Une mosquée, une église, une histoire partagée

C'est plutôt la preuve par l'image de la liberté du culte au Maroc et, plus particulièrement, celle du respect des convictions de l'autre. Cette vérité est d'autant palpable dans le discours des occupants des deux édifices, les frères franciscains d'une part et les dignitaires musulmans de l'autre, qualifiant le voisin de « frère », sans hypocrisie, mal voilée, ou sous la pression d'une quelconque contrainte. «Masjid Al-Hay Chatoui», ou la mosquée «l'Hivernage», et l'église «Saints Martyrs» ressemblent à deux édifices religieux partageant la même parcelle de terrain, les mêmes valeurs et veillant chacun sur l'autre. Le spectacle est tout simplement d'une rare beauté, à l'image des discours véhiculés de part et d'autre. En ce quinzième jour de ramadan, il devait être un peu plus de 18h00. Le soleil, comme à son accoutumée, s'apprêtait à embrasser son profond sommeil.

Les gens se faisaient de plus en plus rares dans les rues, couvre-feu ramadanesque oblige, au gré de l'approche de la rupture du jeûne. Au niveau de la rue Al-Imam Ali, c'est une autre scène qui se joue, comme orchestrée par un fin maestro. Celle-ci prend toute son ampleur durant le mois sacré à cause justement des rares âmes sillonnant les rues à cette heure-ci. Au gré du crépuscule, un va-et-vient particulier s'invite, soudainement, dans cette rue calme jusque-là. Des femmes et des hommes, à pieds ou quittant leur véhicule, empruntant les deux trottoirs, s'engouffrent de part et d'autre dans les deux édifices religieux.

Deux communautés différentes, en fait, qui se côtoient tous les jours ici. Mais au-delà de leurs différences, ils ont un point en commun et leur présence en ces lieux, à cette heure précise, en est la preuve : toutes deux ont fait le déplacement pour faire la prière, pour le recueillement et la sérénité. D'un côté, on retrouve des musulmans ayant regagné la mosquée l'Hivernage pour la prière d'Al-Maghrib, de l'autre, ce sont plutôt des chrétiens, venus assister à la messe quotidienne qui se tient, à 18h30, à l'église Saints Martyrs. Au risque de se répéter, mais on ne peut s'empêcher d'y penser le spectacle est d'une rare beauté.

Une scène à la grâce manifeste, ne serait-ce qu'à travers un respect mutuel évident, chacun franchissant le seuil de l'une des deux « maisons », sans prêter la moindre attention à ce qui se passe en face. Et c'est tous les jours ainsi, comme si le voisin d'en face n'existait pas.

«Ce sont des gens bien, ils se rassemblent pour leur prière comme nous le faisons. Nous entretenons des relations de respect et de très bon voisinage. Nous nous rendons mutuellement visite quand l'occasion se présente. D'ailleurs, au début de chaque mois de ramadan, tout comme c'est le cas lors des fêtes religieuses, le supérieur de l'église nous rend visite pour nous présenter ses vœux pour l'occasion», explique Tahar Al-Mazlani, gérant et muezzin de la mosquée l'Hivernage, projet né de l'idée de son frère, feu Mohamed.
De l'autre côté, c'est-à-dire juste en face, même son de cloche. En effet, les propos des responsables de l'église Saints Martyrs versent dans le même sens, évoquant un voisinage modèle et un respect dont on ne soupçonnerait pas le degré.

«Je ne suis là que depuis deux ans, mais ça ne diffère en rien des lieux où j'ai eu à travailler des années durant. L'accueil est le même, chaleureux et respectueux, la bonté et la générosité des gens est la même… C'est aussi la même joie qui m'a toujours animé en travaillant au Maroc, mon pays, parmi mes frères marocains qui ont de tout temps fait preuve de respect des convictions et de la religion de l'autre», affirme pour sa part frère André, qui est de service au Maroc depuis près d'une soixantaine d'années, dont 10 ans à Rommani et 44 ans passés dans la région de Tichka.

Pour les fidèles fréquentant le quartier, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, aucun sentiment de gêne n'est occasionné par la présence de l'autre. « Je ne sens aucune différence à fréquenter cette église par rapport à la situation qui prévaut ailleurs. Je pratique et je vis ma religion en toute sérénité, comme je le fais dans mon pays », indique une fidèle originaire de Belgique.

De l'autre côté, les propos ne diffèrent pas d'un iota. «Je ne vois pas comment cette cohabitation pourrait être autrement. En d'autres termes, je ne vois rien d'anormal à ce qu'une mosquée et une église partagent un bon voisinage et des relations empreintes de respect. C'est plutôt la moindre des choses», souligne Khalil, amusé, à sa sortie de la mosquée après la prière d'Al-Maghrib.

Et d'ajouter : «A ce propos, je ne fais pas partie des partisans du terme "tolérance", un mot qui a été galvaudé dans tous les sens, mais pour dire quoi au juste ? Que l'on se tolère mutuellement quoique l'on se haïe ? C'est totalement faux et c'est un terme à bannir à mon sens, car linguistiquement parlant, ce qu'on pourrait tolérer, c'est quelque chose que l'on rejette par nature. Or, ce n'est pas le cas de l'Islam par rapport aux autres religions monothéistes, qui sont par définition admises par l'Islam et les musulmans. Ceux qui viennent d'accomplir la prière à mes côtés sont mes frères, tout comme ceux qui sont en train de prier, là-bas, en face…».

Lui emboîtant le pas, Badr indique que ceux qui auraient quelque chose de différent à dire, à ce propos, ont une tâche capitale à accomplir : «celle de se remettre en question de toute urgence». «Que l'on vienne demain ériger une synagogue entre les deux édifices, je serai le premier à applaudir», déclare le jeune Marrakechi.
Dans cette fantastique histoire de voisinage, les relations ne s'arrêtent pas à la porte de mitoyenneté sur fond de respect de l'autre.

En effet, des actions de bienfaisance sont menées de part et d'autre au niveau des deux édifices. Si tous les vendredis, aux alentours de la mosquée l'Hivernage, des bienfaiteurs offrent à manger, quelques pièces ou quelques vêtements aux personnes nécessiteuses, au niveau de l'église des Saints Martyrs, c'est plutôt le mercredi qui est décrété jour de générosité. « Au niveau de la chapelle, divers médicaments sont gracieusement distribués aux personnes nécessiteuses qui suivent des traitements médicalement prescrits.

De même, certaines personnes dans le besoin se voient même offrir le mouton de l'Aïd Al-Adha », indique-t-on au niveau de la mosquée l'Hivernage.

Et comme tous bons voisins qui se respectent, les Saints Martyrs et l'Hivernage ont, bien entendu, des anecdotes à partager. «Un beau jour, se rappelle Tahar Al-Mazlani, le supérieur a traversé la chaussée et est venu me voir. Il m'a aimablement demandé s'il m'était possible de diminuer le son des haut-parleurs lors de l'appel à la prière. Je lui ai répondu qu'il ne m'était pas possible car c'est une question d'intérêt général, et qu'il est dans mon obligation de faire parvenir l'appel à la prière au plus grand nombre de personnes, soit dans le plus grand périmètre possible. Chose qu'il a parfaitement comprise, puis il a esquissé un sourire avant de regagner sa chapelle».

Depuis qu'elles coexistent, il y a plus d'une dizaine d'années, l'église Saints Martyrs et la mosquée l'Hivernage ne manquent pas d'attirer la curiosité des touristes, qu'ils soient étrangers ou marocains. Dans les alentours, il n'est pas étonnant de trouver des curieux, appareils photos en bandoulière, en train d'immortaliser cette contiguïté des plus inaccoutumées, laquelle est en phase d'allonger la liste des monuments de la vieille cité.
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