Fête du Trône 2006

Moscou entend faire contrepoids à Washington

04 Mars 2007 À 14:01

Vladimir Poutine a récemment effectué une tournée proche-orientale qualifiée d'"historique" par les analystes internationaux. En Arabie Saoudite, au Qatar et en Jordanie, le Président russe a examiné la situation au Moyen-Orient, en Irak et en Iran, tout en tâchant de promouvoir les intérêts des compagnies russes.

La tournée s'est terminée par une rencontre avec le Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas en Jordanie.
En 2005, M. Poutine avait déjà été le premier dirigeant russe d'un tel rang à se rendre en Israël et dans les territoires palestiniens. Ce premier voyage d'un président russe à Riyad, à Doha et à Amman, n'est pas passé inaperçu du côté de Washington et a contribué à tendre un peu plus les relations entre la Russie et les États-Unis.

D'autant qu'à la veille de son arrivée dans une zone sous forte influence américaine, le président russe a donné le ton en prononçant un réquisitoire violent contre la politique de domination "déstabilisatrice" des Etats-Unis, s'attirant les réactions indignées de l'Otan et du sénateur républicain John McCain.
"Les Etats-Unis sortent de leurs frontières nationales dans tous les domaines et cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international", a affirmé le chef de l'Etat russe, devant la 43e Conférence de Munich sur la sécurité.

Il a également critiqué l'intervention anglo-américaine en Irak, soulignant que "des actions unilatérales, illégitimes, n'ont pas réussi à régler les problèmes mais ont au contraire aggravé les tragédies humaines".

Selon les experts, le Proche-Orient est l'unique région du monde où il serait possible de prouver que la Russie joue effectivement un rôle important et où son avis est pris en considération. Moscou a trouvé dans les pays arabes une oreille plus favorable aujourd'hui du fait d'une indéniable convergence sur certains dossiers sensibles, comme le règlement du conflit israélo-palestinien, les questions énergétiques ou même celle du programme nucléaire iranien.

Le Kremlin s'est ainsi prononcé le 7 février lors de la visite du secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, pour une conférence sur le Proche-Orient afin de débloquer le processus de paix. "Nous confirmons notre appel pour une conférence élargie au Proche-Orient et nous constatons le nombre croissant de partisans de cette proposition", a déclaré le chef du Kremlin à Amman.
La Russie fait partie du Quartet des médiateurs internationaux aux côtés des Etats-Unis, de l'Onu et de l'Union européenne.

Aux pourparlers avec le Roi d'Arabie Saoudite, Abdallah Al Abdel Aziz Ibn Saoud à Riyad, Vladimir Poutine a certainement évoqué les intérêts de la compagnie RZD (Chemins de fer de Russie) qui a remporté un appel d'offres pour la mise en œuvre d'un des plus grandioses projets au Proche-Orient : la construction de l'artère Nord-Sud d'une longueur totale de 2.400 km, dont le coût est évalué à 2 milliards de dollars. En ce qui concerne la coopération technico-militaire, de source diplomatique, on avait indiqué que sa visite devait aboutir à "un accord verbal" sur la vente de quelque 150 chars T-90 russes à l'Arabie.

Moscou aurait aussi proposé à Ryad des hélicoptères Mi-17 pour le transport de troupes, selon la même source. Selon une source haut placée au Kremlin, Riyad a également manifesté son intérêt pour les systèmes de DCA russes. Au total, une dizaine d'accords ont été conclus au cours de la visite. Un forum des hommes d'affaires russes et saoudiens était l'apothéose de la visite de Vladimir Poutine en Arabie Saoudite.

En s'adressant aux hommes d'affaires, M. Poutine a affirmé que la Russie était un pays multiethnique et multiconfessionnel où chrétiens et musulmans coexistaient pacifiquement et qu'elle avait une longue expérience en matière de promotion de la coopération entre différentes ethnies et religions.

Sur une population totale de 143 millions d'habitants, environ 15 à 20 millions de Russes sont des musulmans. Au Qatar, pays disposant de la troisième réserve mondiale de gaz après la Russie et l'Iran, Moscou a plaidé en faveur de la création d'une sorte d'"OPEP du gaz".
Si les conditions ne sont pas encore mûres pour une organisation gérant en commun les intérêts des pays producteurs de gaz, il reste que la Russie cherche à convaincre au moins d'un rapprochement pour une meilleure " coordination sur les marchés du gaz et du pétrole ".

C'est dans cette perspective qu'avec l'Algérie, autre grand pays producteur de gaz, la Russie a signé un accord de coopération. Tandis qu'avec l'Iran, où existe déjà une coopération dans le domaine du nucléaire civil, Moscou compte bien avancer également sur ce dossier du gaz.

Au cours de la visite du Président russe, un mémorandum sur la coopération entre Loukoil et Qatar Pétroleum a été signé.
Selon certains experts, la tournée de Vladimir Poutine, dont le pays entretient des relations plus que privilégiées avec la Syrie et l'Iran, deux Etats parias aux yeux de Washington, s'inscrit bien dans le cadre d'une stratégie qui a pris forme dès 2004.

Une stratégie visant à resserrer les liens avec le Proche-Orient, après l'avoir fait avec les pays d'Asie centrale et la Chine. Une politique qui vise en fait à maintenir à distance Washington. Forte de ses 302 milliards de dollars de réserves de change, juste après la Chine et le Japon, la Russie de Poutine escompte ainsi tirer parti de ses cartes afin d'assumer un rôle international en rapport avec son statut de puissance économique émergente.

"L'économie de la Russie a dépassé celle de l'Italie l'an dernier et devrait dépasser celle de la France en 2009", a déclaré le ministre russe des Finances, Alexeï Koudrine.

Et Moscou veut désormais avoir toute sa place aux côtés des membres du G7 Finances, émanation financière du groupe des pays les plus développés.

Abdelhadi Mountassir Universitaire, Fès
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