La responsabilité médicale entre l'obligation de résultat et de moyens
Lorsqu'un accident survient au cours d'une intervention chirurgicale ou des suites de celle-ci, le patient, victime de cette complication, demande généralement réparation. Au Maroc, les tribunaux traitent de plus en plus d'affaires qui mettent en avant la
LE MATIN
17 Avril 2006
À 15:23
«En cas de complication dans le cadre d'une chirurgie esthétique, le patient peut s'adresser au tribunal civil. Mais s'il privilégie la sanction pénale, il peut s'adresser au procureur du Roi qui exercera l'action publique. Si la culpabilité du médecin est retenue, la victime peut demander à ce que le juge statue également, dans le cadre du pénal, sur la réparation matérielle du dommage. Mais il faut absolument prouver la faute du chirurgien», explique le professeur Abdelali Chekkoury-Idrissi, chef du service de chirurgie maxillo-faciale, chirurgie esthétique et réparatrice de la face à l'hôpital du 20-août et chargé de cours des diplômes d'expertise médicale.
Hôpital du 20-Août, service de chirurgie maxillo-faciale, chirurgie esthétique et réparatrice de la face. Mounia, jeune étudiante de 20 ans, est venue spécialement de Fès pour une consultation. Elle souffre d'une malformation congénitale et n'en peut plus de vivre avec un tel handicap.
«Je voudrais faire une chirurgie esthétique pour des séquelles de fente labiale», dit-elle au professeur Abdelali Chekkoury-Idrissi, chef de service de chirurgie maxillo-faciale, chirurgie esthétique et réparatrice de la face à l'Hôpital du 20-Août. Ce dernier nous explique qu'elle a le nez tordu ainsi que des séquelles nasales et maxillaires avec une dysmorphose.
Après l'avoir écoutée, il persiste à lui expliquer que son cas suscite une chirurgie réparatrice et non esthétique. Et de conclure : «Je ferais tout mon possible. Mais je ne peux pas garantir le résultat à 100 % parce que les tissus peuvent avoir des réactions imprévisibles».
En effet, ce que les spécialistes appellent «aléa thérapeutique» peut faire basculer les résultats des opérations, qu'elles soient esthétiques ou réparatrices. Une différence qui pèse lourd dans la balance de la justice en cas de poursuite judiciaire à l'encontre du praticien. D'où la nécessité de tracer des limites entre ces deux spécialités, chirurgie esthétique et chirurgie réparatrice, qu'englobe une même discipline qui est la chirurgie plastique.
Telle qu'elle est définie par le docteur Mohamed Guessous, chirurgien esthétique : «La chirurgie réparatrice consiste à réparer et à reconstruire les séquelles d'un traumatisme, d'une brûlure, d'une chirurgie carcinologique mutilante ou d'une malformation congénitale. Elle apporte une transformation allant de «l'anormal ou pathologique» vers le «normal». «Quant à la chirurgie esthétique,» elle s'intéresse à l'aspect cosmétique et fait passer du «normal» vers le «beau» en dehors de toute nécessité thérapeutique.
C'est la chirurgie de rajeunissement et d'embellissement, dont la pratique relève de l'art chirurgical, située à mi-chemin entre la chirurgie et l'esthétisme. Elle permet actuellement de remodeler la silhouette, redessiner le galbe des cuisses et de la taille, retendre le ventre abîmé par les grossesses, retrouver l'ovale du visage altérée par l'âge, éliminer rides et ridules, réimplanter les cheveux ou tout simplement retrouver l'éclat de sa beauté».
Quand il s'agit de chirurgie réparatrice, le chirurgien est lié uniquement par un contrat de moyens, contrairement à la chirurgie esthétique, qui utilise les mêmes principes et les mêmes techniques que la chirurgie réparatrice, mais impose, elle, une obligation de résultat.
«Raison pour laquelle la jurisprudence est tentée parfois de mettre à la charge de la chirurgie réparatrice une obligation de résultat», comme le précise le Pr Chekkoury. On se demande si cette déclaration n'a pas un lien direct avec l'affaire Fatima Bennour, qui a perdu son nez suite à une opération chirurgicale qui a été définie comme étant esthétique à l'issue de l'expertise médicale, mais qui a été jugée comme étant réparatrice par un collectif de spécialistes.
Pour Dounia, si jamais les choses tournent mal, et qu'elle décide de recourir à la justice, la décision du tribunal sera différente selon qu'il s'agisse de chirurgie esthétique ou réparatrice. Dans son cas, il est clair que son opération entre dans le cadre de la chirurgie réparatrice. C'est d'ailleurs pour cette raison que le spécialiste a tenu à éclaircir la situation.
Toutefois, cette notion d'obligation de moyen et de résultat a beaucoup évolué, étant donné l'évolution de la définition par l'OMS de la santé, qui stipule que : «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». Ce qui impliquerait que la chirurgie plastique entre dans la case générique de «Santé».
C'est d'ailleurs pour cette raison que notre expert n'hésite pas à avancer que la chirurgie esthétique obéit à une obligation de moyens renforcés par une information exhaustive et par le bon choix des indications. Il insiste sur le fait que : «L'étude de la responsabilité en chirurgie esthétique montre que les jurisprudences évoluent avec les époques et tiennent compte des progrès techniques et de l'évolution de la société. L'obligation qui était de résultat est devenue une obligation de moyens.»
De même que l'aléa thérapeutique n'est jamais écarté. Par conséquent, en cas de complication, même en chirurgie esthétique, les praticiens demandent qu'une enquête soit menée pour s'assurer qu'il y a eu effectivement une faute caractérisée avant d'engager la responsabilité du chirurgien.
Une responsabilité qui implique aussi bien les robes noires que les blouses blanches, qui doivent œuvrer en étroite collaboration pour mettre toute la lumière sur l'affaire, par le biais d'une expertise menée selon les règles de l'art. Celle-ci est assurée au mieux par la collégialité.
«Trois experts sont associés pour dominer à la fois les bases juridiques de la responsabilité et le côté technique de l'éventuelle erreur médicale : un expert de la spécialité concernée par l'erreur médicale supposée, un médecin légiste et un autre expert en fonction des besoins de l'expertise», conclut le Pr Chekkoury, également chargé de cours des diplômes d'expertise médicale, de médecine d'assurance et de médecine légale à la Faculté de médecine de Casablanca.