrig, D. Schlumberger, F.Anus, P.Coupel & P.Collard qui œuvrèrent pour la restauration des temples. Avec l'Indépendance du Liban en 1943, le Pr H. Kalayan prit la relève sous l'égide de l'émir Maurice Chéhab, directeur du Service des antiquités du Liban.
A.M./dépêches