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Diplomatie et pétrole au Nigeria

Ike Okonta : Chercheur au sein du département de politique et relations internationales de l'université d'Oxford

21 Janvier 2008 À 18:14

La Russie n'est pas le seul pays à considérer le pétrole comme un moyen d'améliorer sa position mondiale. Le président du Nigeria Umar Yar'Adua, au pouvoir depuis juin 2007 après des élections controversées, s'est promis de faire de son pays l'une des vingt plus grandes économies mondiales d'ici 2020.

Yar'Adua et son Parti démocratique populaire (PDP) luttent pour imposer leur autorité à un pays agité et peu maniable peuplé de 140 millions d'habitants, et, pour le gouvernement, une croissance rapide est un moyen d'atteindre ce but.
Les Nigérians ont bien besoin d'un peu d'espoir. En passant le pouvoir à Yar'Adua l'année dernière, Olusegun Obasanjo, le premier président élu du Nigeria en 1999 après presque vingt ans de dictature militaire, a laissé de grandes parties du pays empêtrées dans la misère.

Maintenant que le pétrole atteint 100 $US le baril et que des géants très demandeurs, comme les États-Unis et la Chine, se bousculent aux portes du Nigeria, le principal producteur de pétrole d'Afrique entend utiliser les pétrodollars pour guérir les maux du pays et faire ses armes dans l'arène internationale. Tout en surfant sur la crête du dernier boom pétrolier de la fin des années 1970, les dirigeants militaires du Nigeria ont nationalisé les actifs de la British Petroleum (BP) et sont devenus les champions de la coopération panafricaine, en finançant plusieurs mouvements de libération africains.

Les intérêts de l'occident et du Nigeria se sont opposés à maintes reprises, mais le Nigeria a toujours campé sur ses positions. Un mode de gouvernement en dépit du bon sens et le déclin économique des années 1980 et 1990 ont forcé les dirigeants du Nigeria à se concentrer sur des problèmes plus proches, comme les guerres civiles du Liberia et de Sierra Leone. Mais les vieilles habitudes s'acharnent à ne pas disparaître.

Le Nigeria a toujours cherché à jouer un rôle de chef de file en Afrique et au sein de sa diaspora. Cependant, dans l'agitation des années 1990, quand le Nigeria a été temporairement suspendu du Commonwealth britannique après l'exécution du militant des droits des minorités Ken Saro-Wiwa par le régime du général Sani Abacha, l'élite gouvernementale a cherché à donner au Nigeria sa "juste” place dans les affaires mondiales.

On voit aujourd'hui apparaître des signes de la résurgence d'une politique étrangère dictée par le pétrole. En octobre dernier, Yar'Adua s'est joint à l'Afrique du Sud et à la Libye pour s'opposer aux projets des États-Unis de déployer leur nouveau commandement militaire régional en Afrique, l'AFRICOM. Il a ensuite demandé à l'Assemblée nationale nigériane d'annuler 13 millions de dollars de la dette bilatérale de 43 millions de dollars du Liberia après que la présidente libérienne, Ellen Johnson-Sirleaf, a retiré sa proposition d'accueillir ce nouveau commandement.

Les responsables nigérians prennent bien garde à réfuter tout lien entre ce cadeau financier et le fait que Johnson se soit détournée de l'AFRICOM. Il ne font pas non plus part de leur souci que l'AFRICOM puisse faire partie de l'effort américain pour exercer un contrôle sur les pays producteurs de pétrole de l'Ouest africain. Dans des notes confidentielles, le Nigeria insinue qu'il ne tolérera aucune incursion étrangère sur une ressource vitale et stratégique à ses portes. D'un point de vue national, on doit cette démonstration de force de la politique étrangère nigériane à la confrontation actuelle entre le nouveau Conseil national de l'énergie, aux ordres du président, et les compagnies pétrolières occidentales, menées par la filiale nigériane de Shell, sur le moment opportun où mettre un terme au torchage liée à la production pétrolière.

Le gouvernement insiste pour fixer la limite à janvier 2008, mais les compagnies se plaignent que la répugnance du gouvernement à financer pleinement sa part des coûts d'exploitation et que la violence politique croissante dans le delta du Niger rendent cette limitent irréaliste, et veulent la prolonger de trois ans. Le Département des ressources pétrolières (DPR), l'agence de régulation de l'industrie du pétrole, a rejeté ces revendications, et promis d'imposer de lourdes amendes aux compagnies qui ne respecteraient pas la limite. Au début des années 1990, désespérément à court de devise forte, le Nigeria a négocié des contrats permettant aux compagnies pétrolières de développer de nouveaux gisements et de rentrer dans leurs frais avant d'en partager les bénéfices.

Aujourd'hui, après la découverte d'énormes réserves par ces compagnies, les technocrates nommés par Yar'Adua pour se charger de la politique pétrolière veulent une plus grosse part du gâteau pour le Nigeria. Ce qui signifie aussi mettre un terme au co-financement par le gouvernement des coûts d'exploitation et exiger que les compagnies pétrolières pompent les marchés de capitaux pour compenser le manque à gagner.

En outre, Tony Chukwueke, directeur du Département des ressources pétrolières, a annoncé des projets de création d'une version africaine de Petronas, la compagnie pétrolière d'État de Malaisie, et de transformation de la sclérotique Nigerian National Petroleum Corporation en puissante firme pétrolière qui pourra dominer le marché dans le golfe de Guinée et d'autres régions émergentes. L'occident a exercé une grande pression sur Yar'Adua pour qu'il reconsidère la limite du mois de janvier. Son élection est remise en question devant les tribunaux par d'autres candidats, et le soutien de l'occident pourrait influencer la stabilisation de son gouvernement.

Mais ses conseillers, dont certains ont joué un rôle-clé dans la politique étrangère du Nigeria des années 1970, tiennent à utiliser le sujet des torchères pour démontrer la détermination de Yar'Adua et sa position de leader panafricain. Pourtant, tout comme dans les années 1970, le succès de la diplomatie nigériane dépendra de la capacité du gouvernement à se gagner une légitimité sur le territoire national. Il faudra pour cela réparer et améliorer les infrastructures abîmées, créer une prospérité économique, gérer des services sociaux efficaces, et maîtriser les troubles de la région du delta. Il n'apparaît pas encore clairement que le gouvernement de Yar'Adua sera capable de relever ces défis.
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