Spécial Marche verte

La chirurgie dentaire daterait du Néolithique

10 Avril 2006 À 14:37

Dans les plus anciens villages du Néolithique, aux débuts de l'élevage et de la culture des céréales, des artisans maîtrisaient déjà les rudiments de la chirurgie dentaire, allant jusqu'à forer l'émail et la dentine sous-jacente sur plus d'un millimètre de profondeur.

Une équipe internationale d'anthropologues et d'archéologues a retrouvé sur le site pakistanais de Mehrgarh les restes de neuf hommes et femmes adultes, présentant une (ou plusieurs) interventions sur l'une de leurs molaires, ont indiqué ses représentants lors d'une conférence de presse à Paris.
Les cavités sont nettes et semblent avoir été préparées d'un coup de silex tranchant destiné à fissurer l'émail. Un tour à archet devait permettre d'actionner une fraise primitive formée d'une mince pointe de silex.

Après l'intervention, le travail était parachevé avec un scalpel de pierre. «C'étaient des interventions de qualité», souligne Roberto Macchiarelli de l'Université de Poitiers, l'un des auteurs de la découverte, qui fait l'objet d'une publication dans le magazine scientifique «Nature» de jeudi.

Pour Jean-François Jarrige, président du Musée Guimet et chef de la mission archéologique française de l'Indus, on a affaire à des artisans qui savaient débiter le silex et placer un choc avec beaucoup de précision. Ils appliquaient probablement là les techniques déjà élaborées au cours des âges pour polir les perles de lapis-lazuli ou de turquoise retrouvées dans les sépultures de la région. Et surtout pour percer les minuscules trous – moins d'un millimètre – nécessaires à leur assemblage sous forme de colliers.

Les dents retrouvées remontent à une période entre 7.500 et 9.000 ans. Dès cette époque, «la capacité technologique jouait un rôle absolument essentiel» dans cette région où va fleurir plus de 3.000 ans plus tard l'une des civilisations les plus brillantes de l'histoire de l'humanité primitive, relève M. Jarrige.

Reste maintenant à déterminer pourquoi des hommes acceptaient de se soumettre à une opération aussi douloureuse, qui, pour un homme moderne du moins, constituerait une torture abominable. L'usure des dents retrouvées atteste que l'opération était pratiquée sur des êtres vivants.

Pourtant, toutes les dents traitées ne présentent pas des signes clairs de carie. L'hypothèse esthétique peut aussi être exclue, puisque seules des molaires – par nature peu visibles – ont été ainsi traitées. Les dents traitées sont souvent très abrasées, ce qui devait provoquer de pénibles inflammations chez la personne affectée. «Faire un trou pour laisser échapper la douleur est un mécanisme intuitif», avance M. Macchiarelli.

Certaines cavités présentent des traces de bitume, une matière naturellement présente dans la région et utilisée en médecine traditionnelle. Les trous pouvaient aussi être remplis d'extraits de plantes apaisantes, comme l'opium ou l'éphédra qui poussent localement, spéculent les chercheurs.

Dans le monde, on ne connaissait que quelques cas isolés de dents ainsi traitées au Néolithique (en Scandinavie, en Amérique amérindienne). Mais jamais un site n'en avait produit plusieurs. De surcroît, les dents retrouvées à Mehrgarh proviennent d'une époque s'étalant sur plusieurs centaines d'années.

Il existait donc sur les rives de l'Indus une véritable tradition, «enracinée dans la culture locale», de chirurgie dentaire, des milliers d'années avant que les arracheurs de dents ne fassent leurs premières armes.
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