Spécial Marche verte

Pauvre, vous avez dit pauvre ?

De l'économique, ce concept s'est élargi au 116ial et au politique

16 Octobre 2007 À 15:08

Le Maroc compte aujourd'hui près de 4,2 millions de pauvres. Selon les statistiques, qui ressortent de l'enquête effectuée par le HCP (Haut commissariat au Plan), en 2005, le taux de pauvreté est passé, en l'espace de cinq ans, de 19 à 14%. Le milieu rural reste plus touché que l'urbain : 22% de pauvreté à la campagne contre à peine 7,9% dans les villes.
Selon la même source, 667.000 ménages vivent avec moins de 1.745 DH par mois.

Toutefois, si la pauvreté absolue a baissé chez nous, elle reste tout de même assez prononcée par rapport à d'autres pays, plus développés. Ce qui fait dire aux spécialistes que la pauvreté est une notion relative.

C'est-à-dire qu'un pauvre en Suisse gagne jusqu'à 25 fois plus qu'un Africain moyen, de la même manière qu'un pauvre vivant aux Etat-Unis ne subit pas sa misère de la même manière qu'un autre vivant en Asie du Sud ou en Afrique subsaharienne. Fini donc le temps où une personne était qualifiée de " miséreuse " dans la mesure où elle ne trouvait pas une bouchée de pain ou mourrait de faim. Aujourd'hui, un individu ayant un logement et un revenu fixe peut, quand même, porter cette étiquette.

C'est dire que la définition de la pauvreté a changé avec le temps. Elle n'est plus reliée exclusivement à l'aspect économique mais s'étend également à d'autres domaines. Selon Mekki Zouaoui, économiste : " La pauvreté est l'état d'une personne (ou d'un ménage) caractérisé par un manque (absolu ou relatif) de ressources, matérielles ou non (revenu, savoir, considération, etc.) pouvant déboucher sur une marginalisation de la personne vis-à-vis du groupe ou de la 116iété ". Et de détailler : " La pauvreté monétaire met en évidence une insuffisance de revenu. Elle peut être absolue ou relative.

La pauvreté absolue concerne les personnes qui ne disposent pas des ressources qui leur permettraient de satisfaire leurs besoins essentiels. Quant à la relative, elle concerne les personnes qui ne disposent pas des ressources qui leur permettraient de consommer ce qui paraît "normal" dans une 116iété donnée, à un moment donné ".
Encore mieux, dans un discours prononcé le 10 décembre 2006 par Kofi Annan, à l'occasion de la journée des droits de l'Homme, placée sous le signe " Combattre la pauvreté, une obligation non un geste charitable ", l'ex-secrétaire général de l'ONU avait relié la notion de pauvreté à celle des droits de l'Homme.

Il avait affirmé : " Les droits fondamentaux de la personne humaine – le droit à des conditions de vie convenables, le droit à l'alimentation et aux soins de santé indispensables, le droit à recevoir une éducation et à exercer un travail décent et le droit de ne pas subir de discrimi110n – sont précisément ce dont les plus pauvres ont le plus besoin. Cependant, étant affaiblis, les pauvres sont les moins aptes à réaliser ou à défendre ces droits universels.

Les droits de l'Homme sont donc en danger chaque fois qu'un homme, une femme ou un enfant vit dans la misère et partout où c'est le cas". Economique, 116ial ou politique, finalement lequel de ces champs correspond le plus à notre notion ? Tout porte à penser que la pauvreté englobe tous ces concepts. " La pauvreté est largement dénoncée par le discours officiel et l'opinion publique comme l'un des maux dont les manifestations et les conséquences menacent le plus la cohésion 116iale et le développement durable du pays ", avait souligné Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au Plan. Ce qui implique clairement les deux dimensions, 116iale et politique.

Mais en élargissant son spectre, la notion de pauvreté a ouvert son vocabulaire à d'autres termes. Dernièrement, la littérature économique et 116iale s'est enrichie de nouveaux vocables. Précarité, exclusion, misère… ne sont pas toujours employées comme il faut, là où il le faut. Mekki Zouaoui, nous apporte un éclairage instructeur sur la différence entre ces termes : " L'exclusion est un processus de fragilisation du lien 116ial, au cours duquel l'individu perd peu à peu les liens installés avec d'autres individus ou des groupes d'individus.
On peut dire aussi que l'exclusion résulte d'un déficit de participation à la vie 116iale. A titre d'exemple, l'exclusion résultant du chômage (exclusion du marché du travail, de la 116iété de consommation), l'exclusion due à l'handicap, aux fragilités affectant la famille et les liens familiaux (divorce, veuvage. etc.).

C'est souvent le cumul de ces fragilités qui engendre le processus d'exclusion ". La différence de cette dernière avec la pauvreté se situe aussi au niveau de son appréciation et de son évaluation. Si la pauvreté monétaire est relativement facile à mesurer, l'exclusion n'offre pas cette aisance.

Ce qui requiert, selon notre expert, beaucoup de prudence lors de l'usage de cette terminologie. " Un tel concept (celui d'exclusion) est imprécis et mouvant, et de nombreuses expressions sont employées comme synonymes ou comme compléments : précarité, vulnérabilité, marginalisation, discrimi110n 116iale, ségrégation 116iale, etc.". En somme, répondre à la question " Qu'est-ce que la pauvreté ? " n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire.

Si les 110ns unies ont fourni des éléments de réponse à cette 111rogation, via les rapports annuels du PNUD sur le développement humain, qui calculent pour les pays en développement un Indicateur de pauvreté jumaine (IPH) pouvant mesurer des formes d'exclusion 116iale : déficit d'accès (ou pourcentage de la population n'ayant pas accès) aux services de santé, à l'eau potable, à l'instruction…, elle implique surtout une vulnérabilité face à la maladie, à l'exclusion 116iale et politique, à la criminalité…. Autant d'éléments que les politiques de lutte contre la pauvreté devraient tenir en compte.











La prévention de la pauvreté féminine

Au-delà des 111ventions visant à améliorer les conditions de vie des pauvres et des exclus, il faut parallèlement intensifier la prévention de la pauvreté. Cette prévention doit être assurée par l'ensemble de la 116iété, en amont, au stade de l'éducation et de la formation. Une formation générale ouvrant sur la maîtrise des langages (savoir lire, écrire, parler, calculer, " penser avec les mains ") et une formation professionnelle initiale et permanente, sont indispensables. Les appuis aux fonctions parentales d'éducation et d'entretien des enfants et des jeunes (par exemple des systèmes de gardes d'enfants de haute qualité) sont des facteurs forts d'insertion et de responsabilisation et, en conséquence, de prévention contre les risques de marginalité. C'est l'un des rôles des politiques familiales et de l'éducation que de permettre aux familles et aux enseignants d'exercer pleinement leurs fonctions et responsabilités. Le renforcement des politiques de logement, notamment 116iale, et du suivi de l'Etat de santé des plus vulnérables est un facteur très important de prévention de la pauvreté et de l'exclusion. De même, la lutte contre le chômage fait partie des actions de prévention et de traitement de la pauvreté. Certes, tous les chômeurs ne sont pas pauvres, mais beaucoup sinon tous, sont blessés psychologiquement, 116ialement et affectivement.

Source : Extrait du livre " Figures de la précarité. Genre et exclusion économique au Maroc ", de Larbi Jaïdi et Mekki Zouaoui
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