Spécial Marche verte

Sept saints, gardiens légendaires de la cité ocre

Sur les traces des prétendants à la «ziara» de «Sab'âtou Rijal» de Marrakech. Première partie…
>Sept hommes, sept destinées, sept périodes, sept mausolées, au travers des sept tournants… le chiffre semble abonné au retour, siégeant allégrement su

28 Octobre 2007 À 12:00

Mais avant d'en parler, du chiffre et de sa légitimation, il s'avère plus sage de s'attarder sur l'histoire de ces hommes, de ces sept personnes historiques dont le nom est étroitement lié à l'histoire de la vieille citée.

Marrakech, son soleil infatigable, immortel, est, en ce jour d'automne, fidèle à son rendez-vous avec ses saints.
Non pas les sept saints légendaires qui «veillent» sur la cité, mais plutôt la multitude de ceux qui ont cousu leur histoire en fil d'argent sur le burnous de la plus grande oasis du Royaume.

L'aurore est à peine en train de s'installer, laissant jalousement filtrer les premières lueurs de l'aube, comme un signe de renaissance, que des âmes se faufilent dans les ruelles de l'ancienne médina, l'intention claire, l'objectif tout tracé et la cible verrouillée : c'est parti pour le pèlerinage ancestral de Marrakech. Desti110n les sept saints, pour faire plus simple. Le muezzin vient tout juste de prononcer les dernières incantations de l'appel à la prière. Le temps d'accomplir leur premier devoir de bons musulmans, les prétendants au fabuleux circuit entament leur course contre le temps.

Il est question de visiter les sept saints, dans leurs mausolées respectifs, selon un rituel et un ordre précis, figé dans le temps et l'espace. Tous ces hommes et femmes ont un point en commun, celui de voir exaucé un vœu qui tarde à franchir la chape de leurs rêves. L'un ou l'une est en quête de l'héritier qui tarde à venir et dont l'absence nargue inlassablement sonexistence.
L'autre souhaite revoir l'être cher disparu depuis des lustres. Un troisième ne cherche que la prompte guérison de son parent, atteint d'un mal que la science n'arrive pas à dompter…

Ainsi va la vie au sein de cette communauté de pèlerins à l'aspect bien particulier. En d'autres termes, tous mordent à pleines dents dans un dernier espoir, posés sur les épaules des sept saints et de leur intarissable baraka.

Nous sommes en plein royaume de l'abstrait. Celui qui veut que pour la réalisation de ce qui relève du magique, du miraculeux ou de l'inimaginable, de la destruction des entraves de l'irréel, il est impératif de passer par des 111médiaires, des sortes de médiateurs auprès du Créateur, réputés de leur vivant pour leur bonne foi, leur droiture et leur dévouement qui ont fait d'eux des êtres célestes.
C'est là une des réalités de tout le pays, sauf que Marrakech revêt en ce sens une allure particulière. Ce n'est d'ailleurs pas fortuit qu'elle soit qualifiée de tombeau des saints, tellement elle en a drainé durant sa période faste en tant que capitale de plusieurs empires.

La visite (ziara) des sept saints consiste en une sorte de pèlerinage, comme on l'a déjà dit, lors duquel il est question de respecter un ordre de visites établi au fil du temps, ainsi que certains rituels propres à chaque saint et qui datent de leurs époques.

Outre la prière accomplie au sein du mausolée, il s'agit aussi de faire de faire preuve de vertu et de laisser de bonnes actions sur ses traces, tout au long du circuit, en faveur des tenants des différents temples ou, tout simplement, au profit des personnes nécessiteuses qui squattent les environs du saint tombeau.

Parallèlement, certains parlent de la nécessité d'effectuer le parcours un vendredi, tandis qu'une autre frange parle du lundi en tant que jour de prédilection, alors que d'autres n'accordent pas n'importance particulière au jour du pèlerinage.

Par ailleurs, la spécificité de ce rituel ancestral est que celui-ci prend ses racines en dehors de l'ancienne cité, c'est-à-dire au-delà des remparts, pour arriver à terme au niveau du dernier mausolée, sis également extra-muros de la médina. Aussi, au-delà de leur nom, les sept saints prennent tous le titre de «Sidi», terme de respect pour ces gardiens prétendus être des faiseurs de miracles.

En quittant la demeurre de Sidi Youssef Ben Ali, on peut accéder au deuxième saint de la liste soit en prenant à gauche et en guettant Bab Ghmat, sinon vers la droite en prenant l'entrée de Bab Aylane. Traversant Bab Ghmat dans la grande muraille, on se retrouve en pleine ancienne médina, avec ses venelles surpeuplées de passants et de marchands en tout genre, criant à tue-tête ou négociant de vive voix le prix de tel ou tel article avec leur clientèle.

Quelques ruelles plus loin, en traversant «Taoualet Haylana», on accède directement au mausolée d'Al-Qadi Ayyad, qui partage son bon voisinage avec la mosquée de Moulay Ali Chérif. Le mausolée est plus spacieux, doté d'une cour qui fait office d'espace entre deux tombeaux en font.

D'un côté gît Al-Qadi Ayyad, dont le tombeau est drapé du même tissu vert brillant que Sidi Youssef, sur lequel est brodé en fil de couleur jaune le premier pilier de l'Islam : « Il n'y a de dieu qu'Allah et Mohammad est son messager». A cette heure de la journée, le mausolée est vide. Il n'y a pas âme qui vive. Seuls les murs incrustés de faïences témoignent du faste de ce vestige légués par les civilisations des Almoravides et des Almohades.

La fameuse caisse que l'on trouvera dans tous les autres mausolées trône en tête du tombeau, en attente de quelques offrandes, qui iront à la famille du gestionnaire des lieux et qui occupe une petite maison, au sein du mausolée.

De l'autre côté de la cour, au travers d'une porte enjolivée de tuiles de couleur verte, une autre tombe a élu domicile. Selon le gérant des lieux, il s'agit d'une certaine Lalla M'hana Lamgharia, ancienne servante du maître des lieux, Al-Qadi Âyyad en l'occurrence. Elle était réputée pour sa fidélité et son altruisme, chose qui lui aurait valu l'honneur de reposer auprès de son ancien maître.
Natif de la ville de Sebta en 1083, Al-Qadi Âyyad, comme son nom l'indique, faisait de la justice sa spécialité.

Il était également enseignant, ayant contribué à la formation de plusieurs érudits de l'époque. Les villes de Sebta et de Grenade renferment jusqu'à ce jour les souvenirs de ce juge réputé pour son équité et pour sa droiture. Il fut exilé à Marrakech en 1149, à cause de la lutte anti-almohade qu'il menait, lui qui était pro almoravide jusqu'au fond de l'âme et défenseur du rite malékite.

Les histoires racontées par le gérant du mausolée se caractérisent aussi bien par l'intérêt qu'elles portent que par la longueur de leurs récits.

Aussi, pour les pèlerins, il est temps de lever le camp, à desti110n du troisième homme de Marrakech.


Avant d'atteindre la sortie de la ville à desti110n de Beni-Mellal (route de Kelaât Seraghna), et à peine arrivé au niveau de Bab Lakhmiss, juste en face de la wilaya, la bifurcation à droite mène vers Bab Ghmat.

Serpentant le long du grand boulevard qui longe les remparts, on se retrouve nez à nez avec le tombeau de «L'éprouvé» (Al-Moubtali). C'est le qualificatif qui colle à Sidi Youssef Ben Ali, en raison de la lèpre qui s'était emparée de son corps, de la patience dont il faisait preuve face à son mal et de l'acceptation de sa maladie.
Il est le premier des sept saints à figurer sur la liste du pèlerinage. Il est également connu en tant que «l'homme à la caverne», car il a vécu dans une grotte après avoir été atteint de la lèpre.

D'ailleurs, l'endroit fut baptisé «La confrérie de la caverne», ou encore «Le quartier des lépreux» (Harat Al-Joudma), avant son transfert durant les dernières décennies au quartier Al-Hara à la sortie de Bab Doukkala. Il n'existe pas beaucoup de détail sur la vie du saint homme, sauf qu'il est né à Marrakech, cité qu'il n'a jamais quittée jusqu'à sa mort en 1196.

L'entrée du mausolée est occupée de part et d'autre par des femmes d'un certain âge, demandant l'aumône aux portes de la maison du
saint homme et se voilant le visage à la première vue d'un appareil photo.

Franchie cette première porte en arc, une petite cour accueille le visiteur jusqu'à une deuxième avec, cette fois-ci, de part et d'autre, deux grands pots en terre dans lesquels poussent deux plantes en guise de décoration.
A l'intérieur, des femmes et des hommes se recueillent sur le tombeau de Sidi Youssef, drapé d'un tissu vert et sur lequel est posé un Coran ouvert, placé sur un support. Certains prient, où sont en pleine contemplation, alors que d'autres piquent tout bonnement un petit somme.

Pour cette dernière catégorie, l'essentiel est d'être là, sous la protection divine de ce médiateur céleste. Les journées s'écoulent sur le même rythme pour ces habitués, chose qui n'est pas le cas du pèlerin qui, après avoir accompli la prière et offert une chandelle, en plus de quelques pièces, soit à la caisse du mausolée au profit de ses descendants, soit aux nécessiteux, se doit de poursuivre son chemin.

Quittant le mausolée du juge Al-Qadi Âyyad, ainsi que son gérant et ses histoires fantastiques, il suffit de parcourir une vingtaine de mètre pour se retrouver face à l'entrée de Bab Aylane. De là, on traverse les remparts vers l'extérieur et on rebrousse chemin à desti110n de Bab Lakhmis, jusqu'à atteindre l'entrée de Bab Qachich pour s'y engouffrer. De nouveau dans le territoire délimité
par les remparts, une bifurcation vers la droite, puis le parcours d'un mini labyrinthe ouvre les portes de Abou Al-Abbas Ahmad Ben Jaâfar
Al-Khazraji Assabti, alias «Sidi Belâbbas», tout court.

L'endroit n'est pas sans afficher un faste et un luxe que l'on ne trouvera nulle part ailleurs, dans aucun des sanctuaires de la ville. Le mausolée est à ce propos le plus vaste de tous. Une cour immense accueille le visiteur, avec un minaret en face de l'une des entrées, car Sidi Belâbbas en possède deux, d'entrées.

D'un côté de la cour, un rassemblement ahurissant de non-voyants indique la couleur : ici, c'est le chef-lieu de ceux qui ignorent tout de la lumière du jour. Ce saint est le leur et ils sont chez eux ici. De même, plusieurs handicapés moteurs s'abritent à l'ombre des bâtiments ou des nombreux porches supportés par d'innombrables piliers. Plusieurs dizaines de mendiants, de tolbas, de pèlerins ou de curieux occupent la vaste cour.

Le lieu attire également des touristes, dont la visite ne saurait dépasser le seuil de ladite cour, les gardiens du temple veillant au grain et à ce que seuls les musulmans accèdent à l'intérieur de l'enceinte abritant le tombeau. Un autre détail qui attire l'attention dans cette cour est une grande montre, sculptée dans le ciment de l'une des colonnes et donnant l'heure grâce à des jeux d'ombre, en fonction de la position du soleil.

C'est tout simplement fabuleux.
Sur la droite, quatre ou cinq marches mènent vers l'épicentre de toute cette agitation. Une fois enjambées et après avoir parcouru un petit couloir, le passage donne sur une deuxième cour, sans toit, avec une fontaine au centre. Sur la gauche se situe l'entrée finale du mausolée, là où gît Abou Al-Abbas Assabti. Mais bien avant, les murs encerclant la cour ne pourraient passer inaperçus.

En effet, en guise de décoration, de gigantesques montres murales stoppent net le visiteur qui en est à sa première visite. De véritables chefs-d'œuvre centenaires, faits de sculptures sur plâtre et enjolivés par des puzzles en céramique d'une rare beauté. Mieux encore, ces montres fonctionnent toujours et sont régulièrement entretenues par un maître horloger dévoué à la tâche.

Quelques pas à peine et la porte de la fameuse enceinte est franchie. Très loin là haut, un immense plafond sculpté dans du bois domine la grande salle. Au fond et bien centrée, la tombe du saint est décorée par une multitude d'objets, dont des dizaines de grands bougeoirs en cuivre et, comme par hasard, trois vieilles horloges géantes. Le saint devait avoir un faible pour ces mécanismes complexes, semble-t-il.
Le mausolée de Abou Al-Abbas Ahmad Ben Jaâfar Al-Khazraji Assabti est tout aussi frappant de par les différentes catégories sociales qui le fréquentent.

On y trouve des personnes de tous âges, des hommes modernes, de jeunes femmes tirées à quatre épingles, cheveux au vent, effectuant la visite, faisant une offrande et s'en allant en déambulant gracieusement.

Ici, la fameuse caisse sur le tombeau a ses propres particularités : les sommes collectées vont directement aux personnes handicapés, les non-voyants principalement. Cela perpétue en fait le mode de vie de Abou Al-Abbas Assabti, le plus célèbre des sept saints.
Natif de Sebta en 1129, il décéda à Marrakech en 1204. Sa soif pour les études se traduira par ses fugues répétées de chez l'artisan où sa mère l'avait mis, afin d'apprendre le métier de tisserand, en échange d'une petite somme d'argent. Il ne fuyait pas pour errer dans les rues, mais plutôt pour aller assister aux cours de théologie dispensés par un certain cheikh Abi Abdillah Mohammed Al-Fakhar.

Plusieurs fugues plus tard, et après avoir constaté l'intérêt évident du jeune Ahmad, Abi Abdillah Mohammed Al-Fakhar proposa à la mère du petit de le garder et de lui verser la même somme d'argent que lui versait le tisserand.

Il quittera Sebta en 1145, année marquée par la victoire des Almohades sur les Almoravides. Il gagnera Marrakech alors que la ville est en état de siège, chose qui le conduira à un isolement spirituel dans la montagne du Guéliz (Jbel Guéliz). Ses actions envers les nécessiteux en général et les non-voyants en particulier, qu'il prenait à sa propre charge feront de lui l'homme vénéré qu'il est encore aujourd'hui. Abou Al-Abbas vécut ainsi dans la cité ocre où il mourut vers 1204.

Laissant derrière lui le mausolée qui lui est dédié aujourd'hui, ainsi que cette ambiance effervescente qui le caractérise, la desti110n suivante du pèlerin est un autre mausolée qui se trouve à quelques encablures de là, celui de Abou Abdoullah Mohammed Ben Soulaymane Al-Jazouli, alias Sidi Benslimane.

A suivre…

Suite du "Sept saints, gardiens légendaires de la cité ocre”, jeudi 1er novembre 2007.
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