Spécial Marche verte

Un espoir qui fait vivre

Il y a des jours où elles ne «gagnent» que la fatigue

07 Septembre 2007 À 16:23

«Depuis 9 longues années, mes jours sont exactement les mêmes ; je viens ici du matin au soir, en attente d'une personne cherchant une bonne. Et c'est ainsi que je vois mes années à venir. »
Ce sont les propos douloureux d'une femme de mowqef à Rabat (Agdal), accompagnée d'une dizaine d'autres, toutes des femmes de ménages en quête de clients.

Regroupées dans un coin de la rue, elles bavardent et partagent souvent leurs douleurs, à l'écart des cafés qui les entourent et de la densité du lieu. Beaucoup de passants, mais peu s'aperçoivent de leur présence. Le plus souvent, ce sont elles qui se font remarquer : en apercevant de nouveaux visages ou des voitures passant, elles crient « khdama » (bonne), pour ceux qui seraient intéressés.

Elles sont nombreuses à faire de ce métier leur gagne-pain ; chacune d'elles vient d'une région différente (Temara, Takkadoum, Yaâcoub Mansour…), utilisant le bus comme moyen de tran114. Leurs provenances sont donc diverses mais leur condition de vie se ressemblent : habitat insalubre, prise en charge de toute une famille, scolarisation des enfants,… toutes luttent afin de subvenir à leurs besoins les plus fondamentaux et de pouvoir survivre elles et leurs enfants : « j'ai deux fils, et une fille au baccalauréat, et je ferai l'impossible pour leur permettre de poursuivre leurs études et de travailler.

Je ne reproduirai jamais l'erreur de mes parents, une erreur pour laquelle je paye aujourd'hui très cher », avance khadija avec grand regret, 45 ans, femme de mowqef depuis 11 ans, obligée par ses parents à quitter l'école l'année de son baccalauréat pour se marier. Aujourd'hui, son mari n'assume aucune responsabilité et travaille de façon très irrégulière : « tout ce qu'il sait faire c'est rentrer soul à des heures tardives et dormir pendant toute la journée », confesse Khadija avec beaucoup de peine.

N'ayant aucune autre solution en vue, ces femmes se dirigent vers ce même lieu pour la majorité d'entre elles, quotidiennement, et attendent, dans l'espoir de trouver un client. Cependant, très souvent, cette attente devient longue et anéantit leur espoir progressivement au fil des heures. « Il y a des jours ou je ne gagne rien sauf la fatigue », déclare désespérément une autre femme de ce mowqef d'Agdal ; elle avoue tout de même que dans ses jours les plus chanceux, elle réussit à récolter une somme allant jusqu'à 500 DH.

Leurs revenus sont différents mais toutes s'accordent sur une même chose : même la somme la plus élevée qu'elles peuvent gagner reste insuffisante ; « les périodes où il y a le plus de travail sont « l'ouacher », ramadan et les rentrées scolaires, où le revenu peut s'élever jusqu'à 1.000 DH ; alors comment faire ? Payer le local, l'eau et l'électricité ou satisfaire les besoins de nos enfants ? », déclare Fatiha, veuve et en charge de quatre enfants ; elle avoue même, avec une voix intimidée, que très souvent elle s'est vue dans l'obligation de mendier pour ne pas laisser ses enfants dans la faim.

Victimes de l'injustice de la vie, elles sont aussi victimes de l'injustice humaine ; elles subissent le comportement immature des passants qui peut aller du mépris jusqu'à la violence verbale. Quant aux propriétaires des maisons où elles sont amenées à travailler, certains font preuve de beaucoup de respect, d'autres attendent qu'elles aient fini leurs tâches pour leur refuser le montant promis; «un désaccord qui va parfois jusqu'à la bagarre », avance l'une d'elles avec un certain dégoût.

La majorité des femmes de ce mowqef ne dépassent pas les 45 ans, et pourtant leurs visages donnent l'impression qu'elles en ont davantage ; des visages qui expriment beaucoup de fatigue et de souffrance, des yeux tristes et une pâleur révélant leurs problèmes de santé : certaines sont diabètes, d'autres ont une hypertension ou des problèmes cardiaques ; des maladies qui demandent un traitement coûteux et régulier… Pourtant, malgré toutes ces entraves, ces femmes se dépassent et gardent un certain espoir, l'espoir en Dieu et en leurs enfants, se reflétant par un sourire qui illumine de temps à autre leurs visages. n

*journaliste stagiaire
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L'«agence de recrutement» de rue

Le «mowqef», lieu où se regroupent toutes sortes de petits métiers, abrite en effet une multitude de petits services : bâtiment, travaux domestiques, ainsi que d'autres petits métiers comme les multiples réparateurs, bricoleurs de toutes sortes, plombiers, électriciens ou installateur d'antenne parabolique… Les «moaqfia» (les candidats du mowqef) s'alignent au bord d'un trottoir avec leurs outils simples et peu coûteux.

Contrairement aux femmes de ménage, les bricoleurs n'ont généralement pas besoin d'111peller les passants, à pieds ou en voiture les clients affluent…

Ces « agences de recrutement» de rue se situent généralement, dans les quartiers périphériques ou près des vieux noyaux urbains
dont les logements vétustes nécessitent de perpétuelles réparations.
Aucun quartier n'est épargné en fait, chic comme populaire. Seuls l'offre et les prix
changent.
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