Spécial Marche verte

Mendicité agressive, une plaie dans la société marocaine

01 Avril 2006 À 13:13

9h du matin. Boulevard Abdelmoumen à Casablanca. Nawal vient à peine de sortir de la banque quand elle est interceptée par un jeune homme. Il vient vers elle et, la touchant presque, lui demande de l'argent. Le prenant pour un voleur, elle est prise de panique mais ne fait pas un geste. Son agresseur, un jeune d'à peu près18 ans, est bien habillé et n'a pas l'air d'être sous l'emprise d'une quelconque drogue.

Il se met à la supplier de lui filer un peu d'argent. Quand elle a compris que c'était un mendiant, elle lui jette un regard défiant et presse le pas pour s'éloigner de lui. Il la suit pendant un bon moment mais finit par renoncer, ayant repéré une autre victime.

Aujourd'hui, le spectacle des mendiants dans tous les coins de rue n'étonne plus personne. Le phénomène est devenu familier quoique toujours nuisible.
En revanche, ce qui frappe le plus c'est l'hostilité avec laquelle les mendiants abordent les «âmes charitables». Ces derniers ne sont plus gentiment sollicités ou même suppliés mais plutôt agressés.

L'aumône est devenue une obligation dont doit s'acquitter le passant sous peine de harcèlement et d'insultes. Le mendiant qui commence par essayer la méthode douce se transforme aussitôt en machine à proférer des obscénités. Ce genre de scènes est de plus en plus fréquent dans divers endroits de la capitale. Ce phénomène qui sévissait, il y a quelques années, dans les quartiers populaires comme Hay Mahammadi, Derb Soltane ou la vieille ville touche, à l'heure actuelle, même les quartiers huppés de la ville.

«Les mendiants n'épargnent plus personne.» lance Hassan exaspéré. «Il est presque devenu impossible de se déplacer librement sans être assailli par eux, qu'on soit à pied ou en voiture. Quand je suis dans un café, j'évite de me mettre dans la terrasse parce qu'on ne me laisse pas en paix ».

En effet, les terrasses de café sont devenues des lieux de prédilection où les mendiants/voleurs repèrent leurs cibles. Les sacs, les portables, les clés des voitures ou autres objets de valeur attirent souvent l'attention de ces filous. «Il n'est pas facile de faire la différence entre un mendiant et un voleur à l'arraché.

Une personne qui demande la charité tout en convoitant les objets déposés sur la table sème le doute dans l'esprit de la personne.» ajoute Hassan. Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, les clients se plaignent de l'agressivité de ces intrus. Pour résoudre ce problème, beaucoup de propriétaires recourent aux services d'un agent de la sécurité pour protéger leurs clients.

«Il y a un an, j'ai décidé de louer les services d'un vigile moyennant une somme d'argent de 1.500 DH par mois pour que mes clients soient à l'aise. J'avais reçu des plaintes de la part de ces derniers et constaté que beaucoup d'entre eux ont déserté le café à cause de l'agressivité des mendiants.» nous confie A. F, propriétaire d'un café qui a pignon sur rue.

Ahmed, jeune cadre de 32 ans, se demande si les outrances de cette catégorie de la population passent inaperçues par les autorités. «J'ai été agressé à plusieurs reprises par des mendiants qui étaient la plupart du temps ivres ou carrément drogués.» se plaint-il.

«Ils m'abordent d'emblée de manière agressive. Mais ce qui est alarmant, c'est que même la présence d'un policier à proximité ne les dissuade pas. Il faut dire que ces derniers ne bougent pas le petit doigt pour rétablir l'ordre. A mon avis, il faut que les autorités soient plus vigilantes pour chasser ces mendiants. C'est à cause de leur laisser-aller qu'on en est là. Ils ont besoin de comprendre que ce phénomène donne une mauvaise image du Maroc» .

Ayant exposé ce problème à un commissaire judiciaire, ce dernier nous a expliqué que les campagnes d'assainissement pour traquer les mendiants ne sont pas organisées systématiquement.

«De temps en temps, on procède à la chasse aux mendiants quand un responsable remarque leur présence dans un rond-point ou qu'une délégation étrangère est en visite dans notre pays. Et ce, même si aux yeux de la loi, cette pratique est considérée comme un délit». Submergés par le traitement des affaires qui leur parviennent à longueur de journée, les policiers, déjà en sous-effectif, n'ont pas le temps d'effectuer des rondes dans les rues, à cette fin.

Selon la même source, il s'agit essentiellement d'un problème de moyens. Le départ volontaire de beaucoup de policiers n'ayant pas arrangé les choses.
Quant aux Groupes urbains de sécurité (GUS), ce responsable affirme qu'ils préfèrent ne pas intervenir dans ce domaine et relâchent les mendiants aussitôt qu'ils les attrapent. Même dans le cas où ces derniers arrivent devant le tribunal, dès que les procureurs les aperçoivent de loin, ils préfèrent les laisser partir.

Ils les envoient dans un centre correctionnel uniquement en cas de détention d'arme. Et pourtant les textes de loi sont claires (voir encadré) et sans équivoque. Maître Nadia Oulehri, avocate et présidente des l'Association des femmes juristes, nous explique davantage la position de la loi vis-à-vis de la mendicité agressive et passive. «La lecture des dispositions légales relatives à la répression de la mendicité et contenues dans le code pénal marocain, ne laisse apparaître aucune différence entre une mendicité passive et une mendicité agressive sauf au niveau de la peine applicable et qui est plus lourde pour la mendicité agressive.

En effet, le texte reconnaît la mendicité qu'elle soit agressive ou passive comme un délit contre la sécurité publique, d'ailleurs la section V qui traite aussi bien de la mendicité que du vagabondage est comprise dans le chapitre 5 du code pénal intitulé «des crimes et délits contre la sécurité publique».
De par la durée des peines prévues par la loi, la mendicité serait plus exactement un délit de police.

Il est défini par l'article 111 du code pénal comme étant l'infraction que la loi punit d'une peine d'emprisonnement de deux ans maximum ou de moins de deux ans ou d'une amende de plus de 1.200 dirhams».

Dans un pays qui table sur le tourisme, il est honteux de compter près de 500.000 mendiants professionnels (Ce chiffre date de 2004). Avec la crise économique et l'augmentation du nombre de chômeurs, ce chiffre risque de grimper. C'est dire qu'une politique sociale d'urgence devrait être mise en œuvre pour attaquer le mal par les racines.
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