Les méthodes ont évolué et la dépendance est restée la même
LE MATIN
02 Décembre 2006
À 17:43
"Il m'aime ou il ne m'aime pas ? ", " Vais-je me marier cette année ? ", " Mon patron m'accordera-t-il une augmentation ", " ma belle mère m'a –t-elle jeté un sort ? ", " Mon projet va-t-il réussir ? "… Mille et une questions que se pose chacun de nous au quotidien. Il y a ceux qui croient au destin et se disent " advienne qui pourra " et ceux qui paniquent et craignent au plus haut point ce que leur réserve le lendemain.
Ces derniers sont incapables de prendre une décision ou d'affronter un passage à vide sans consulter cartes, devins ou horoscope. La voyance fait partie de leur quotidien. C'est "une angoisse face à la vie et un manque de confiance en soi qui peuvent créer une vraie dépendance, surtout chez ceux qui utilisent la divination d'une manière compulsive. Au point, dans des cas extrêmes, de se ruiner", selon Najwa Alami, psychothérapeute. "Jamais je n'oublierais le grand bien que m'a fait ma consultation chez une voyante, J'étais arrivée chez elle à deux doigts du suicide, j'en suis ressortie regonflée.
C'était la période la plus difficile de ma vie, je voyais mon couple partir en fumée. A partir de là, à chaque clash à la maison, au travail, avec une amie, systématiquement, je pars la voir, c'est devenu une drogue", confie Salma, une jeune cadre de banque. Ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui, nos aînés s'y adonnaient aussi. A la seule différence que la seule manière de consulter était d'aller chez une voyante ou chez un fqih.
A chacun sa méthode, "Je partais une fois par mois chez Hajja Hnia, une voyante qui habitait le quartier voisin, pour voir si tout allait bien chez moi et si mon mari se tenait à carreau. Ses cartes étaient magiques, elles me révélaient tout dans le détail et sans la moindre erreur en vingt ans.
Avec le temps, elle était devenue mon amie et sans son aide, je suis sûre que mon mariage n'aurait pas tenu. Depuis qu'elle est morte je n'ai pas cherché quelqu'un d'autre et puis je n'ai plus non plus à surveiller mon mari, il s'est assagi avec le temps.", nous raconte Rabiâ, une mère de famille à Meknès.
Un autre exemple, dans une autre ville. Hadj Mahjoub, un commerçant à Marrakech. Son souci était la réussite de ses affaires avant qu'il ne prenne sa retraite et que ses fils ne prennent la relève. "J'avais un ami, fqih à ses heures perdues, que je consultais avant de lancer la moindre affaire. Il procédait au " h'sab " (numérologie) et selon le résultat de ses calculs, il me conseillait. Les rares fois où je n'ai pas suivi ses prémonitions, j'ai réellement perdu mes placements. Que Dieu me pardonne mais il ne se trompait jamais ! ", nous confie Hadj Mahjoub.
De nos jours femmes et hommes, jeunes et moins jeunes s'adonnent toujours autant aux consultations de devins. Et heureusement, il y en a qui se trompent.
" Pendant trois ans, j'ai été très amoureuse d'un homme qui ne voulait pas s'engager, se souvient Lylia, 29 ans. Je me suis fait tirer les cartes quotidiennement par une amie voyante professionnelle. Jour après jour, elle me décrivait ses sentiments pour moi, m'assurait qu'il m'aimait et allait se décider. Elle s'est trompée. En m'accrochant à l'espoir qu'elle me faisait miroiter, j'ai perdu trois ans". Le seul fait " nouveau ", dans le monde de la voyance chez nous, est la voyance à l'occidentale. Astrologie, tarots, numérologie, astrologie chinoise et oracles font désormais partie de notre quotidien.
Ses adeptes sont surtout les jeunes. Il n'y a même plus besoin de se déplacer. On peut recevoir son horoscope tous les jours de la semaine sur sa boite e-mail et consulter tarots et oracles sur le net. "Franchement, tous les jours je jette un coup d'œil sur mon horoscope, c'est devenu un réflexe au réveil. Ces prévisions programment quelque part ma vie. Mon humeur de la journée dépend en grande partie de mon horoscope.
C'est mon journal météo ! ", nous explique Imane, responsable médias. Pourquoi cette obsession de l'avenir ? Doutons-nous d'en avoir un ? Si c'est le cas, plus que d'un voyant ou d'un horoscope c'est d'un remède contre l'angoisse dont il faut s'armer. Les adeptes ont peut-être besoin de surtout savoir qui ils sont, pouvoir parler d'eux-mêmes… et entendre des choses les concernant. Un psychothérapeute serait sans doute plus efficace. --------------------------------------------
La peurl'imprévisible
«Les clients assidus des voyants ou des astrologues sont souvent des anxieux, présentant des tendances dépressives. Ils ne supportent pas l'incertitude et les nécessaires frustrations de l'existence, et cherchent à être rassurés, constate Najwa Alami, psychothérapeute.
Ils appréhendent les changements ou les moments de vide, lorsqu'ils se retrouvent seuls face à eux-mêmes. Pour eux, la vie se résume à cet "autre" maléfique, dangereux, toujours prêt à les persécuter, à les gratifier de mauvaises surprises.
Au-delà des questions posées à leurs devins, leur demande véritable est : "Vais-je enfin connaître un bonheur sans ombre, sans risque de bouleversement?" ». Pour eux, le thème astral, le jeu de tarot, la parole du devin, sont les maîtres absolus des trois principaux motifs de consultation : amour, travail, santé.
La meilleure manière de s'en sortir est de prendre conscience qu'"il y a les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Concentrez-vous sur les premières et laissez les secondes advenir (l'amour qui se fait attendre, la promotion qui ne vient pas…).
Au lieu de vous obstiner à les prévoir, apprenez à vous relaxer, à jouir de la vie, à prendre vos distances", conseille la spécialiste.