Fête du Trône 2006

Le code introuvable

La célébration du 60e anniversaire de la Déclaration des droits de l'Homme, qui coïncide avec la 31e session du Comité consultatif des droits de l'Homme (CCDH), vient de consacrer un large débat au projet de loi relatif au Code de la presse.

10 Décembre 2008 À 16:24

Celui-ci, à force d'être débattu et « trituré » s'apparente à un « serpent de mer » et laisse entrevoir plusieurs difficultés liées à son élaboration et de graves dissensions au sein de la profession. Enfin, dirions-nous, le texte qui constitue la première mouture – et la seule au demeurant - du projet a été renvoyé aux calendes grecques sous l'ancienne majorité gouvernementale. S'il n'est pas définitivement rejeté, l'espoir existerait-il encore de le voir ressurgir ? Il reste que, d'un débat à une commission et d'une consultation à un ultime amendement, le texte initial semble se perdre dans le dédale et s'effilocher sous le poids contradictoire des modifications.

Or, à l'heure d'aujourd'hui, la question cruciale qui se pose est de savoir si la profession a réellement besoin d'un Code de la presse qui lui serait spécifique. Et si oui, quels objectifs s'assignera-t-il, comment s'organisera et s'articulera en fait le régime des règles et des clauses qui le régissent? Enfin, quelle finalité se fixera-t-il ? De ces interrogations majeures ne découle-t-il pas aussi une autre, subsidiaire sans doute, mais non moins importante : faut-il un code de la presse, c'est-à-dire une loi spécifique à la presse ou, en revanche, celle-ci devrait-elle se soumettre à la loi en vigueur pour les citoyens et l'ensemble de la société ? Autrement dit, le professionnel de la presse – le journaliste – serait-il susceptible de s'extraire d'emblée du régime de lois et règlements qui régit la société ?
La nécessité de promulguer un nouveau code de la presse au Maroc s'est fait sentir depuis que certains journaux ont commencé à diffuser des informations jugées offensantes pour des citoyens, calomnieuses et, ce qui est grave, inexactes. Alors que les institutions ou les personnes visées par certaines diffamations étaient livrées à elles-mêmes et attendaient réparation, les titres de presse mis en question ne semblaient ou ne semblent pas pressés ni de s'excuser, ni de publier les rectificatifs que la loi impose. C'est dire que les procès en diffamation sont devenus de plus en plus le sport national préféré.

tains journaux tiennent à la diffusion d'informations ou d'images considérées comme fausses ou portant atteinte à l'intégrité de personnes ou d'institutions. Pourtant, partout dans le monde, les interdictions portent sur l'information militaire qui n'est pas officiellement diffusée; celle aussi de documents et dossiers relevant de ce qu'on appelle le « secret défense nationale » ; celle portant atteinte au crédit de la nation ; celle encore qui met en cause la vie privée de toute personne ou sa vie familiale, son domicile ou sa correspondance. De toutes ces dispositions, les grands journaux dans le monde dignes de ce nom ont tiré et publié des Chartes qui leur sont propres où se croient des exigences comme la rectification des informations inexactes, la séparation entre l'information et le commentaire, le devoir de ne pas calomnier, le jugement équitable par la loi et son corollaire de présomption d'innocence, enfin le strict respect de la vie privée.
La Déclaration des droits de l'Homme de 1948 que nous célébrons pompeusement consacre le droit à l'information et la liberté d'expression.

Elle met également en exergue le principe de « présomption d'innocence » de toute personne avant que sa culpabilité ne soit établie. Or, si toute personne a droit à la liberté d'expression et d'opinion, d'écrire et de publier librement, ce même exercice de liberté comporte en revanche des devoirs et des responsabilités. Le même texte universel soumet ce même exercice de liberté à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime (…) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui »! C'est peu dire que la presse est bel et bien avertie et mise en garde par un tel arsenal de dispositions. Ce n'est pas non plus trop dire que de constater que certains organes ne s'en tiennent pas. Tout journaliste qui accède au métier d'informer ne devrait-il pas prendre au préalable la mesure de son exercice et être au fait de la législation ? La règle de base, demeure l'équilibre et le juste milieu, mais surtout le respect de la vérité, ensuite la conscience aigue qu'il n'est jamais de liberté sans responsabilité.

Le texte qui sert de mouture au code de la presse en élaboration achoppe entre autres, semble-t-il, sur le régime des sanctions, sur la contrainte par corps et les interdictions, etc…En France, le 1er décembre dernier , l'ancien « patron » du quotidien parisien « Libération » Vittorio de Filippis a été , faute de répondre à des convocations du juge, conduit de force par des policiers au Palais de justice pour répondre d'une plainte pour diffamation. Aussitôt, une partie de la presse française s'est mise à exprimer son indignation. De la même manière en 2004, une journaliste du « New York Times », Judith Miller a emprisonnée pendant près de trois mois pour avoir porté atteinte à l'identité d'une ancienne collaboratrice de la CIA et refusé de donner la preuve de ses allégations. Harcelé par les protestations diverses, le juge américain Thomas Hogan avait souligné que la « Cour suprême américaine stipule de manière claire que le Premier amendement de la Constitution américaine n'accorde pas aux journalistes d'immunité concernant leurs sources confidentielles ». Voici donc deux pays démocratiques, la France et les Etats-Unis, où la loi n'entend guère privilégier les journalistes, soumis au même régime de droit que tous les autres citoyens , passibles des mêmes peines éventuellement.

Un Code de la presse, c'est une codification qui réglemente la profession. Or, quand celle-ci est organisée, structurée, harmonisée et unifiée a-t-elle vraiment besoin d'un Code ? Pourquoi ne favorise-t-on pas l'émergence d'une haute instance qui « légifère », juge et arbitre ? Cette haute instance, à l'image de la HACA, serait seule capable de déterminer le délit et de défendre aussi la profession, une sorte de « Maison de sages » composée pour partie d'hommes de loi, de journalistes et de personnalités neutres de la société civile ? Le Code que cette instance pourrait élaborer serait un mixage heureux entre exigences déontologiques et principe de liberté, l'adaptation équilibrée entre les devoirs et la liberté, entre celle-ci et son corollaire incontournable, la responsabilité.
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