Chez Mohamed Krich tout est nostalgie, amour pour le passé, pour ce qui et ce que représente le jadis. En artiste qui assume bien ses choix, le peintre n'hésite pas à faire part de sa passion au fil des toiles.
LE MATIN
26 Mars 2008
À 14:17
Sa dernière exposition, qui se tient à la galerie casablancaise Venise Cadre jusqu'au 15 avril, le confirme bien. Des lieux métamorphosés par le progrès et la modernité sont ressuscités par la magie du pinceau. Ils retrouvent leur authenticité d'auparavant par les petits miracles temporels de Krich. Pour lui, la modernité n'est qu'artifice et son attachement aux valeurs d'hier est plus qu'évident. Il le dit à travers ses toiles débordantes de nostalgie et habitées par des hommes et des femmes du passé. Invités par quelques prouesses plastiques, ils viennent meubler l'univers de Kirch avec leurs costumes, leurs apparats et leurs ambiances d'hier.
En découvrant le travail de cet artiste «résistant», on a l'impression que le temps s'est arrêté, s'est figé à cette époque lointaine. Plongeant à corps perdu dans le passé, le pinceau de Krich n'a de cesse de puiser dans sa mémoire «émotionnelle» pour insuffler une âme, une vie autre à ses tableaux. Des scènes de tous les jours dans les ruelles ensoleillées de Fès, un souk brouillant devant les murailles majestueuses des Oudayas, l'effervescence de la place Jemaa El Fna, les beaux paysages du Sud, de ses Kssours et de ses marabouts…
L'univers de Krich est une balade agréable à travers la mémoire d'un pays, d'une culture qui ne cesse de se transformer et d'évoluer. Par son art, l'artiste s'entête à capter son essence et à l'immortaliser par la couleur et la forme. Sur ses toiles surpeuplées, l'instant ne peut plus être fugitif… il est là, figé mais toutefois vivant. L'action qui s'y passe est interpellante et laisse deviner d'autres péripéties, d'autres événements et d'autres histoires… vraies. Si l'imaginaire en est pour quelque chose, la réalité, elle, reste prédominante dans l'œuvre de Krich. L'artiste s'inspire souvent de vieilles photos en noir et blanc auxquelles il redonne vie à travers la couleur et la mise en scène. Entre réalité, rêve et nostalgie, l'univers de cet artiste particulier est un lieu de rencontre, une sorte de «machine à remonter le temps».
En 1981, feu Mohamed khair-Eddine le décrit avec beaucoup de poésie, comme un écrivain plastique, un musicien lumineux. «L'on voit dans ses compositions ce qu'il est convenu d'appeler le degré 4 de l'onirisme : un rêve non paradoxal et sans véritable sommeil, à savoir une vision très enfoncée des êtres et des choses, de leur technicité motrice et de leur mouvance», explique l'écrivain. Chez Mohamed Krich la nostalgie et la fascination pour le passé ne sont pas seulement un thème et une source d'inspiration, c'est également une technique.
D'après Aziz Daki, critique d'art, l'artiste a emprunté aux maîtres flamands leur façon de traiter l'huile et la résine. Une recette jalousement gardée par l'artiste et qui donne, en permanence, à ses tableaux l'éclat des premiers jours. La matière est travaillée de telle façon à briller et à refléter la lumière avec grâce. Le rendu est plus qu'avantageux pour ses œuvres qui ne prennent pas une ride avec le temps.
Pour ceux qui se demandent de l'intérêt de peindre un Maroc ancien, révolu et inexistant à la façon des orientalistes, Aziz Daki trouve une réponse sous forme de question résumant tout : «On peut certes se montrer dubitatif si l'on tient compte de l'évolution de la peinture et de la course à la modernité. Mais comment demander à Kirch de suivre les avant-gardes alors que tout en lui est résolument tourné vers le passé ?». C'est la «légitimité» de ses choix esthétiques qui fait son originalité… et il en est visiblement fier. -----------------------------
Bio express
Né en 1954 à Fès, Mohamed Kirch a suivi une formation à l'école des arts appliqués à Casablanca de 1971 à 1974. Il a enseigné les arts plastiques de 1976 à 1992 avant de se charger de l'inspectorat des arts jusqu'à 2005. Depuis 2006, il se dévoue exclusivement à la peinture. Kirch expose pour la première fois en 1976. Goûtant tôt aux plaisirs de l'abstrait, il se tourne aussitôt vers une figuration «réaliste».
Démontrant ainsi ses talents de coloriste, il donne une nouvelle vie à la peinture figurative. Sa maîtrise de la lumière se fait aussitôt remarquer et met en évidence sa préférence pour le Maroc antique, ses personnages, ses costumes, ses attitudes et ses ambiances. Côté technique, l'artiste reconnaît sa dette envers les maîtres d'autrefois. C'est chez les peintres flamands qu'il acquit cette grande connaissance des pigments et des formules qui va lui permettre de confectionner sa matière, l'un de ses points forts.