Fête du Trône 2006

Les nouvelles exigences du journalisme

19 Avril 2006 À 16:42

Le journalisme économique est-il une variante du journalisme tout court ? Echappe-t-il aux règles qui régissent la profession d'une manière générale ? Quelle est sa fonction et son impact dans une société comme la nôtre ? Comment se distingue-t-il, dans ses exigences propres, sa pratique au quotidien, ses rapports avec le monde du travail, l'entreprise et la culture ?

Ce sont, entre autres, les nombreuses interrogations qui ont servi de plateforme au débat organisé mardi au forum du Twin Center à Casablanca par l'Association marocaine des économistes d'entreprise (AMEEN) en partenariat avec la Fondation ONA et animé par Noureddine El Hachami.

Le thème : « Journalisme économique, réalité et perspectives » ; le parterre d'intervenants et les participants constituaient à vrai dire un moment privilégié sur une question qui taraude les esprits et suscite un vif intérêt de la société.

Car, au-delà du simple constat que la presse économique a un rôle particulier à jouer, notamment en tant que « lien naturel entre l'entreprise et les journalistes, producteurs de l'information », le débat, passionnant et courtois, qui a duré quelque cinq heures, a mis en évidence la nécessaire révision des comportements des journalistes eux-mêmes, des décideurs ensuite dont la tendance à la rétention de l'information n'est un secret pour personne.

D'un bout à l'autre du colloque articulé sur trois volets, une exigence surplombait les interventions : la gestion de l'information en amont et en aval, c'est-à-dire au départ par les émetteurs et à l'arrivée par le récepteur, est devenue non seulement une vision qui s'impose mais une vision stratégique pour les entreprises.

Pour un peu, on sacrifierait à cette formule que l'information, c'est le pouvoir. Et de fait, dans un monde qui avance à cadences rapides, où la Bourse tire toujours en avant, aussi bien vers le haut que vers le bas, la maîtrise de l'information est désormais une règle. Parce qu'il y va de la crédibilité d'un gouvernement, d'une entreprise, d'une institution voire d'un individu.

Et Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au Plan, n'avait pas tort de souligner dans son intervention que « le Marocain, pendant longtemps échaudé par les manipulations ou la dissimulation des expressions statistiques de la réalité économique, sociale et politique, a développé un certain scepticisme vis-à-vis de l'information institutionnelle».

On devrait ajouter que si «manipulation institutionnelle » il y avait, elle avait son pendant également chez une certaine presse prompte à mettre en doute « l'information vraie », celle du fait brut, à la soumettre, comme dira Moulay Driss Alaoui M'Daghri, à « leur propre grille sans efforts de recoupement ».

Dans quelle mesure, les chiffres du chômage, de l'inflation et du taux de croissance, livrés au débotté par une seule et unique source, peuvent emporter l'adhésion d'un journalisme critique, prompt à douter de tout, à tailler des croupières à l'information institutionnelle ? Les interventions se sont axées sur l'environnement du journalisme économique, dominé par un faux débat, celui de la Vérité, laquelle serait menacée à son tour par la manipulation.

Heureusement, la parenthèse fut brève, et des sujets comme la prévision économique et celui de la veille économique et de l'intelligence économique sont venus temporiser les ardeurs d'un échange contradictoire.

Ahmed Lahlimi, qui aura procédé avec ardeur à un plaidoyer pro domo de l'information statistique, a déploré que la presse économique soit limitée à un microcosme. Ce à quoi a répondu Ahmed Azirar, président de l'AMEEN, que la presse économique doit jouer un rôle non seulement de « repreneur de l'information, mais de producteur ».

Il appuyait son dire sur le sondage réalisé par son association selon lequel 63 % des décideurs s'informaient à travers la presse économique écrite ; une forte majorité donc qui glanent en priorité les informations sectorielles (31 %) et spécialisées (21 %).

Moulay Driss Alaoui M'Daghri, pour qui l'information et le journalisme ne sont pas étrangers, témoin privilégié s'il en est de leur évolution, a développé un exposé brillant sur les valeurs et les exigences du métier qui se résument à un bréviaire de déontologie : le recoupement, la vérification détaillée, le respect des faits, l'équilibre dans l'analyse et l'intégrité. Deux exigences suprêmes sont suspendues à cette grille : le bien écrire et le bien lire, dit-il.

L'ancien ministre de la Communication, professeur émérite et chroniqueur subtil aussi, invite en réalité à un débat majeur, celui de l'état d'âme d'une presse où se croisent cruellement deux impératifs : la liberté et la responsabilité.

En matière d'information économique, ce diptyque ne saurait constituer un dilemme, sauf que le journaliste ne peut jouer avec les chiffres ou dénaturer l'information et le décideur manipuler le journaliste. C'est à cela que s'est attelé Rachid Belkahia, membre de la CGEM, venu parler avec brio de « l'entreprise marocaine et l'information économique».

Une phrase en effet, lancée par lui, a d'emblée donné le ton et n'a pas manqué de faire mouche: « Trop d'information ne tue-t-il pas l'information ? » Son intervention est de savoir comment asseoir une bonne gestion de l'information et des savoirs ; comment l'entreprise, sous peine de périr, devrait s'inscrire dans la problématique globale des mutations et des changements.

Comment gérer en somme le flux d'événements que les nouvelles technologies génèrent et être à l'écoute des opportunités - qui sont aussi autant de menaces - que la surabondance de l'information fournit ? Pour lui, il faut rationaliser, raisonner aussi de manière à ce que l'information ne soit pas autre chose qu'une arme stratégique au «service de la performance économique et de l'emploi ».

Mehdi Mimoun, ancien ambassadeur du Maroc en Chine, aujourd'hui responsable du département économique au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, s'est fait le héraut du partenariat entre Administration et presse économique, se disant convaincu que le rapport entre les deux a évolué malgré des moments difficiles dus notamment au manque de maturité réciproque, à la méfiance aussi…

La mondialisation, l'évolution internationale imposent une révision des comportements et la presse peut désormais se nourrir des données, des chiffres et des informations que son département met à la disposition des uns et des autres.

Président du groupe Eco Média, éditorialiste et universitaire, Abdelmounaïm Dilami, qui est également président de la Fédération nationale des éditeurs de presse, a lancé un regard frais, optimiste mais réaliste sur le statut d'une presse économique dont les débuts, souligne-t-il, avaient été marqués par « La Vie Economique ».

Pour lui, la presse est devenue une réalité économique, il y a belle lurette qu'elle a quitté les sentiers glorieux de l'artisanat. La presse s'est transformée, à l'instar des entreprises, en une véritable industrie avec ses critères spécifiques, ses obligations de résultats, ses investissements incessants, son encadrement en termes de ressources humaines, bref ses exigences de rentabilité.

M. Dilami a surtout mis l'accent sur l'équation redoutable que « l'indépendance, c'est l'autonomie financière ». Il a souligné que celle-ci passe par un investissement continu et, poussant la transparence à son bout, a donné les chiffres qui caractérisent l'évolution de son groupe qui réalise un chiffre d'affaires de 121 millions de dirhams, investit 21 millions de DH en papier, 19 millions de DH en imprimerie et mobilise 28 millions de dirhams en salaires.

Une entreprise de presse devenue en somme une entreprise tout court ; productrice d'information et de valeur intellectuelle. Le colloque, qui a duré une après-midi, marqué par un vif échange, a ouvert de nouvelles perspectives et, pour la première fois, une brèche dans les croyances.
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