Fête du Trône 2006

Jean-René Fourtou, président du Conseil de surveillance de Vivendi , auteur de «la passion d'entreprendre»

Jean-René Fourtou, né en 1939, est diplômé de l'Ecole polytechnique. En 1963, il entre chez Bossard & Michel en qualité de consultant. En 1972, il devient Directeur Général de Bossard Consultants et Président-directeur général du Groupe Bossard en 1977. En 1986, il est nommé Président-directeur Général du Groupe Rhône-Poulenc. De décembre 1999 à mai 2002, il officie en qualité de vice-président et Directeur Général d'Aventis. Il est Président d'honneur de la Chambre de commerce internationale. En avril 2005 il est : Président du conseil de surveillance du groupe Vivendi. M. Fourtou est co-président du Groupe d'impulsion économique franco-marocain créé en septembre 2005 dans l'objectif de proposer des mesures visant à améliorer les relations économiques entre les deux pays. 2005 : Coprésident du Groupe d'impulsion économique France Maroc GIEFM (aux côtés de Mustapha Bakkoury).

Jean-René Fourtou

24 Novembre 2008 À 16:45

Pays amis de longue date, la France et le Maroc travaillent en permanence au renforcement de leur coopération, notamment sur le volet économique. La course aux parts de marchés dans le monde, marquée aujourd'hui par une rude concurrence, d'une part, les efforts de modernisation du Maroc et les opportunités d'affaires qu'il offre désormais, d'autre part, incitent les responsables des deux pays à identifier de nouveaux leviers d'impulsion à leurs échanges commerciaux et industriels, profitables aux entreprises françaises et à leurs homologues marocaines.

C'est dans cet esprit de «faire plus et mieux» qu'est venue l'idée d'impliquer davantage la communauté des affaires des deux pays en lui donnant un mandat de promotion d'investissements et d'impulsion de partenariats entre leurs entreprises. En septembre 2005, à l'occasion de la réunion mixte franco-marocaine, les Premiers ministres marocain et français ont alors décidé la création d'un groupe de travail composé de chefs d'entreprise de leurs pays respectifs. La présidence de ce groupe a été confiée conjointement à Mustapha Bakkoury, directeur général de la Caisse de Dépôt et de Gestion, pour le Maroc, et à Jean-René Fourtou, président du Conseil de surveillance de Vivendi, pour la France.

L'objectif fixé à ce groupe, baptisé GIEFM (Groupe d'impulsion économique France-Maroc) est de contribuer par des propositions concrètes à la dynamisation des relations économiques entre le Maroc et la France. Depuis sa création et au fur et à mesure de l'avancement de ses travaux, les deux co-présidents ont associé au groupe des chefs d'entreprise leaders, français et marocains, capables d'apporter par leur expérience, leur poids, leur notoriété et leur rayonnement, des idées et des propositions qui peuvent aider à atteindre les objectifs fixés. Le groupe, composé de personnalités du monde des affaires représentant la plupart des grands secteurs industriels et des services a également invité à ses réunions, de façon ponctuelle et sélective, d'autres hommes d'affaires dont le témoignage et les remarques peuvent s'avérer pertinents pour les travaux du GIEFM.
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Lire l'entretien de Jean-René Fourtou

LE MATIN : On dit que l'enfance modèle les destins et les carrières. Quel a été votre parcours ?
JEAN-RENE FOURTOU :
J'ai toujours été pensionnaire à l'école, je vivais en Espagne et on m'envoyait à Bordeaux pour trois mois. Au lieu de me recroqueviller, j'avais constaté que j'avais du leadership. En étant pensionnaire, cela développe des qualités insoupçonnables. J'ai été bon en sport, en math. Par ces conditions de vie relativement difficiles, j'ai découvert que j'avais la capacité d'animer, d'entraîner. J'ai compris que l'énergie c'est ce qui compte le plus.

Que faites-vous après l'Ecole polytechnique ?

J'ai lancé une activité de conseil dans la gestion des conflits. Dans une entreprise, il y a des événements, des situations de force, on a été très efficace dans la gestion de ces conflits, on a même essayé de les prévenir et de créer une dynamique dans le personnel. On a inventé les bases d'une science nouvelle la sociodynamqiue où chacun développe avec les autres de l'opposition et de la synergie. On a fait des graphiques et on a positionné des gens .
La relation avec les gens s'explique par des procès d'intention « vous m'aimez mais moi je ne vous crois pas ».L'inverse aussi est terrible c'est le crédit d'intention « vous m'aimez mais je vous fais des problèmes ». On a analysé tous ces jeux et on a élaboré des stratégies. En Europe, nous sommes habitués à la stratégie de Clausewitz, de Napoléon avec les grandes guerres où l'on tue le maximum. En Asie Sun Tsu a développé une autre théorie dans « l'art de la guerre ». Il ne s'agit pas de tuer mais d'exister davantage. j'avais développé des stratégies dans ce sens, avec notamment la stratégie des alliés et c'est ainsi que je suis devenu l'ami de Giscard d'Estaing une fois qu'il a été battu en 1981. Je lui ai expliqué les erreurs que son parti avait faites dans la stratégie des alliés. Il avait été fasciné.

La sociodynamique existait-elle dans le monde de l'entreprise ?
Tout à fait. Rien que sur ce thème, j'avais une centaine de consultants. Quand il y avait des grèves, nous avions une efficacité redoutable alors même que je n'avais pas fait d'école de management. J'étais sorti de polytechnique bourré de mathématiques et je m'étais lancé en tant qu'ingénieur conseil et j'étais très demandé. J'avais développé une théorie où l'énergie et la dynamique font fi de tout le reste et cela avait développé des attitudes de stratégie et de communication très différentes en fonction de la situation des partenaires. J'ai publié un livre fondé sur la socio dynamique qui faisait bouger les choses «la passion d'entreprendre».

Vous êtes allé dans le cadre de vos activités très loin, en Asie et aux Etats Unis. Aujourd'hui, on découvre les avantages de la proximité, du Maghreb et du Maroc en particulier. Quelles sont les raisons ?

Pour certaines activités, les entreprises occidentales vont vers des pays à productivité supérieure parce que les gens travaillent plus, parce qu'ils sont moins chers. Pour survivre, il y a des morceaux de leurs chaînes de valeur qu'il faut faire à l'extérieur, en Asie, en Europe de l'Est ou en Afrique du Nord. Cette tendance est irréversible. Celui qui s'enferme dans l'hexagonal perd progressivement de la compétitivité par rapport à ceux qui s'organisent mondialement. Il y a bien sûr intérêt à avoir des activités en France car il y a des ressources humaines de qualité, une infrastructure, une attractivité des territoires. Mais pour certaines parties, il faut externaliser. C'est un mouvement irréversible en même temps sain car il permet d'amener de l'activité et de la recherche dans des pays moins développés et c'est une tendance favorable qui rééquilibre les économies du monde.

Cela ne concerne pas que les activités industrielles, mais les activités administratives avec le BPO. Regardez ce qui se passe en Inde qui a su attirer de l'Offshoring administratif, du secteur tertiaire. Avec le Maroc en plus de la proximité géographique, il y a une proximité intellectuelle qui est fascinante. Les Marocains parlent souvent le français mieux que les Français, l'élite dans sa majorité a été formée dans les grandes écoles françaises, nous avons cette année 15 polytechniciens marocains à l'école polytechnique. A Maroc Télécom, la plupart des cadres ont fait Télécom à Paris et en même temps, les Marocains ont leur culture, leur identité très profonde à laquelle ils sont très attachés. Le Maroc est d'autre part un pays de savoirs être où il est agréable de vivre. Les patrons veulent allier le travail à la qualité de vie et préfèrent aller là où ils sont bien accueillis et où il y a du soleil. Le Maroc est glamour par rapport à d'autres pays, tout cela constitue des atouts indéniables.

On a longtemps eu le sentiment que le Maroc voulait protéger sa culture et ses traditions et qu'il se repliait. Aujourd'hui avec MohammedVI, les choses ont changé, le pays s'est ouvert .Il a pris des décisions importantes, d'ouvrir le ciel ce qui a boosté le low cost, le foncier, la législation…Il y a un effort d'infrastructures colossal ! Les plans Emergence, plan Azur, plan vert et d'autres plans sectoriels ont donné des feuilles de route. Quand les entrepreneurs, les industriels ont de la visibilité, ils s'engagent. Il y a à coté de cette volonté, un pragmatisme des plus attractifs. Dans un mouvement où les délocalisations vont se développer suite à une réorganisation de la chaîne de valeur, le Maroc a des atouts considérables par rapport au Maghreb et même par rapport à l'Europe du Sud. Ces atouts sont tout d'abord, la proximité, une formidable volonté et ce qui est décliné, c'est-à-dire les infrastructures, les investissements et les réformes qui suivent.

Le Maroc est le seul pays de la région qui ait signé des accords avec les deux grands marchés, l'Union européenne et les Etats Unis sans compter l'accord d'Agadir qui ouvre des perspectives. Comment appréciez-vous cette donnée ?

C'est important, mais cela prend du temps. Ce n'est pas parce qu'il y a un accord que vous vous installez et que vous vendez. Il faut trouver des partenaires dans le pays, trouver des chaînes de distribution, il faut parfois modifier les produits. Si on veut profiter de la place Maroc, il faut une adaptation pays par pays.
Cela prend du temps. Mais la politique générale, les infrastructures, les aides quant à la formation, à l'implantation et au foncier montrent qu'il y a une volonté très forte du pays d'avancer et de s'inscrire dans la mondialisation. Progressivement, tout avance. Regardez avec l'Offshoring, et les formidables avancées réalisées avec Casanearshore, avec Rabat Technopolis et demain avec d'autres technopoles à Tanger, à Marrakech, à Fès. Malgré la crise, il y a un mouvement et une dynamique et la tendance ne devrait pas être ralentie, même si certaines répercussions peuvent se faire au niveau immobilier.

Il y a une réelle prise de conscience sur l'importance de la formation qui est le talon d'Achille de cette dynamique. Qu'en pensez-vous ?

Il y a deux Maroc, celui qui me rappelle beaucoup l'Espagne où j'ai vécu et l'autre qui concerne quelque
15 millions de ruraux et qui sont à un stade de développement différent. Il y a une réserve de main-d'œuvre intéressante pour la compétitivité du Maroc, à condition de lancer de vastes programmes de formation dans toutes les régions et pas seulement pour Casablanca et Rabat. Cela demande une gestion des ressources humaines à laquelle il faudra s'atteler, car la question clef, c'est celle de la ressource humaine en terme de coût et de savoir faire. Dans certains secteurs, il y a une tension sur le marché du travail mais il y a de la ressource.

L'idée de créer un hub régional à partir du Maroc est souvent revenue dans les discussions. Vous-même avez fait prospérer votre entreprise en Afrique à partir du Maroc ?

Maroc Télécom est aujourd'hui présente au Gabon en Mauritanie et au Burkina Faço. Ce sont les Marocains, les cadres de Maroc Télécom qui font la prospection, qui négocient qui concluent. En Afrique il fallait également faire un gros travail de réorganisation. Ce sont en général des sociétés nationalisées qui sont privatisées à cette occasion comme l'était Maroc Télécom. Je suis admiratif pour ce qui est de cette dernière car le personnel a changé de statut presque instantanément. Le travail a continué et on a fait de la promotion interne. Ce sont ces cadres qui sont allés en Afrique d'où l'importance de l'atout culturel des cadres marocains qui peuvent s'enrichir d'autres cultures sans problèmes. Je suis moi-même biculturel, puisque ma culture émotionnelle et affective est espagnole et ma tête est parisienne. Je connais l'atout de la culture qui est considérable et qui peut-être un vrai levier de développement.

Dominique Strass Kahnn, directeur général du FMI, vient de plaider en faveur de l'ouverture des frontières Maroc Algérie. Quel est votre avis sur cette question ?

C'est une question dramatique d'autant plus que de nombreuses familles sont séparées de part et d'autre de la frontière et qu'elles n'ont pas les moyens de prendre l'avion. Statistiquement il y a très peu d'échanges par rapport à ce qui devrait être et par rapport au potentiel. En fait, les hommes d‘affaires doivent commencer à créer des réseaux et à travailler ensemble.

Le Groupe d'impulsion France Maroc avait été créé en septembre 2005 pour « faire plus et mieux » dans la coopération France Maroc selon la formule consacrée mais dans un temps limité.

Tant que nous sommes utile, nous allons continuer. Le GIFM s'est rapproché des organisations patronales. On va par exemple fusionner le GIFM France avec la structure du MEDEF international qui s'occupe du Maroc et je m'occuperai des deux en attendant de passer le relais. La CGEM s'est d'autre part bien impliquée dans le GIFM et a été présente à nos différentes rencontres notamment celles organisées par l'Ambassade du Maroc en France, qui a mené pendant deux ans un programme de promotion du Maroc, Maroc Hexagone, qui a vu systématiquement la participation du GIEFM avec souvent la présence de ses deux co-présidents. L'expérience du GIFM a bien marché et cela marche d'autant plus que les objectifs sont précis et clairs.

Le GIFM c'est le contraire des théories d'intellectuels. Pour démarrer l'Offshoring, il fallait tout faire pour créer les conditions, c'est ce qu'à fait Mustapha Bakkoury avec Casanearshore et Technopolis Rabat .Il fallait aussi amener Cap Gemini, ce que nous avons fait en demandant à celui-ci de challenger le plan marocain. Ce qui fut fait et Cap Gemini a permis d'installer la confiance. Même chose pour le textile. Nous nous sommes réunis il y a deux ans et la première question que j'ai posée c'est : savez vous où fabrique Zara le grand groupe espagnol ? Zara fabrique au Maroc et certains textiliens français ont fait de même comme Décathlon qui fabriquait en Chine et qui est revenu au Maroc. Il faut certes des conditions réglementaires mais il faut un environnement pratique. Si on ne fait que des textes et des lois, ce n'est pas suffisant. Il faut un moteur, des objectifs et des conditions claires.

Idem pour le tourisme, il fallait créer les conditions et amener et ramener des grands groupes comme Pierre et vacances. C'est ce qui fait l'efficacité du système. Créer dans l'aéronautique un centre autour de Safran à Casablanca, ce n'est pas de la littérature. C'est précis et clair car les hommes d'affaires sont pressés, et il faut qu'il y ait de l'intérêt tout de suite. Nous prévoyons avec la CMPE une grande réunion avec SYNTEC en février prochain qui permettra la venue de 200 opérateurs économiques dans l'ingénierie et l'informatique.

Pour reprendre une phrase de Valery Giscard D'estaing que vous avez cité, on peut dire que jusque-là le bilan est globalement positif ?

Quand le président Sarkozy se déplace à l'étranger, il répète souvent cette phrase : « vous devriez faire comme nous avons fait avec le Maroc »en faisant allusion à notre GIFM. Beaucoup de pays, la Tunisie, l'Egypte sont intéressés par notre expérience. La force du Maroc c'est que nous sommes arrivés à un moment clef d'une volonté exprimée au plus haut niveau et accompagnée par des plans de développement .Nous nous sommes focalisés sur ces plans et nous avons, Mustapha Bakkoury et moi-même avec notre partenaire avons essayé de faire réussir ces plans. C'est ce qui a été fait.

(*) Propos recueillis par Farida Moha
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