«L'humour est l'âme du désespoir»
L'invité du Festival du rire promet de revenir bientôt au Maroc.R>Interview:Maman, humoriste nigérien
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LE MATIN
21 Novembre 2007
À 18:03
LE MATIN : Dans vos one man show, vous jouez avec un humour intellectuel qui communique avec l'âme. Est-ce l'âme africaine que vous évoquez dans vos textes ?
Mamane : C'est avant tout l'âme d'un homme, d'un citoyen du monde, car même en Afrique j'ai grandi entre mon pays le Niger, la Côte d'Ivoire, le Nigeria et le Cameroun. Avec à peu près une dizaine d'années en France, j'ai une culture universaliste. Donc, ce n'est pas seulement l'Africain qui parle, mais l'homme du monde qui décortique la langue française, j'essaye de transmettre ma pensée et mon vécu quotidien. C'est peut-être ma formation scientifique qui m'aide à m'approfondir dans l'étymologie des mots.
Comment pouvez-vous nous expliquer votre rapport avec la langue française ?
C'est un rapport amour-haine. Amour, puisque c'est la langue que j'utilise tous les jours et qui me permet de communiquer et de faire, tout de suite, une interview avec une journaliste marocaine. La langue est comme un bateau utilisé pour traverser un fleuve. Une langue ne doit pas être plus que cela ; que ce soit l'anglais, le chinois ou l'arabe, c'est pareil. Pour moi, c'est aussi la langue du colon qui nous a été imposée au Niger avec le bâton. Mais, il y a aussi ma première langue pour communiquer avec ma mère. Donc, quand je parle en français, je n'oublie jamais de faire la liaison entre ces deux aspects.
Votre résidence en France est-elle un choix personnel ?
Non, je n'ai pas choisi de vivre en France. J'avais eu ma maîtrise en Côte d'Ivoire et je devais faire un DEA en France. Ce qui n'est pas normal pour un pays indépendant depuis 40 ans.
Donc, le fait de résider en France est le propre résultat du destin, tout en étant fier de ce que je fais et conscient de ce que je deviens.
Pour moi, la France est le pays où je travaille et où j'ai rencontré ma femme qui est une Marocaine, mais je garde la tête tournée vers mon pays. Donc, à travers mon métier, je parle du Niger qu'on ne connaît pas beaucoup. On parle seulement de sa famine ou de sa pauvreté, mais jamais de sa culture ou ses potentialités. Je veux être l'ambassadeur du Niger et lui rendre tout ce qu'il m'a donné.
Quels sont les obstacles qui se dressent devant vous dans le monde occidental et tout particulièrement en France où vous résidez ?
Ce sont des obstacles que rencontre tout artiste qui veut se développer et faire carrière. L'obstacle qui existe, n'est pas inhérent au monde occidental, dont je fais partie.
Et comme je ne veux pas faire de l'humour gratuit, c'est-à-dire pour divertir uniquement le public, cela reste un choix qui a ses conséquences.
Pour moi, l'humour est l'âme du désespoir. Donc, il doit servir ceux qui vivent dans l'oppression, dans la pauvreté,.… Il doit servir pour que les gens parlent des vraies choses.
Cette vérité qu'on cherche doit sortir de la bouche des artistes.
Est-ce la première fois que vous vous essayez devant le public marocain ?
Non, c'est la seconde. La première, c'était avec le public de l'Institut français d'Agadir. Ce n'est pas le même que celui de Marrakech qui était plus général, à l'image du Maroc. Mais, l'artiste doit toujours faire venir le public vers son univers et non s'adapter à ce que ce dernier veut, puis laisse l'autre partie dire : j'aime ou je n'aime pas.
Avez-vous des projets pour le Maroc ?
J'ai un projet pour faire une tournée dans les Instituts français des grandes villes du Royaume.
L'objectif est, bien entendu, de faire connaître mon humour qui est celui d'un humoriste africain. Comme le Maroc appartient à l'Afrique, je
me sens chez moi.
Vous savez, mon souhait est de conquérir le public marocain. Ce sera une grande victoire pour moi.
Un petit mot sur le Festival international du rire de Marrakech où vous venez de vous produire en tant qu'invité d'honneur ?
C'est un Festival qui aura beaucoup d'avenir à condition que la rigueur continue. Comme c'est le début, il y a de petites failles, c'est normal. Mais je pense qu'elles seront vite rétablies si les organisateurs continuent à être animés par les mêmes passion et volonté.
Il ne faut pas oublier que la ville de Marrakech est un carrefour international : c'est les Marocains, mais aussi des étrangers venus des quatre coins de la planète
qui viennent ici. Je pense qu'il n'y a pas mieux que cet endroit pour faire un festival d'humour.
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Un Africain en France
Originaire du Niger, le jeune Mamane débarque pour la première fois en France en tant qu'étudiant en physiologie végétale. En parallèle de son cursus universitaire, Mamane s'est intéressé de près à la bande dessinée. Un beau jour, il se lance dans le monde de l'humour en créant et interprétant des sketchs sur la relation de la France avec l'Afrique, le vécu d'un Africain en France, les pensées de l'Africain sur l'immigration, la mondialisation, entre autres. C'est de cette manière que Mamane pénètre dans le monde du spectacle, tout en apprenant petit à petit la scène et en transmettant des messages à travers ses textes.
Dernièrement, Mamane s'est produit, en tant qu'invité d'honneur, dans le cadre du Festival international du rire, devant un grand public marrakchi et une pléiade d'artistes marocains. Il nous promet de revenir au Maroc avec de nouveaux projets où l'Afrique et ses héros seront à l'honneur.