Fête du Trône 2006

«Critiquez le PNUD mais lisez le rapport, tout le rapport sur le développement humain !»

L'IDH est un “stock et un instantané'' de 2005 et effectivement il n'a pas tenu compte de la période 2005-2007.

22 Juin 2008 À 15:10

Pourquoi ? Parce que pour la plupart des pays, il faut deux ans pour donner des statistiques.


Le Matin : Le rapport du PUND 2007-2008 pour le développement humain place le Maroc à la 126e place, ce qui n'a pas manqué d'étonner et parfois de «désespérer» ceux qui mettent en avant la dynamique progressive du pays avec notamment le lancement des grands chantiers ?

Mourad Wahba :
Le classement n'indique pas une échelle de valeur, il indique des déficits dans des secteurs qui doivent faire l'objet d'attention du gouvernement. Il faut faire l'effort de lire le rapport dans sa globalité et ne pas se contenter d'une lecture partielle et donc partiale du rapport. Qu'en est-il réellement? L'IDH classe 70 pays qui sont parmi les pays avancés en développement humain, il y a 85 pays parmi ceux intermédiaires et une vingtaine d'autres parmi les moins avancés. Le Maroc occupe le 126e rang et se trouve parmi les pays intermédiaires qui vont de l'île de Dominique qui occupe la 71e place à la Gambie qui occupe la 155e place. Il se trouve donc parmi les pays intermédiaires bien avant l'Inde qui est, vous êtes d'accord avec moi, une puissance émergente. Le papier paru dans vos éditions sous le titre «Le rapport du PNUD sur le développement du Maroc pèche par la mauvaise foi» nie la réalité du développement du pays.

Le PNUD utilise de nouveaux instruments d'évaluation : l'approche droits humains, l'approche genre et d'autres approches encore. Qu'est-ce que donc l'Indice de développement humain (l'IDH) ?

L'IDH, je voudrais le préciser, ne mesure pas le niveau de développement d'un pays. L'IDH a été développé en 1990 par un économiste de développement pakistanais, Mahmoud El Haq, que j'ai bien connu. Cet indice mesure la capacité de l'être humain à élargir ses possibilités dans la vie. Pour ce faire, il a pris trois critères, entre autres, l'espérance de vie et la capacité de participer à la vie active dans une société. En 1990, quand le premier rapport a été publié, cette capacité était liée à l'éducation. Un membre de la société c'est quelqu'un qui a la possibilité d'écrire, de signer un contrat, de lire sa fiche d'état civil… Au XXIe siècle, les critères changent et ceux qui ne peuvent pas travailler avec un ordinateur sont analphabètes. Le troisième critère est relatif aux services auxquels toute personne a droit. En 1990, il faut le rappeler, nous n'avions pas de "mesures d'accès à l'eau et à l'électricité'' qui ne sont apparues qu'en an 2000 avec les Objectifs du millénaire.

Ces critères se sont-ils adaptés à ces évolutions pour donner une image plus juste de l'IDH?

Ces critères ont été raffinés et figurent dans les tableaux de l'lDH pour peu que l'on fasse l'effort de les lire et qui montrent le taux de participation de la femme, notamment le nombre des femmes au Parlement, l'accès à l'électricité, à l'eau potable, la mortalité maternelle, la santé de l'enfant, les droits humains…

Si l'on prend en compte tous ces critères qui ne sont pas tous positifs, que donne l'image du Maroc ?

Nous avons une image plus nuancée mais il faut lire les 35 tableaux pour que l'image soit plus précise. C'est comme pour la parabole de l'éléphant et des aveugles. L'un d'entre eux va décrire les oreilles, l'autre la trompe, l'autre la queue. Ne prendre que le premier tableau pour tirer les conclusions ne permet pas de disposer de toute l'image.

L'une des critiques que l'on oppose à l'IDH qui a classé le Maroc a la 126e place, c'est qu'il n'a pas tenu compte de celle que certains appellent la «dynamique progressive» et de certains chantiers comme l'INDH lancée en mai 2005 ?

L'IDH est un "stock et un instantané'' de 2005 et effectivement il n'a pas tenu compte de la période 2005-2007.
Pourquoi? Parce que pour la plupart des pays, il faut deux ans pour donner des statistiques. Ce n'est pas le cas du Maroc qui a des statistiques fiables et qui peut calculer son IDH jusqu'à l'année 2007.
Mais nous devons avoir une base qui est la même pour tous et qui est l'année 2005. Cet indice n'a donc pas mesuré la progression des flux, ce qu'était le Maroc en 1990 et ce qu'il est aujourd'hui et le taux de progression qui permet d'évaluer l'amélioration ou le recul. D'autre part, le Maroc a fait des efforts importants qui montrent la part grandissante du budget réservé au secteur social, mais ceci n'est pas mesuré dans l'IDH mais dans d'autres tableaux.

L'IDH du dernier rapport ne répond pas à cette question de progressivité...

Il ne répond pas à cette question mais d'autres indices permettent de le faire comme le "tableau 2''. En 1975 par exemple, l'indice du Maroc est de 0,435. En 2005, il est de 0,646. L'amélioration est donc de plus de 40% et tient compte de l'amélioration des performances de chacun des indices qui composent l'IDH. D'autres pays n'ont pas eu cette progression et l'année 2007 a été intéressante pour le Maroc si l'on tient compte de l'évolution du PIB par tête et en statistiques concernant l'éducation et je ne parle pas de l'alphabétisme. L'un des reproches que l'on peut faire à l'indice est qu'il mesure l'instantané et les résultats mais pas le progrès qui permet d'atteindre ces derniers qui est présent dans les autres tableaux. L'IDH mesure "l'in put'' mais pas "l'out put''.

Quelle lecture peut-on faire précisément de l'IDH au Maroc ?

L'indice montre que si le Maroc fait des progrès en espérance de vie, en matière de PIB par tête, il y a eu moins de progrès par rapport à la réduction de l'analphabétisme et à la scolarisation et ce sont les statistiques officielles du gouvernement marocain qui le soulignent. Le rapport du PNUD, il ne faut pas l'oublier, c'est aussi le rapport du Maroc qui envoie ses statistiques à l'UNESCO, à la Banque mondiale et aux Nations unies. Ce que nous avons dit dans le rapport et ce dont il faudrait tenir compte, c'est que le gouvernement doit faire plus d'efforts en matière d'éducation et d'alphabétisation qui constituent un véritable gap. Le PNUD demande au Maroc d'avoir son propre rapport de développement, de ne pas se baser sur cette mesure qui est universelle et qui, parce qu'elle s'applique à tout le moNde, par définition, masque les spécificités nationales. Il est important que le Maroc lui-même mesure son propre développement et que les Marocains disent comment ils évaluent eux-mêmes leur approche du développement humain. Il faut qu'il y ait un effort national de réflexion dans le même sens que celui réalisé par le rapport du Cinquantenaire qui était réaliste et parfois même dur et qui a mis en exergue les cinq nœuds qui bloquent le développement et la société marocaine. Dernier point : l'indice est corrélé avec les indicateurs économiques : si le PIB augmente, il y a des chances que l'éducation s'améliore et que donc la productivité augmente. Il y a donc des corrélations entre les différentes composantes.

Le Maroc selon vous doit produire son propre rapport de développement. Quelle est la fiabilité de celui-ci au niveau international ou même au niveau de l'opinion nationale ?

Le Maroc dispose de statisticiens compétents et parfois excellents et le rôle du PUND est de l'accompagner dans la préparation de son rapport national en développant les méthodologies pour garantir les résultats et l'aider à s'auto-évaluer. Cela permettra à la société de réfléchir sur elle-même, d'identifier ses déficits et donc d'aller de l'avant. Le PNUD, dont les équipes sont très compétentes contrairement à ce qui a été dit dans l'article précité, aimerait accompagner le Maroc dans ces efforts.

Entre 2005 et 2007, période non intégrée dans le calcul de l‘lDH, comment appréciez-vous l'évolution du développement humain ?

Le Maroc avance dans les trois niveaux de l'IDH. Tout d'abord, au niveau de l'espérance de vie. Les statistiques se fondent sur un petit échantillon fait en 2003-2004. Avec le développement et la modernisation de l'état civil, un chantier que nous accompagnons, il y aura une amélioration de l'état de santé des populations et une espérance de vie plus longue même si celle-ci, qui est de 71 ans, est déjà longue par rapport à d'autres espérances de vie de l'Afrique ou de l'Amérique latine. Il est plus facile d'autre part de réaliser des progrès quand on est à 45 ou 50 ans que lorsque l'on est déjà à 71ans.

Qu'en est-il du talon d'Achille du Maroc, à savoir l'éducation ?

Nous avons les chiffres du ministère qui montrent que nous avons une amélioration de la scolarisation: 93% des enfants du primaire sont scolarisés. Nous avons encore un déficit en matière de collèges, de lycées et d'universités, mais il y aura, je l'espère, une amélioration dans ce sens. En 2006, il y a eu une bonne récolte et nous avons été à 8% de croissance; en 2007, il n'y a eu que 2,4%, ce qui fait une moyenne de 5%. Il y aura une amélioration dans chacun des trois indices, faible en espérance de vie, légèrement amélioré en éducation et en PIB.

Est-ce que cela aura une incidence sur le 126e rang ?

Cela dépend des performances des autres pays.

Et concernant la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ?

On prévoit une baisse de la pauvreté.

Cela nous amène à l'INDH. Etes-vous en mesure de procéder à une première évaluation deux ans après son lancement ?

Nous travaillons avec l'Observatoire national du développement humain pour l'évaluation de l‘INDH et avec la cellule INDH. Il y a des avancées certainement mais est-ce qu'elles sont à la mesure de ce que les Marocains attendaient? Sont-elles suffisantes ? Le sont-elles dans toutes les régions? Autre question à poser: n'espérait-on pas trop de l'INDH ?

On pourrait aussi se demandait si les méthodologies utilisées étaient optimales, s'ils n'y avait pas d'autres voies et moyens, par exemple dans une démarche plus participative avec les citoyens, pour optimiser les investissements consentis et répondre à des attentes précises…

On ne peut pas le savoir, ce que l'on sait, c'est qu'il y a eu un effort énorme consenti par le Maroc pour la réduction de la pauvreté selon l'INDH et d'autres politiques nationales. Les statistiques vont le montrer mais il faut donner le temps au temps car deux années ne sont pas suffisantes pour mesurer les efforts. Pour l'INDH, il faut une évaluation nationale comme pour le développement humain. Il faut une réflexion nationale sur comment évaluer son propre développement et personnellement, je pousse le Maroc à continuer le travail du rapport du Cinquantenaire qui est un exemple du genre.

A quoi sert le rapport du PNUD ?

Sur une base et sur des critères universels, le rapport du PNUD sert à montrer les progrès et les lacunes dans le développement humain. Nous avons dans le rapport 2007-2008 tout un débat sur le changement climatique qui va "peser les prochaines années'' sur le Maroc et qu'il faudrait lire et relire. Avec la sécheresse de l'année dernière, le taux de croissance a chuté et les effets sont immédiats sur le développement humain. Le Maroc doit investir dans l'amélioration de la productivité d'un secteur vital, celui de l'agriculture et en même temps s'adapter aux changements climatiques, ce qui nécessite des efforts collectifs et importants. Le rapport sert à une analyse mais, je le répète, ne sert pas à émettre des jugements de valeur. Nous ne sommes pas des juges, nous aidons les pays à se positionner par rapport aux autres pays du monde en mettant le doigt sur les déficits, l'éducation, la santé et en montrant également les points forts comme l'évolution de la femme, l'accès à l'eau et à l'électricité, au logement, aux télécommunications comme c'est le cas du Maroc. Chaque pays peut s'analyser en fonction de ces critères et le rapport peut servir à stimuler des débats.

Un mot sur le dernier rapport du PNUD concernant les changements climatiques…

Le titre de ce rapport est en lui-même significatif : «La lutte contre le changement climatique: un impératif de solidarité humaine dans un monde divisé».
Ce document appelle les décideurs à agir vite pour limiter le réchauffement planétaire qui menace de ruiner toute politique de développement et de peser encore plus lourd sur les plus pauvres qui en sont les plus exposés.
On connaît les effets d'une augmentation de 2 degrés de la température avec son lot de recrudescence de maladies de catastrophes, d'inondations, d'effondrement des systèmes agricoles dans les zones semi-arides… L'Afrique, elle seule, pourrait avoir quelque 600 millions de personnes supplémentaires mal-nourries !
En Afrique du Nord, la question nodale est celle de l'eau !
Il faut en prendre rapidement conscience car c'est une question vitale pour les pays concernés.

Le Général De Gaulle parlait des Nations unies comme du «grand machin», sans faire cette comparaison, j'ai envie de vous demander à quoi sert le PNUD ?

Le PNUD n'est pas un bailleur de fonds. C'est une agence des Nations unies qui aide 166 pays à avoir accès aux meilleures expériences qui ont lieu dans le monde pour mieux avancer, tirer profit du succès ou des échecs de leurs expériences. Le PNUD aide chacun de ces pays dans ses propres politiques de développement à réaliser des projets qui permettent d'aller en avant et de résoudre certains nœuds. On part de la base du pays et on aide à faire ce que ce pays veut faire par la technologie, par le renforcement des capacités nationales et par une mobilisation des ressources. Parce que nous sommes une organisation internationale, nous savons et nous connaissons tous les projets qui ont lieu dans le monde, nous pouvons vous dire tel projet a eu lieu en Turquie ou en Malaisie et nous pouvons vous aider à en tirer les conclusions. Nous vous dirons : voyez ce qui a été fait au Chili qui correspond peut-être mieux à vos objectifs et à vos attentes. Nous aidons tout le monde à être en relation. Dans l'exemple de la Caisse de compensation sur laquelle le gouvernement travaille, nous avons l'exemple du Chili, de l'lndonesie, du Brésil, du Mexique qui ont tous travaillé sur ce sujet. Nous n'avons pas à ‘'inventer à chaque fois la roue'', il faut s'inspirer de ces exemples et les adapter au pays. Dans le domaine du développement de proximité de l‘INDH, le Maroc peut faire profiter d'autres pays. Il y a des pays qui ont demandé au Maroc et au PNUD de les aider à transférer cette expérience. Il a aussi la généralisation de l'accès à l'eau potable, l'ONEP a une expérience très importante qui est déjà utilisée dans d'autres pays !
Et c'est à cela entre autres que le PNUD sert… Je voudrais en conclusion dire un mot : critiquez autant que vous voulez le PNUD, mais lisez tout le rapport et nuancer vos critiques sur le pays, lequel pays a beaucoup d'aspects positifs !
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