Fête du Trône 2006

Un homme d'engagement et un journaliste militant

Dans la nuit du samedi 7 décembre 2003 s'éteignait, à Rabat, Moulay Ahmed Alaoui après onze ans de lutte contre la paralysie qui l'avait frappé de plein fouet en 1994, et qui avait fini par avoir raison de lui.

07 Décembre 2008 À 15:11

Ministre d'Etat depuis de longues années, fondateur du « Groupe Maroc Soir », il était aussi un homme politique éminent, un militant engagé de la première heure et un fervent patriote. Il vouait une viscérale et irréductible fidélité à la Monarchie. Avec lui disparaissait une époque entière pour la génération de collaborateurs et proches que nous étions. C'est trop peu dire qu'il nous laissait quelque peu «orphelins», parce que «patron» exigeant, il savait être, il était surtout humain, d'une rare affabilité et en même temps d'une lucidité à toute épreuve. Homme d'engagement, fidèle des fidèles, il vouait un attachement indéfectible à la Famille Royale et au Trône, pour S.M. Hassan II dont il était le compagnon de tous les temps, à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, alors Prince Héritier ou Roi dont il a suivi pas à pas et avec une passion sans relâche l'évolution et pour lequel il cultivait une affection hors du commun, à LL.AA..RR les princesses également.

De tout ce rapport exceptionnel à la Famille royale, il préférait garder le silence. Quand d'autres, invoquant une prétendue intimité, se découvrent aujourd'hui sur le tard une vocation de mémorialistes et se transforment en critiques post-mortem du règne de feu Hassan II, Moulay Ahmed Alaoui n'eût jamais cédé à la prétention exubérante de « dévoiler » quoi que ce soit.Pourtant, s'il est un personnage qui eût pu revendiquer la proximité la plus proche avec le Souverain défunt, la familiarité de tous les instants, ce fût lui. Compagnon de feu Hassan II, il l'était à plus d'un titre, mais une profonde pudeur était également sa morale instinctive et, surtout, sa règle de conduite.

A ce titre, il incarnait le «chevalier» dont le combat n'était pas seulement situé sur le terrain de la presse, mais dans les fins fonds du Royaume qu'il parcourait à l'avenant, infatigable, irrésistible et engagé, au ras des pâquerettes et loin des salons feutrés. Il était le virtuose de la pédagogie terre-à-terre, le porte-parole de la Monarchie, une sorte de « commissaire du peuple » auprès du Roi, un incomparable dévot pour ce dernier. Sur ses épaules, invisible comme un insigne naturel, il arborait l'étoile de la fidélité au Roi et au Trône. De 1940 à l'aube de l'an 2000, il n'aura cessé de combattre pour la Monarchie, en France d'abord dans le giron du mouvement nationaliste qui y était implanté ces années d'après-guerre. Coordinateur du bureau d'information du mouvement national à Paris, il ira porter à Guy Mollet, alors président du Conseil, la lettre de revendication exigeant la fin de l'exil à Madagascar de feu Mohammed V et l'indépendance du Maroc.

A la Libération, il est nommé directeur du bureau de presse du Palais et, plus encore, il sera le responsable de l'information avant d'être ministre du même département. Ses relations tissées à Paris avec les leaders africains , français et européens, son réseau personnel enrichi et renforcé les années suivantes, son entregent remarquable et son sens politique lui permettent de capitaliser ce qu'on appelle de nos jours un « carnet d'adresses » qui sera mis à profit pour défendre son pays. Les dirigeants africains, il les connaissait quasiment tous à titre personnel et la scène politique africaine n'avait aucun secret pour lui, d'autant plus que sa connaissance des réalités du continent, outre le maintien des contacts directs et continus avec les responsables, s'appuyait sur une érudition à nulle autre pareille. Ses éditoriaux, publiés pendant des années simultanément dans les quotidiens « Le Matin » et « Maroc Soir » étaient de grandes épreuves de recherches préalables, historiques, politiques, économiques et autres.

Dans l'affaire du Sahara, aussitôt et peut-être même avant d'être déclenchée officiellement par une conférence de presse de feu S.M. Hassan II en septembre 1974, Moulay Ahmed Alaoui aura été incontestablement une sorte d'aiguilleur. Tout au long des années, pendant que le Royaume du Maroc revendiquait les provinces du sud, les récupérait ensuite et enfin y lançait les vastes chantiers de développement, il n'avait cessé et ne cessera jamais de défendre – par des éditoriaux qui sont une référence – la vision politique, économique et sociale de feu S.M. Hassan II dont il s'efforçait, à vrai dire, de traduire chez le peuple, autant que faire se peut la pensée et les actions. C'était son combat exclusif et sa raison d'être que défendre la Monarchie, donner d'elle l'image d'une institution populaire, le symbole légitime de l'unité nationale, le vecteur du progrès. A ses proches et à ses collaborateurs directs, dont le signataire de ces lignes, il dispensait tous les jours les préceptes d'un journalisme engagé et livrait de véritables « leçons de choses » sur l'engagement et la responsabilité que nous autres recevions avec un bonheur. Nous en faisons, à vrai dire, un bréviaire.

Car, Moulay Ahmed Alaoui était un maître, il régnait toujours en moraliste, en visionnaire pour lequel chaque mot, comme aussi chaque silence comptaient. On l'attendait à Casablanca, il surgissait à Tan-Tan, accoutré du costume bleu du Sahara et au beau milieu des populations d'un festival improvisé qui n'avait pas encore pris ses marques. Son bureau ? C'était d'avantage sa voiture dans laquelle, jour après jour, il sillonnait le Maroc entier pour des incursions dans les fins fonds de villages et de faubourgs. Il était l'explorateur des profondeurs, le sondeur des consciences du peuple. Entre Taounate et Hadkourt, à un moment où le téléphone portable n'existait pas encore, Moulay Ahmed Alaoui arrachait le « téléphone–radio » à n'importe quel gendarme perdu en pleine campagne pour appeler son journal, dicter telle ou telle information, se faire lire pendant une heure le texte de son éditorial du lendemain, vérifier avec une implacable rigueur un titre ou une « manchette » ! Il était non seulement connu par tous, populaire mais aimé et sa spontanéité avait valeur de morale. Déployant une énergie insoupçonnable, il était le « communicateur » par excellence, le regard de S.M. feu Hassan II.

Le journalisme qu'il a pratiqué pendant toute sa vie comme aucun autre ne l'a fait était un journalisme de combat, au nom d'une seule exigence : le soutien aux institutions et à la Monarchie, la défense irréductible de son pays. Cette disposition politique constitue le socle de son engagement intellectuel, il la défendait devant nous bec et ongles et devant les étrangers notamment, il se faisait l'avocat irascible d'un journalisme militant. Car, affirmait-il, la presse dans les pays en développement est d'abord un « service public et le journaliste un pédagogue et un instituteur » ! Nous en sommes loin aujourd'hui de cet idéalisme, la presse nationale versant de plus en plus dans la commercialisation et le profit…
De ses quotidiens, « Le Matin» notamment, il entendait faire le grand journal généraliste du service public, un « organe de référence » , exigeant et complet, peu importait à ses yeux qu'il fût rentable ou non. Il entendait – et ne cessait de nous le répéter tout au long des années – faire du « Matin » une sorte de bréviaire de tous les lecteurs fédérés, les décideurs, les responsables gouvernementaux, les diplomates, les intellectuels, les employés.

D'un quotidien de 8 à 16 pages hérité en 1971, « Le Matin » est passé aujourd'hui à près de 38 pages quotidiennes. Et certains jours à plus de 68 pages avec les suppléments. Moulay Alaoui a suivi non sans une discrète circonspection l'évolution de son journal devenu chaque édition plus lourd et étoffé. Le quotidien s'est transformé, et la vieille maquette des premiers jours en noir et blanc, refondue les dernières années, comme aussi l'introduction de la couleur en 1994 sous ses directives, avaient littéralement métamorphosé le titre simplifié qu'il adulait. Mais, alors que la presse de nos jours s'enfonce dans une crise de confiance et de conscience, il serait bon de rappeler comment lui pouvait entrevoir le métier en faisant sienne cette parole de François Mauriac qu'il avait fréquenté autrefois dans les années cinquante à Paris, lorsque le célèbre écrivain français, journaliste au premier degré, militait en faveur de l'indépendance du Maroc : « Le fin du fin de la profession de journaliste ne consiste pas à coller le masque de la moralité sur des reportages immondes, que le dernier mot de notre métier n'est pas de flatter la paresse du public et sa lubricité, ni de lui fournir des images et des gros titres pour le dispenser de lire le reste, et même quand cela ne sert à personne et simplement parce que c'est la coutume, de ne rien écrire qui ne soit inexact et d'avoir comme la phobie du vrai ».

Faut-il rappeler qu'il était le plus informé et que sa radio branchée sur RFI en bandoulière, il lisait aussi scrupuleusement tous les titres de la presse, nationale et internationale. A quelques années seulement de sa disparition, immobilisé sur une chaise roulante, il n'avait pas pour autant quitté ce que furent sa vie et sa «drogue» : «Le Matin». Avec la même attention assidue, il écoutait non sans passion la lecture que nous lui faisions de l'éditorial et, sans doute d'aucuns s'étonneraient-ils de l'apprendre, il y était réactif quand bien même la formulation des remarques lui était devenue un pénible exercice. Il tenait à être informé chaque jour du contenu du journal, comme s'il s'accrochait à son idéal d'homme actif et présent. Il est devenu au terme d'une grande aventure qu'aura été sa vie de militant, de ministre – il a été onze fois ministres entre 1961 et 2001 - , de président fondateur du Groupe Maroc Soir, de « conseiller » et de très proche de feu S.M. Hassan II, un sage , un « homme du silence et des silences » et sa personnalité, autrefois fougueuse et plus tard apaisée, est demeurée intacte et respectée. Pour nous autres, ces élèves et disciples décontenancés après sa mort, il demeure un modèle d'engagement et un grand journaliste.
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