Pulitzer, l'homme qui inventa le journalisme moderne
Il rêvait de devenir soldat dans l'armée impériale austro-hongroise, il se retrouve journaliste aux Etats-Unis d'Amérique et un peu plus tard, grand magnat de la presse de ce pays, et initiateur du prix qui porte nom.
LE MATIN
06 Juin 2008
À 16:40
Il s'agit de Joseph Pulitzer à qui Jacques Bertoin, vient de consacrer une biographie publiée chez Tarik Editions sous le titre ; «Joseph Pulitzer : l'homme qui inventa le journalisme moderne». Ancien journaliste au Monde, aujourd'hui rédacteur en chef de Jeune Afrique, écrivain et éditeur, Jacques Bertoin a occupé pendant quelques années, le poste de chef du bureau du livre à l'ambassade de France au Maroc. Son intérêt pour le fondateur de la première école de journalisme au monde n'a pas besoin d'être justifié.
Qui aurait cru que Pulitzer était capable d'un tel exploit ! «Maigre comme un clou, des petits yeux clignant à la lumière, un nez busqué qui ferait les délices des caricaturistes», on n'en voulait même pas comme chair à canon dans l'armée impériale ni dans aucune autre armée dans cette Europe belliqueuse et conquérante du milieu du 19e siècle. L'Empire austro-hongrois est secoué par des révoltes des nationalités en train de s'éveiller. La France vit sous la menace d'une guerre avec la Prusse. Elle est déjà en guerre en Algérie et au lointain Mexique.
Le besoin de chair fraîche à sacrifier sur l'autel des dieux de la guerre, n'a rien pour étonner. Pourtant Le Jeune Joseph est à chaque fois repoussé. «Va manger la soupe chez ta mère! Des manches à balai comme ceux-là, on en fait des petits bois!» lui répétait-t-on à l'envi. Justement c'est la soupe de maman que le jeune Joseph cherchait à tout prix à fuir.
Né en 1847 d'un père juif hongrois et d'une mère catholique allemande fervente, le petit joseph ne se sentait pas réellement appartenir à l'une ou à l'autre des attaches. Qui plus est, de quoi peut-on rêver le plus quand on est né dans un petit village au fin fond de la campagne ? De prendre le large bien sûr ! Et comment ? en s'engageant dans l'armée. Il n'y pas mieux pour voir du pays, quand on n' a pas de fortune personnelle. Et voilà que les armées se liguent contre lui pour lui fermer les portes de l'aventure. Qu'à cela ne tienne. Têtu comme il est, il ira s'engager dans l'armée américaine en pleine guerre de Sécession dont les recruteurs sillonnent l'Europe pour trouver du troufion.
Il s'y engage donc et le voilà embarqué pour le nouveau monde, qu'il regagne à la nage avant même que le navire n'accoste à Boston. «Pour profiter lui même des 300 dollars promis par le gouvernement du président Lincoln» plutôt que de laisser son recruteur hambourgeois les empocher à sa place. Nous sommes en 1864, quand le jeune Joseph arrive à New York pour s'enrôler. Heureusement pour lui, les hostilités entre le nord et le sud n'en avaient plus pour très longtemps.
Démobilisé, il s'installa à Saint-Louis dans le Missouri où il exerça pendant quelques années divers petits boulots. Et le voilà tour à tour muletier, manœuvre, docker, cocher, livreur ou magasinier et un peu plus tard, notaire . C'est que Pulitzer, qui possédait une assez solide éducation en allemand et en français, n'avait aucune qualification, et surtout il avait du mal à utiliser l'anglais, la langue du pays où il décida de vivre.
C'est par hasard, qu'il se retrouva journaliste. Lecteur assidu d'un journal en langue allemande le Westliche Post, il finit par être recruté comme reporter. Il avait 21 ans. Ce fut le succès immédiat grâce à son premier reportage sur un fait divers. Envoyé pour couvrir la session parlementaire du Missouri, il fit montre d'un grand talent de journaliste. Dans l'Amérique de l'époque «corrompue et violente», les informations à caractère scandaleux ne manquaient pas. Ils trouvèrent un héraut en la personne du jeune Joseph qui devint bientôt une figure incontournable de la ville. Il se passionna un temps pour la politique, il fut même élu député du parti républicain, mais ne tarda pas à tout laisser tomber pour exercer le seul métier qu'il affectionne: le journalisme. Il finit par devenir son propre patron en achetant un journal en faillite, le St Louis Dispatch en 1878. Bientôt, il fusionna avec un autre journal le Post pour créer ce qui sera le St Louis Post-Dispatch.
«Le Post-Dispatch ne sera pas au service d'un parti, mais au service du peuple», lit-on dès le lendemain dans l'éditorial du nouveau journal : «Il ne sera pas là pour soutenir l'administration mais pour la critiquer, il combattra les imposteurs et les escrocs». La presse à scandale est née. Les ventes du quotidien grimpèrent au plafond. Aucun sujet qui pouvait intéresser le lecteur n'était négligé. La corruption ; les cercles de jeux, les évasions fiscales. «Il agite tellement les milieux politiques et mafieux, qu'il arriva que les protagonistes débarquent l'arme au poing dans les bureaux du journal !»
Ce qui n'était pas pour dissuader Le jeune Pulitzer, persuadé qu'il était qu'un journal est fait pour informer sur tout ce qui se passait dans la société , sans ménagement. Tout en gardant son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politique ou financier. A 36 ans, et pourtant très malade, il achèta un second journal new-yorkais, le World, qu'il rebaptisa New York World. Sa ligne éditoriale n'a pas changé pour autant : «Faire un journal bon marché qui soit intelligent, mais aussi porteur des idéaux démocratiques». A ses journalistes, il intima l'ordre d'aller «arpenter le Bowery», quartier le plus pauvre et peuplé de Manhattan. «A la tête du journal, le directeur imprima à ses nouvelles recrues sa marque de fabrique: le journalisme d'investigation. Plus l'enquête est risquée, plus l'information doit être rigoureusement vérifiée. En guise de rappel, Pulitzer a fait afficher, sur chaque bureau du World, des panneaux où s'étalent en lettres géantes les mots : "Exactitude, exactitude, exactitude !».
Bien informer le lecteur donc mais également le distraire, lui apprendre des choses pratiques. Pulitzer est le premier journaliste à créer des rubriques sur la femme, la santé, la vie pratique, en plus du fait divers et des enquêtes policières. Le World joue également un grand rôle, contre un autre magnat, Randolph Hearst, en plaidant pour la paix avec l'Angleterre dans le conflit qui oppose en 1895 le Venezuela à la Guyane anglaise. Malade, presque aveugle, Joseph Pulitzer s'éteint, le 29 octobre 1911 à Charleston, à bord de son yacht.
Le World ne lui survivra pas, rapidement démantelé par son fils aîné. Seul le St Louis Post-Dispatch continuera, grâce à son fils cadet puis à son petit-fils, d'assurer la légende des Pulitzer jusqu'en 2005.
«Joseph Pulitzer est l'homme qui a érigé les principes fondateurs du rôle de la presse dans la vie démocratique américaine» écrit Jacques Bertoin. «Dans cette Amérique sans foi ni loi de la fin du XIXème siècle, il l'a imposée comme le plus efficace des contre-pouvoirs. Révolutionnant la profession, il a su prouver non seulement que l'information pouvait être synonyme de réussite financière mais qu'avec des techniques d'investigation rigoureuses, on pouvait influencer le paysage politique et social de son pays, au service de ses propres convictions.» -----------------------------------------
Le prix Pullitzer
Le prix Pulitzer, est un prix américain remis dans différents domaines, allant du journalisme à la musique. En journalisme, il est considéré parmi les plus prestigieux. Joseph Pulitzer, éditeur du journal World, a créé ce prix en 1904, mais il n'est vraiment mis en place qu'en 1917. Au début, il était attribué à une douzaine de catégories du journalisme et des arts.
Aujourd'hui, il est décerné pour 21 rubriques, dont : plusieurs types de reportages, l'éditorial, la caricature, la photographie, le roman, la biographie, le théâtre, la poésie, l'histoire et la musique. Une enveloppe de 5 000 dollars accompagne le prix, remis au mois d'avril à des personnalités américaines. Le jury, composé de l'ensemble des acteurs du monde du livre aux États-Unis d'Amérique, est renouvelé d'un tiers chaque année. Il est composé de trois spécialistes dans chacune des 21 catégories.
Parmi ses bénéficiaires les plus célèbres en littérature, citons : •Edith Wharton pour Le Temps de l'innocence en 1921. •Margaret Mitchell pour Autant en emporte le vent (1937). •John Steinbeck pour les Raisins de la colère (1940), •Tennessee Williams pour Un tramway nommé Désir en 1948 et pour La Chatte sur un toit brûlant en 1955. • Ernest Hemingway pour le Vieil Homme et la mer (1953).