L'humain au centre de l'action future

Huit films pour les non-voyants

Souvent oubliés par les autres, les non-voyants passent à côté de beaucoup d'activités dont notamment les manifestations culturelles.

29 Octobre 2008 À 12:25

Quand il s'agit de spectacle qui donne la part belle au visuel, ils en sont privés par la force des choses. Le cinéma, basé essentiellement sur l'image, leur est également inaccessible. Ecouter les voix des acteurs n'est pas suffisant pour savourer, à sa juste valeur, le spectacle et cerner toute l'action. Mais cette année, durant le Festival international du film de Marrakech, ces populations seront moins frustrées puisque la huitième édition de ce grand événement culturel leur permettra de surmonter le handicap de la vue pour mieux savourer certaines œuvres cinématographiques. La bonne nouvelle, c'est que le FIFM a eu l'ingénieuse idée d'adopter une expérience rarissime et exceptionnelle sur le plan mondial. Une première au Maroc. Une nouvelle section est ainsi née qui englobe une série de films dédiés aux non et malvoyants. Grâce à la fameuse technique « Audio Description», ces derniers auront la possibilité de suivre des films du début jusqu'à la fin parce qu'intégrant une voix off qui décrit ce qui se passe à l'écran.

Cette description (décor et déplacement des acteurs) est faite à travers une voix transmise par casque à réception infrarouge. L'usager a également la possibilité de régler le son à sa guise, grâce à une molette placée sur le casque. L'auteur de cette heureuse initiative n'est autre que Saïd Oumassou, jeune kinésithérapeute, lui-même non-voyant. Ayant découvert la technique de l'Audio Description en France, il propose aussitôt au secrétaire général du FIFM, Jalil Laguili, de programmer une série de films pour non et malvoyants dans le cadre du Festival. Le responsable accueille favorablement l'idée et contacte la chaîne franco-allemande Arte. « L'objectif principal de ce projet est de dire à la société marocaine que nous avons les mêmes droits que les autres, dont éventuellement celui à l'image. Nous voudrions qu'elle nous considère comme des citoyens à part entière en changeant de regard à notre égard et qu'elle cesse de nous considérer comme des personnes inférieures et faibles qui suscitent la pitié. Nous avons les mêmes capacités et avons le droit d'assister à des projections comme tout le monde », réclame le directeur du projet. Aussi, des films mythiques comme «L'inconnu du Nord-Express», «La main au collet», «Les oiseaux» d'Alfred Hitchcock, leur seront « visibles».

Ils auront également l'occasion de savourer le très célèbre «Lolita» de Stanley Kubrick, «Docteur Jivago» de David Lean, «Gandhi», de Richard Attenborough, «Chambre avec vue» de James Ivory, «Gorilles dans la brume», de Michael Apted. Des incontournables du cinéma mondial qui feront le bonheur des cinéphiles, non et malvoyants. La chaîne franco-allemande Arte s'est occupée de modeler ces 8 films alors que le FIFM se chargera de les projeter. Et pour ne pas isoler ces spectateurs des autres, les non et malvoyants suivront les films côte à côte avec les personnes capables de voir. La seule différence c'est qu'ils se serviront d'un outil en plus : le casque. Le maître mot de cette entreprise étant l'intégration et non la ségrégation ou l'exclusion. A côté de cette volonté d'intégration des non-voyants, l'ambition de Saïd Oumassou est d'impliquer davantage la SNRT (Société nationale de radiodiffusion et de télévision) dans leur cause, et ce, par la signature d'une convention avec Arte qui a une plus grande expérience en la matière et qui programme mensuellement des films pour cette population.

« La SNRT projette d'importer cette idée et d'adapter des films marocains à cette technique. C'est une première dans le monde arabe», se félicite S. Oumassi en précisant que cela demande, certes de grands efforts de la part de personnes formées dans la description des scènes des films. A l'instar des grands festivals, le FIFM se distingue, pour cette 8e, par ce projet. Tout ce qu'espère son initiateur c'est que cette expérience devienne une tradition, que les non et malvoyants trouvent leur place dans les salles obscures et que le monde de l'image leur soit «visible». Pour une meilleure diffusion de cette nouvelle, les contacts vont bon train pour aviser les intéressés de cette aubaine, grâce au soutien de l'Organisation alaouite pour la promotion des aveugles marocains (OAPAM).
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Histoire d'une technique

L'Audio description est une sorte de sous-titrage adapté aux déficients visuels (non-voyants et malvoyants). Elle consiste à ajouter sur la bande son d'une production audiovisuelle (télévision ou cinéma) des commentaires vocaux qui en décrivent les éléments visuels (action, décors), afin de la rendre accessible aux déficients visuels sans qu'ils n'aient à demander l'aide de qui que ce soit. Au théâtre, le processus est différent. Les audiodescripteurs doivent en effet tenir compte d'autres paramètres, les spécificités cinématographiques n'étant pas les mêmes que les spécificités théâtrales. Enfin, il existe une forme d'audiodescription destinée aux visiteurs de musées. L'audiodescription est apparue aux États-Unis, en 1975. Gregory Frazier, professeur à la San Francisco State University (School of Creative Arts) a été frappé de constater que l'épouse de son meilleur ami aveugle lui décrivait ce qu'il ne voyait pas alors qu'ils regardaient la télévision. Il a fait part de cette constatation au doyen de l'université, qui n'est autre qu'August Coppola, le frère de Francis Ford Coppola, le célèbre réalisateur. Ce dernier a décidé de mettre sur pied un programme académique.
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