Spécial Marche verte

Le cancer de la prostate tue

Un dépistage, simple d'usage, permet d'éviter une mort précoce et bien des souffrances

13 Mars 2007 À 17:10

Le cancer de la prostate est devenu le cancer le plus fréquent et la deuxième cause de mortalité par cancer chez l'homme. A titre d'exemple, aux Etats-Unis, un cancer de la prostate est diagnostiqué toutes les trois minutes et un décès par cancer est enregistré toutes les quinze minutes, alors que peu d'hommes meurent de maladies cardio-vasculaires. Ce message est rarement affiché dans la presse publique.

D'anciennes études d'autopsie d'hommes morts de causes diverses montrent que 30% de 50 à 59 ans, 40% de 60 à 69 ans et 67% de 70 à 79 ans ont un cancer de la prostate. Cette explosion cellulaire évoluait souvent - mais pas toujours - lentement comparée à la croissance tumorale dans d'autres organes. Ce qui fait souvent dire, à défaut, que beaucoup d'hommes meurent avec leur cancer que de leur cancer. Ces données étaient valables pendant la décennie 1960-1970 où l'espérance de vie était faible. Aujourd'hui, celle-ci est devenue plus longue et le cancer a le temps de croître, de prendre du volume et d'évoluer vers des métastases.

Des études récentes de plus de 90.000 certificats de décès à l'université de l'Utah ont montré, a contrario, qu'une grande proportion d'hommes meurt de leur cancer. Un cancer de la prostate diagnostiqué avant 65 ans tue trois fois sur quatre s'il n'est pas traité.

Il paraît donc raisonnable d'informer les patients que le fait de réaliser un dépistage individuel, alors qu'ils sont asymptomatiques, leur offre les meilleures chances d'éviter un décès lié au cancer de la prostate. La réduction de la mortalité par cancer enregistrée actuellement aux USA, en France, en Australie et en Europe est souvent attribuée à cette tendance, à cette "politique" agressive de diagnostic précoce.

Le diagnostic du cancer de la prostate basé sur l'apparition des symptômes urinaires, (ce qui représente environ 70-80 % des cas au Maroc) est un diagnostic tardif avec des risques métastatiques importants où la survie est très limitée et qui est de l'ordre de 36 mois. Quand l'urologue annonce le diagnostic d'un cancer avancé ou métastatique de la prostate à son patient, celui-ci entre dans un trouble où se mêlent surprise, incrédulité et peur. Dans une deuxième étape, le malade souhaite bénéficier du meilleur traitement. Dans une troisième phase, il culpabilise en recherchant dans son mode de vie la cause.

N'en trouvant pas une, il s'interroge et réclame un responsable. Il le découvre en la personne de son médecin.
Pourquoi ? Parce que le patient apprend qu'il existe un test sanguin spécifique de la prostate : le PSA (antigène prostatique spécifique) qui lui aurait permis de détecter sa maladie à un stade précoce et donc curable. Parce que son médecin ne lui a pas prescrit et s'est contenté d'examens de routine, alors qu'un homme sur sept, après 50 ans, est atteint de ce cancer.

Car ce test a la réputation d'être faussement coûteux (300 à 400 DH !!!) et n'est donc pas largement prescrit par souci de non-remboursement par les assurances. Autrement dit, les patients qui ont la chance d'être soignés par un médecin « éclairé», ainsi que ceux qui connaissent ce test et qui sont demandeurs peuvent espérer être dépistés à temps et éviter une mort précoce et des souffrances intolérables.

25% des hommes avec un cancer de la prostate meurent par leur cancer, ce qui est similaire au pourcentage de décès chez la femme par cancer du sein. Il existe un véritable décalage entre l'homme et la femme dans la prise de conscience de la gravité de ce fléau.
Interroger une femme sur le cancer du sein, elle y est très sensible et il est fort probable qu'elle vous cite son incidence, la stratégie de prévention... Interroger un homme sur le cancer de la prostate, il vous répondra "De quoi s'agit-il ?".

En France, depuis l'annonce publique de la maladie du président François Mitterrand, le nombre de consultations chez les urologues pour le dépistage individuel du cancer de la prostate a pris un rythme galopant. Aux USA, mieux encore, des hommes influents, tel que le général Norman Schwarzkopf, le sénateur Bob Dole et Andy Grove ont changé le profil de la maladie en rendant publique la discussion médicale de leur cas. Dans un article de "Fortune" intitulé "Taking on prostate cancer", Andy Grove a précisé : "les tumeurs vont grandir.

Parfois elles vont progresser rapidement, parfois plus lentement, mais de toute façon elles vont grandir. Si un de mes amis a cette maladie, mon conseil pour lui est : fais un traitement et fais le rapidement, soit
agressif dès le début".
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Qu'en est-il au Maroc ?

"Silence radio…" Riches ou pauvres, influents ou anonymes, les patients atteints
de ce fléau en font un tabou, car malheureusement, le cancer est encore dans notre contexte socio-familial une maladie sur laquelle il ne faut pas
s'exprimer, discuter ou porter un avis.
Notre responsabilité, nous autres urologues, est d'essayer de réduire la mortalité par cancer de la prostate car si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
Aujourd'hui, nous avons les moyens de faire un diagnostic précoce qui doit être proposé chez tous les hommes de plus de 50 ans et jusqu'à 75 ans, c'est à dire ceux dont l'espérance de vie est supérieure à 10 ans. L'existence chez certaines personnes de facteurs de risque comme des antécédents familiaux de premier au deuxième degré, ou des origines
afro-américaines, justifie un dépistage plus précoce à partir de 45 ans.

- Un toucher rectal:

il reste indispensable car 10 à 15 % des cancers de la prostate sont révélés par cet examen, alors que la valeur du PSA total est inférieur à la valeur seuil de normalité. Mais l'absence d'induration de la prostate au toucher n'exclue pas la présence d'un cancer existant.

- Un dosage sérique du PSA total :

il suffit en première intention. Le dosage associé de la fraction libre du PSA n'est pas indiqué en routine. Il faut s'assurer de l'absence d'infection uro-génitale. La plupart des recommandations considèrent que le seuil de décision est de 2,5 ng/ml.
Une valeur sanguine au-dessus de 2,5 ng/ml nécessite l'avis d'un urologue pour juger de l'opportunité de biopsies prostatiques transrectales.
En fait, le taux sérique du PSA doit être interprété en fonction de l'âge, des antécédents familiaux, du volume prostatique évalué par échographie et de l'évolution du taux du PSA dans le temps (vélocité).

- Si la valeur est normale,

il convient de prescrire cet examen annuellement et de le faire réaliser dans le même laboratoire pour pouvoir interpréter les variations de résultats successifs. Lorsqu'un patient souhaite savoir s'il est atteint d'un cancer de la prostate, il doit être informé des limites des dosages sériques du PSA, des bénéfices et des risques du dépistage et des éventuels traitements.

Par Mohamed Mounir Charif Chefchaouni
Chirurgien urologue


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