L'humain au centre de l'action future

Kasbah des Oudayas, un patrimoine en péril

Longtemps considérée par les R'batis comme un ghetto où sévit un ramassis de voyous, la citadelle des Oudayas est devenue l'objet de convoitises depuis l'annonce du grand projet d'aménagement de la vallée de Bouregreg. Les agents immobiliers affluent de t

12 Mai 2006 À 17:40

Des maisons sont détruites et reconstruites en béton et briques agglomérées, de «nouveaux» propriétaires se permettent d'ajouter des niveaux supplémentaires à leurs «nouvelles» acquisitions sans aucun respect pour l'architecture et les matériaux de construction d'origine.

D'autres se permettent de murer la ruelle devant chez eux sans être inquiétés. Des portes pavées de carrelage en céramique pour salle de bains, des murs fissurés et colmatés au ciment, des graffitis hideux et tenaces sur les murs des remparts, des gravats et détritus complètent le décor pour faire douter le plus crédule sur l'intérêt qui est porté à la conservation d'un site indissociable de l'identité de la capitale.

C'est étonnant de constater que la valeur d'un site historique varie selon des facteurs qui lui sont extérieurs, et qui s'avèrent déterminants pour son avenir et sa pérennité. «Mahdia», «Arribat Alqadim», Kasbah des Oudayas, sont des noms qui se sont succédés pour délimiter cette citadelle Almohades qui défie le temps et les tribulations et traverse les âges. Plus qu'un simple vestige historique, cette « ville dans la ville» possède une identité particulière, un mode de vie et des règles de bon voisinage pratiquement disparus ailleurs.

Construite au XIIe siècle par les Almohades, c'est la kasbah qui a donné son nom à la ville. Le ribat est en effet un couvent fortifié et c'est ici que s'installèrent des moines-soldats qui partaient en Guerre sainte en Espagne contre les chrétiens. Le ribat devint le «Ribat El Fath», Ribat de la victoire ... Rabat. Le «village» des Oudayas tel qu'on le connaît aujourd'hui est assez récent et date de la fin du XIXe et début du XXe siècles. La kasbah, en effet, à part le palais n'abritait que quelques maisons cossues de militaires, ainsi que des habitats de fortune.

Longtemps considérée par les r'batis comme un ghetto où sévit un ramassis de voyous, la citadelle des Oudayas est devenue objet de beaucoup de convoitises depuis l'annonce du grand projet d'aménagement de la vallée de Bouregreg. Les agents immobiliers affluent de toutes parts pour pousser les quelques familles, qui tiennent encore à leurs demeures, à vendre en leur proposant des prix défiant toute résistance. Plusieurs personnalités sont montrées du doigt. Cependant, et loin de toute instrumentalisation politique, il se trouve qu'un patrimoine architectural, humain, et culturel soit en danger.

Des maisons sont détruites et reconstruites en béton et briques agglomérées, des «nouveaux» propriétaires se permettent d'ajouter des niveaux supplémentaires à leurs «nouvelles» acquisitions sans aucun respect pour l'architecture et les matériaux de construction d'origine. D'autres se permettent de murer la ruelle devant chez eux sans être inquiétés. Des portes pavées de carrelage en céramique pour salle de bain, des murs fissurés et colmatés au ciment, des graffitis hideux et tenaces sur les murs des remparts, des gravats et détritus complètent le décor pour faire douter le plus crédule sur l'intérêt qui est porté à la conservation d'un site indissociable de l'identité de la capitale.

Encore une fois, c'est la mode des riads et anciennes demeures, le complexe de l'imitation aveugle des étrangers qui viennent au Maroc chercher l'exotisme trouve un terreau chez les notables marocains. A Rabat, depuis que les Français sont devenus des habitants à plein temps de l'ancienne médina, les Marocains de la classe moyenne cherchent par tous les moyens à acquérir une maison. Maison qu'ils ont eux-mêmes vendue il y a quelques années à un prix dérisoire, car l'endroit n'était pas «in».

Mahmoud Megri en sa qualité de président de l'association «Cité des Arts» qui défend les qualités historiques et culturelles de la cité, affirme que « les autorités ne se sont intéressées aux Oudayas qu'après l'année 1995 date de l'organisation du Printemps des Oudayas qui a montré la voie à prendre pour créer un pôle d'attraction culturel… Cependant, dans notre pays nous manquons de conscience de la valeur des vestiges de l'histoire…

En fait, les Oudayas n'ont commencé à prendre de la valeur qu'après l'annonce du plan d'aménagement de la vallée de Bouregreg, je pense que la spéculation immobilière y est pour beaucoup… Nous avons d'ailleurs fait de nombreux appels pour attirer l'attention sur l'état alarmant des bâtisses historiques, le résultat est que c'est devenu une ville privée pour hauts dignitaires…»

De plus, la cité se trouve sous l'autorité de plusieurs intervenants étatiques qui n'arrivent pas toujours à accorder leurs violons. A titre d'exemple, l'esplanade des canons (d'où les canons ont disparu ! ndlr) dépend du ministère du Tourisme et de l'Artisanat, le jardin andalous, le musée des arts traditionnels au ministère de la Culture, d'autres sites dépendent de la mairie, de la wilaya ; ce qui rend difficile toute action concertée pour la sauvegarde.

Durant un sit-in de protestation contre la fermeture de la rue Bazo, le professeur Mahdi El Manjra s'insurge : «J'ai été pendant 20 ans responsable de la culture à l'UNESCO, nous avons tout fait pour défendre le patrimoine dans tous les coins du monde.

Aujourd'hui, un ministre progressiste achète une maison aux Oudayas et veut ajouter un étage. Que voulez-vous que les autres fassent. Mohamed El Fassi a réussi à inscrire Fès comme patrimoine de l'humanité.

Après 30 ans, on est arrivé à cela ! Des responsables de haut niveau violent toutes les lois, le droit international, ils n'ont pas respecté la pierre et l'histoire de ce pays, c'est la grande humiliation de tous les principes».

Faut-il noter que l'effort de conservation de ce site suppose l'intervention de spécialistes pour quantifier, répertorier, dater, classer et ensuite restaurer ces vestiges de manière à dégager des règles imposables à tous ceux qui désirent s'y installer.
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