Fête du Trône 2006

Interview Aziz Daouda, ancien directeur technique de la Fédération de l'athlétisme

L'ensemble du monde sportif national se noie dans un amateurisme aujourd'hui partout dépassé.

10 Février 2008 À 16:15

Le Matin : Les blessures de l'échec de l'équipe nationale à la CAN sont toujours ouvertes, comme en témoignent les vifs débats au Parlement ou dans la rue. Pourquoi ce sport collectif génère-t-il tant de passion ?

Aziz Daouda :
Le football est une passion universelle. Il est unique, puisque l'on ne connaît point d'activités humaines aussi répandues et soulevant autant de passion.
Qui dit passion dit égo, sentiments, frustrations, etc. Les Marocains, comme tous les autres peuples du monde, subissent justement le phénomène de plein fouet, compte tenu notamment de la jeunesse de la population.

Ne l'a-t-on pas qualifié d'opium des peuples ?

Les peuples ont besoin de repères et d'icônes, celles du Maroc sont sportives : des athlètes et des footballeurs. Il est donc normal que les Marocains qui se passionnent pour leur football et s'identifie à ces joueurs soient en ces temps durs révoltés, au vu de la piètre prestation nationale en coupe d'Afrique. Ce qui les fâche davantage, c'est de voir des pays semblables au nôtre réussir là où nous avons lamentablement échoué. Ceci dit, il faut avoir à l'esprit que la colère de la rue a été attisée, exagérée mais vite récupérée, voire manipulée. La simple défaite footballistique s'est transformée en une catastrophe nationale comme si par ailleurs nous étions habitués à autre chose que l'élimination en football. Dans notre histoire nous n'avons joué qu'une seule finale africaine, pas plus. Les statistiques étant ce qu'elles sont, il faut remonter à 1976 pour trouver la seule victoire des Marocains à la CAN et encore que la compétition n'était pas celle d'aujourd'hui et le niveau bien loin de ce que nous avions vu au Ghana. N'oublions pas aussi que les moments de gloire véritable du football marocain se comptent sur le bout des doigts. Cependant, loin de toute polémique, il faut toujours avoir à l'esprit qu'en sport il n' y a pas de droits acquis et que la compétition est bien là pour mettre chacun à sa place. Le problème est qu'à l'approche de chaque échéance les promesses et les commentaires non documentés, voire subjectifs à outrance, foisonnent et font naître chez la population des rêves des fois insensés. Ce fut malheureusement encore une fois le cas à la veille de la CAN 2008.

Qu'en est-il des autres sports ?

Faut-il rappeler qu'en football nous arrivons au moins à disputer les phases finales de la Coupe d'Afrique et de temps à autre nous nous qualifions aussi pour celles de la Coupe du monde. Qu'en est-il des autres sports collectifs ? Excepté le handball, aucune autre discipline n'arrive à ce niveau.
En fait une seule discipline sportive arrive à tirer son épingle du jeu au niveau mondial, c'est l'athlétisme. Là le Maroc a figuré parmi les 10 meilleures nations du monde jusqu'en 2007, une bonne trentaine de médailles mondiales, près d'une vingtaine de médailles olympiques et de records du monde. Seule la boxe a pu gagner deux médailles olympiques en dehors de celles de l'athlétisme.
Il faut malheureusement admettre que certaines disciplines sont tout simplement moribondes et bien proches de la syncope qu'autre chose. Bon nombre de Fédérations royales marocaines n'ont même pas l'effectif ou la taille d'une école primaire.

Donne-t-on suffisamment d'importance au sport à l'école, dans les universités ou au sein des associations ?

Depuis l'indépendance, malgré deux colloques nationaux historiques, le Maroc n'a jamais su arrêter une vision claire pour son sport. Il est répété partout que le sport scolaire est la base et pourtant il s'agit ici d'un slogan vide plus qu'autre chose. L'activité physique est à ce jour absente au niveau du primaire. En secondaire, la conception est restée désuète, voire dépassée. Nous n'avons pas réussi par exemple à établir un lien fonctionnel, donc efficace et productif entre l'éducation physique et le sport. L'éducation physique est chez nous une matière d'enseignement au même titre que les autres matières mais le sport lui est ici une activité ludique, souvent laissée pour compte. Si vous ajoutez à cela l'organisation scolaire et les programmes trop chargés, la situation ne fait que se compliquer. Aujourd'hui, dans les pays développés, c'est à l'école et à l'université que sont formés à la base les sportifs, les associations prenant le relais avant que les jeunes les plus doués n'entament une carrière dans le sport de compétition, passant ainsi progre- ssivement et naturellement au professionnalisme.

Le limogeage d'Henri Michel n'explique pas pourquoi le football a atteint le fond et n'arrive plus à émerger. On parle beaucoup de la nécessité de faire une mise à plat. Quel diagnostic faites-vous, personnellement ?

Le limogeage d'Henri Michel est venu suite à un sursaut d'orgueil et non au vu des résultats en coupe d'Afrique.
Du moins c'est ainsi que j'ai compris le communiqué de la FRMF. Je partage parfaitement le point de vue de la fédération. La décence aurait voulu que M. Michel s'éloigne de faire porter le chapeau à d'autres sans scrupule aucun, combien même ils partageraient avec lui la responsabilité.
Comme chacun le sait, l'entraîneur est responsable en premier des résultats de son équipe.

Le football est-il ainsi une science impénétrable pour les Marocains ?

Le meilleur football que nous ayons développé comme fond de jeux durant toute notre histoire nous l'avons fait avec des nationaux. Là je veux rendre hommage à Abdallah Settati, feu Ammari, Abdelkhalek Louzani, Badou Zaki, plus récemment Fathi Jamal avec son équipe juniors. L'équipe nationale n'est que le reflet de la situation du sport en question. Pour avoir une bonne équipe nationale, il faut avoir un bon système de compétition à même de dégager les élites. Pour avoir un bon système de compétition, il faut avoir une stratégie et une bonne organisation compétente et honnête. Mais cela ne suffit pas, puisqu'il faut en parallèle avoir les acteurs qu'il faut, notamment en matière de joueurs.

Beaucoup préconisent de mettre à plat en changeant de fond en comble le système et les hommes, notamment celui des fédérations, pour tourner la page et en aborder une nouvelle. Quel est votre sentiment ?


La FRMF et les département chargés des sports qui se sont succédé ont initié plusieurs réformes du football et ont mis sur la table une multitude de stratégies, mais aucun n'a trouvé le chemin vers l'application. A croire que la réforme est chez nous impossible. Au nom des acquis « inaliénables », n'a-t-on pas fait avorter par exemple le gigantesque projet imaginé du temps de Abdelhafid Kadiri, alors ministre de la Jeunesse et des Sports ? Depuis des années, la FRMF n'arrive même pas à imposer des relations contractuelles au sein des clubs.

A peine évoque-t-on le terme de réformes profondes que les boucliers sont levés et que les haches sont exhibées ?

En fait, aucune réforme n'a été menée à son terme et donc n'a été efficace. Sinon on n'en serait pas là. Ce genre de débats qui risque encore une fois d'avorter, nous l'avons déjà vécu au moins deux ou trois fois. A chaque fois, c'est la même chose. La montagne accouche d'une souris et rebelote jusqu'à la prochaine tuile.

Vous dites qu'il faut mettre à plat le système pour le remplacer par quoi ? A-t-on une vision ? Va-t-on encore une fois agir sous la pression des événements pour sortir avec de petits rafistolages aussi peu efficaces que toutes les «mesurettes » précédentes prises dans les mêmes conditions ?

A mon humble avis, c'est une réforme globale et radicale qu'il faut tenter. Le Maroc est capable de cela et en a les moyens humains et matériels. Le système des fédérations est partout dépassé. Vous savez que pas plus de cinquante pays au monde continuent à faire confiance au système des fédérations tel que nous le pratiquons et qui remonte à l'après-guerre. Encore qu'ailleurs il a progressé, mais pas chez nous. On continue à faire gérer le sport de compétition, que nous voulons de haute compétition par des amateurs du dimanche. Regardons comment est géré le sport anglais, américain ou allemand. Ne s'agit-il pas de grandes démocraties ? Nous ne pouvons plus nous permettre au nom de la démocratie de continuer à dilapider non pas uniquement des moyens matériels et financiers certes coûteux, mais aussi le talent de notre jeunesse. Nous ne pouvons plus aussi au nom de la même démocratie nous permettre de nous jouer des sentiments de nos concitoyens. Les Marocains ont évolué et veulent voir évoluer leur pays en sport aussi. C'est leur droit. Et le sport est devenu un business de gens sérieux.

Quelles réformes préconisez-vous pour la fédération ?

Je ne pense pas qu'il faille isoler la FRMF du contexte général du sport national. Le problème est à traiter dans sa globalité. Il faut vite étudier, légiférer et agir sans s'éterniser dans des diatribes sans issue. Je l'ai dis plus haut, le Maroc en est capable et en a les moyens. Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir qui doit faire quoi. Les attributions de chacun sont bien là, mais c'est un mode de gestion et de répartition des tâches qui ne fonctionne pas, du moins pas de façon efficace.
Pour moi, il faut recourir à une administration de missions qui regrouperait et traiterait de l'ensemble de la question sportive. C'est ce qu'avait prévu le Premier ministre Driss Jettou. Mais il n'a pas réussi à la mettre en œuvre.
Encore une idée avortée. Je ne vois pas d'autres moyens plus rapides pour mettre de vraies réformes dans le pipe.

Vous avez été beaucoup critiqué avant de quitter les commandes de l'athlétisme marocain. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

De mes trente années et plus d'athlétisme, je ne garde que des sentiments de fierté. J'ai milité pour cela et j'ai réussi à hisser mon pays dans ce sport au plus haut de la hiérarchie mondiale. Pas tout seul évidemment. J'ai travaillé dans une bonne ambiance avec de véritables responsables, des cadres compétents et des athlètes volontaires. Ensemble, nous avons accompli des miracles. Que puis-je espérer d'autre ?

Vous avez été nommé directeur technique de la Confédération africaine d'athlétisme. Quelles sont vos missions ?

La Confédération africaine, j'y suis directeur technique depuis deux ans et déjà il y a d'excellentes réalisations et un programme ambitieux avec le président Hamad Kalkaba, l'ensemble du bureau et du staff avec le soutien du président Lamine Diack de l'IAAF. On est complémentaire. On travaille dans la sérénité, la compétence et le respect. Aujourd'hui, nous avons déjà notre circuit de meetings dont 5 comptent pour le grand prix de l'IAAF. N'oublions pas que l'athlétisme est le premier sport en Afrique en ce qui concerne les résultats. Les prochains Jeux olympiques vont encore une fois le prouver.
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