Youssef Chahine n'est pas mort ! S'assureront les plus fervents de ses admirateurs et ils ont raison en quelque sorte. Car le monstre du cinéma égyptien restera vivant à jamais dans les esprits à travers son œuvre, ses idées et ses fameuses prises de position.
LE MATIN
28 Juillet 2008
À 17:25
Sa mémoire saura défier l'oubli et ses films cultes vont rappeler à chaque diffusion la grandeur d'un homme qui aimait le cinéma de la plus belle des façons : Passionnément. Le 27 juillet 2008 ne sera qu'une date parmi d'autres, une autre étape dans le parcours impressionnant de ce combattant passionné, de cette âme libre. Tout commence, en ce 25 janvier 1926.
Youssef Chahine voit le jour en Alexandrie, une ville romantique donc chaque coin regorge d'histoires. Le bon berceau pour le talent du futur réalisateur. Il débute ses études primaires au collège Saint-Marc avant de rejoindre l'English College. Son baccalauréat en poche et le rêve plein la tête, il part à la conquête du monde.
Le jeune Chahine quitte ainsi l'Egypte à l'âge de 21 ans pour aller étudier le cinéma aux Etats-Unis, dans les environs de Los Angeles. Ayant fait son apprentissage dans le pays du 7e art, il retourne dans son pays natal quelques années plus tard. La chance va lui sourire aussitôt et elle portera le nom d'Alvise Orfanell. Un producteur pionnier du cinéma égyptien qui a eu la bonne idée de croire en Chahine en lui offrant l'opportunité de sa vie : Réaliser son premier film en 1950, qu'il intitulera «Papa Amine». Ce premier coup d'essai ne révélera pas seulement un cinéaste prometteur mais également un esprit libre et surtout un artiste engagé. Depuis ses débuts, Chahine n'a pas ménagé d'efforts pour dénoncer virulemment la censure et l'intégrisme dans toutes leurs représentations.
Ses armes ? Sa caméra, ses scénarii et ses déclarations intransigeantes. «Le cinéaste que je suis ne peut rester indifférent aux problèmes qui l'entourent. Je refuse d'être un amuseur. Témoin de mon temps, mon devoir est d'interroger, de réfléchir, d'informer», il déclara même un jour être habité par l'envie de changer le monde. Au-delà de leur valeur artistique, ses films seront des traités prônant la liberté, l'ouverture et la tolérance. Dans son long métrage «L'Aube d'un jour nouveau» (1964), c'est un portrait critique qu'il brosse de l'intellectuel et de son rôle dans la société. On retrouve le même regard critique dans «Le Choix» (1970) dans lequel il analyse la société égyptienne. L'affairisme est épinglé par le réalisateur turbulent dans son opus «Le Moineau» (1973). Dans l'inoubliable «Bab al-Hadid» (1958), le public découvrira un autre visage de Youssef Chahine.
Donnant la réplique à la pétillante Hind Rostoum dans le costume du psychopathe amoureux, il dévoile un talent redoutable d'acteur. On comprend alors l'une des raisons de son succès en tant que metteur en scène: c'est un grand directeur d'acteurs. D'ailleurs tous les comédiens ayant eu l'occasion de travailler avec lui, racontent avec admiration sa grande implication dans la construction de leur jeu, au point de jouer parfois le rôle avant de leur donner la réplique. C'est un idéaliste qui aime faire parfaitement les choses au prix de s'user physiquement et émotionnellement. D'ailleurs c'est une chose qui se ressent en regardant ses œuvres. Il y a toujours du cœur, beaucoup de cœur.
Et puisque c'est un sentimental, la nostalgie serait l'une de ses inspirations. Revisitant l'histoire à plusieurs reprises, il donne le jour en 1963 à « Saladin». Un film hommage à cette grande figure de l'histoire de l'Islam. «Adieu Bonaparte», sorti en 1985, raconte avec émotion un pan de l'histoire moderne de l'Egypte, le pays qui a tellement inspiré ce «Fils du Nil». Un amour sans limites poussé à l'extrême qui va valoir à notre réalisateur provocateu, un séjour en prison, en 1984. N'acceptant pas des décisions jugées aléatoires, il diffuse tout de même un film interdit par la censure.
Une vie bien mouvementée que Youssef Chahine va éterniser à travers sa trilogie autobiographique. Il commence cette «mise à nu», en 1978, avec «Alexandrie pourquoi ?». Il y revisite l'univers de sa jeunesse en Egypte. Un beau travail qui sera bien récompensé à Berlin avec le Grand Prix du jury et un Ours d'argent. Le deuxième volet serait «Alexandrie encore et toujours» (1989) et le troisième «Alexandrie... New York». Son passé en Egypte, ses souvenirs et ses rapports avec les Etats-Unis tout y est. Le réalisateur, en artiste courageux, n'hésite pas à se raconter et à se dévoiler devant l'œil attendri de son public. Son pamphlet «Le Destin» réalisé en 1997 est une pure dénonciation du fanatisme. Une belle confirmation de ses idées et de ses positions habituelles. Le succès est au rendez-vous et le film présenté à Cannes la même année remporte le Prix du cinquantième anniversaire.
Un parcours atypique plein de créativité, de consécrations et d'engagement. Avant de céder, le réalisateur qui n'a jamais cessé de se battre a fini en beauté sa carrière de faiseur d'images et de rêve. Le chef d'oeuvre «le Chaos» sera son ultime empreinte marquante sur le cinéma égyptien et international. Un grand homme s'en est allé !