Le dernier monstre sacré des cinéastes égyptiens, Youssef Chahine, décédé dimanche à 82 ans, a produit une oeuvre aussi intimiste que politiquement engagée sans trouver dans son pays la reconnaissance obtenue à l'étranger.
AFP
27 Juillet 2008
À 12:45
Né le 25 janvier 1926 dans l'Alexandrie cosmopolite, il n'a cessé, en une quarantaine de films, d'imprimer sa mémoire et ses idées de gauche et anti-islamistes en prenant l'Egypte pour grande toile de fond. Mais plus célébré à l'étranger qu'il ne l'était dans son pays, il avait obtenu en 1997 le prix du cinquantième anniversaire du Festival de Cannes pour l'ensemble de son oeuvre, après un Ours d'argent en 1979 au Festival de Berlin. Eduqué en français et en anglais, il part étudier à 21 ans le cinéma à Pasadena, en Californie, et reviendra sur son destin dans un cinéma égyptien alors phare du monde arabe, ce qu'il n'est plus.
"Il voulait être acteur, mais s'est aperçu qu'il bégayait un peu et n'était pas si beau, alors il s'est dit: je vais jouer à travers d'autres", a raconté à l'AFP l'un de ses grands "autres", Omar Charif, découvert par Chahine. Pauvreté, combat ouvrier et lutte d'indépendance, il s'empare de tout le registre du cinéma engagé des années 50 et 60 pour faire passer des messages politiques dans le genre du mélodrame néo-réaliste.
Quelques titres se distinguent, comme "Eaux noires" (1956), avec Omar Charif, "Gare centrale" (1958), où il interprète un mendiant, et "La terre" (1969), chef-d'oeuvre poétique et politique consacré au monde paysan. Son soutien aux combattants de l'indépendance algérienne dans "Djamila l'Algérienne" (1958), va de pair avec la célébration du panarabisme en vogue "Saladin" (1963). Des fresques politiques, inspirées par l'idéologie nationaliste, s'enchaînent, comme "Le moineau", (1973), qui impute la défaite arabe de 1967 face à Israël à la classe politique égyptienne sous Nasser. Mais trop à gauche, ses démêlés avec le pouvoir, qui ne cesseront jusqu'à sa mort, se traduiront par une censure redoublée et un exil volontaire au Liban et en France.
Sans renoncer aux sagas politiques, Chahine se lance dans le roman filmé de sa jeunesse: "Alexandrie, pourquoi?" (1978, prix spécial du jury à Berlin l'année suivante), "La mémoire" (1982), "Alexandrie encore et toujours" (1989), qui formeront sa trilogie autobiographique. Puis Youssef Chahine s'insurge face à la montée de l'islamisme dans une Egypte où les chrétiens, comme lui, et aussi les juifs vivaient autrefois en harmonie avec les musulmans.
"L'émigré" (1994), inspiré de la vie du patriarche biblique Joseph, et "Le destin" (1997), de celle du philosophe arabe Averroès, lui valent la colère et la censure des intégristes égyptiens. Revenant sur son oeuvre, il confiait récemment à l'AFP que "Le destin" figurait parmi ses oeuvres les plus personnelles, celles qu'il avait le plus à coeur, avec "La terre" et "Alexandrie, pourquoi ?". Survient le 11 septembre 2001, qui inspira à Chahine un court métrage controversé, dans un film collectif, suivi en 2004 d'un autre film pour dire son désamour de l'Amérique "Alexandrie... New York".
"J'ai appris mon métier en Amérique, j'y ai eu mes premières amours. Mais je me sens trahi par la politique étrangère de celle qui fut ma meilleure amie, ma maîtresse", avait-il déclaré à l'AFP. Critique évidente du régime autocratique en Egypte, son dernier long métrage, "Le chaos", co-signé avec Khaled Youssef en 2007, ne remporta pas le succès escompté. "Entre le pouvoir et moi, cela va très mal", avait dit à l'AFP le dernier "monstre sacré", avec Omar Charif, d'un cinéma égyptien en décadence.
Jetant un regard de cinéaste sur les "raïs" au pouvoir depuis cinquante ans, il avait ainsi qualifié Hosni Moubarak "d'autocrate" qui "serait un mauvais acteur, sans présence, ni charisme nécessaire". En revanche, Nasser "regardait tous les soirs un film" et son successeur, Anouar al-Sadate, "mourait d'envie d'être une vedette de cinéma", s'étant fait refuser un rôle par une productrice qui l'avait trouvé "trop laid et basané". ----------------------------------------------
L'hommage de Sarkozy
Le président français Nicolas Sarkozy a salué dimanche la mémoire du cinéaste égyptien Youssef Chahine, décédé au Caire à l'âge de 82 ans, "fervent défenseur du mélange des cultures". "Le 7ème Art vient de perdre l'un de ses plus célèbres serviteurs, Youssef Chahine", déclare M. Sarkozy dans un communiqué diffusé par l'Elysée. "Très attaché à son Egypte mais ouvert sur l'universel, réalisateur engagé, fervent défenseur de la liberté d'expression et plus largement des libertés individuelles et collectives, Youssef Chahine aura cherché, tout au long de sa vie, à travers l'image, à dénoncer la censure, le fanatisme et l'intégrisme", souligne le président de la République.
"Son talent lui permettait de développer différentes formes d'expression artistique et d'aborder tous genres de films: les films autobiographiques, les reconstitutions historiques ou encore la comédie musicale", ajoute Nicolas Sarkozy. "Intellectuel d'une grande indépendance, Youssef Chahine était un fervent défenseur du mélange des cultures".