«Et c'est qui le père alors… ?». Autant la question est révélatrice, autant elle taraudait l'esprit des quelques centaines de villageois vivant dans cette petite localité. Depuis trois jours déjà, on ne parlait que de ça.
LE MATIN
25 Juillet 2008
À 15:20
A chaque rencontre au point d'eau, chez l'épicier, ou sur le sentier menant au douar, on ne pouvait s'échanger les rituels salamaleks sans parler de l'histoire qui a perturbé la quiétude de ce village, jusque-là paisible.
Une quiétude renversée par la découverte d'un cadavre, au petit matin. C'était celui de Boubker, la vingtaine à peine. Le jeune homme a dû être agressé en pleine nuit et portait des traces de coups au niveau de la tête. Des coups fatals l'ayant transformé en macabé sur le lieu même de l'agression. Il n'aurait aucunement pu effectuer un pas de plus avec la fracture crânienne occasionnée par son agresseur.
En moins de temps qu'il n'en faut, les éléments de la gendarmerie royale mettront la main sur l'assassin, grâce au témoignage de Khadija. Celle-ci a reconnu que la victime était son nouvel amant et que c'est son ex-petit ami, Youssef, qui l'a assassiné par jalousie et sous ses yeux. Boubker n'était plus donc, et sa sympathie regrettée était sur toutes les lèvres. Mais les conditions de sa mort ont été rapidement estompées par la question du moment, de l'heure, de l'instant même : «Qui pouvait bien être le père ? Boubker, Youssef ou bien Kamal… ?». L'histoire de Khadija et Youssef remonte à plus de cinq ans. Ils étaient ensemble et personne n'aurait pu soupçonner quoi que ce soit.
Ils se voyaient généralement durant les après-midi, et parfois même le soir, quand tout le monde est dans les bras de Morphée. Depuis quelques semaines, Youssef se sentait de plus en plus mal à cause du comportement de Khadija. En effet, celle-ci l'évitait de plus en plus. Chose qui éveilla les suspicions de notre ami Youssef. Mais il n'allait pas céder le pas aussi facilement que ça, car, sans emploi qu'il était, il allait trouver une nouvelle occupation : épier les moindres faits et gestes de sa dulcinée qui était en train de lui tourner le dos.
Ce sera chose faite et il découvrit le pire : Khadija commençait à voir, de plus en plus souvent, un certain Boubker, d'une dizaine d'années son cadet. Youssef souffrait le martyre. Son amour fou ira jusqu'à épier la maison où vivait celle qui ne voulait plus de lui, en pleine nuit, car il en savait des choses qui peuvent se passer en pareil moment chez Khadija. La patience de Youssef allait payer, car il surprit Boubker en train de raser les murs, à destination de là où vivait Khadija. Youssef ne réfléchit pas deux fois, se ruant sur le jeune homme et lui assénant plusieurs coups de bâton, le laissant raide mort, avant de rentrer tranquillement chez lui.
Khadia, qui attendait Boubker, a tout vu, mais elle ne pouvait en aucun cas intervenir. Elle rentra chez elle et attendit le petit matin. Le lendemain, la découverte du cadavre fera l'effet d'une traînée de poudre. Khadija livrera son témoignage, reconnaissant qu'elle avait une liaison avec les deux hommes, et que le largué a mis fin aux jours du nouvel élu. Il s'avérera par la suite qu'elle est enceinte. Et c'est là que l'histoire commencera à être tirée par les cheveux.
Plus d'une vingtaine d'années auparavant, ce douar n'était pas aussi grand que ça. Il n'y avait même pas de l'asphalte à une centaine de mètres, comme c'est le cas aujourd'hui. Seuls quelques petits paysans y vivaient avec femme et enfants dans des bicoques, s'occupant des petites parcelles de champs cultivés et des quelques têtes de bétails qu'ils possédaient. Khadija s'en souvient bien, de cette période. Elle était toute belle, toute potelée, à ses 18 ans. Ses joues roses l'étaient à perpétuité. Kamal, lui aussi, se souvient de cette période, et mieux encore, puisqu'il flirtait avec la trentaine. Leur histoire avait fait le tour du village.
Effectivement, cela faisait bien du temps que les deux tourtereaux se fréquentaient déjà. Leur soif de vivre ensemble allait bientôt être satisfaite, aussi bien grâce à leur ténacité qu'à cause des rumeurs qui circulaient dans les ruelles du village. Rumeurs qui ont accéléré les choses, au risque de finir en catastrophe, comme cela se doit dans un environnement où le conservatisme a son mot à dire. Mariés, Khadija et Kamal eurent un premier enfant, puis un deuxième… jusqu'à en avoir quatre.
L'amour, mais surtout la raison, n'étant pas éternels, le cœur de la jeune femme commença à vibrer pour le cousin de son mari, un certain Youssef. Il en était de même pour lui. Lui, qui était à ses heures creuses chez la femme de son cousin. Et Dieu sait s'il en avait, des heures creuses, puisque Youssef était sans emploi. Leur relation adultère prit forme et s'étala sur plus de cinq ans, jusqu'à ce que Khadija mette la main sur un nouvel étalon, pour larguer celui qui héritera, malgré lui, d'un chef d'accusation où figure homicide volontaire avec préméditation et guet-apens. ----------------------------------------
Jalousie mortelle
Rachid venait de quitter le centre pénitentiaire Oukacha de Casablanca. «Vive la liberté!», après six mois passés derrière les barreaux. Sauf que certains s'y habituent, à ces satanées barres métalliques, au point de tout faire pour les retrouver au plus vite. C'est notamment le cas de Rachid qui, bien avant sa libération, ne pensait qu'à ça. Pas directement, certes, mais d'une autre manière.
«Tu en as pour six mois de prison, c'est ça ? Cela fera six mois de liberté pour ta femme qui va s'envoyer en l'air avec le premier venu durant toute cette période», lui dira l'un de ses codétenus. La formule allait travailler Rachid, au point de devenir une véritable obsession durant son séjour à l'ombre. Cependant, cela allait lui causer une hantise double, puisque Rachid n'avait pas qu'une épouse extra-muros, mais aussi une maîtresse. Du coup, dans son esprit, les deux bonnes dames vivaient le grand bonheur pendant qu'il purgeait sa peine.
Autre particularité de l'histoire de Rachid, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, sa femme et sa maîtresse vivaient sous le même toit. Une situation qu'il a pu imposer d'abord à son épouse, puis à sa maîtresse, usant pour cela des deux uniques arguments qu'il possède : sa tyrannie et sa cruauté. Six mois plus tard, Rachid est libre de ses actes et déplacements, mais une haine incommensurable le submerge. Il ne pouvait penser à autre chose qu'à ce que les deux femmes de sa vie auraient pu faire durant son absence. Quelques jours après sa libération, Rachid rentrera très tard avec peu de sang dans son alcool.
À l'attention des enquêteurs de la police judiciaire qui l'interrogeaient, il racontera que, ce soir-là, il ne tenait plus sur ses jambes, qu'il est rentré chez lui et qu'il s'est dirigé vers sa chambre à coucher où il s'est assoupi, sans prêter attention à quoi que ce soit. Les faits diront autre chose. En effet, le lendemain, il sortit du lit, effectua quelques pas jusqu'à la porte de la chambre, avant de stopper net, comme foudroyé. Deux cadavres ensanglantés gisaient par terre, le premier étant celui de son épouse, tandis que le deuxième ne pouvait être que celui de sa maîtresse. Les deux femmes avaient été sauvagement défigurées, au point d'être difficiles à identifier. Jalousie, quand tu nous tiens.