Au lendemain de l'Indépendance, la société marocaine a connu de nombreux changements.
LE MATIN
06 Avril 2008
À 12:41
Si certaines catégories sociales ont pleinement adhéré à ces transformations, voulant ainsi accompagner l'évolution de la société vers la modernité, d'autres étaient restées sceptiques de peur de trop s'ouvrir sur la culture occidentale et perdre ainsi certaines composantes de l'identité marocaine. Raconter une page de l'histoire du Maroc sans avoir recours à un historien n'est pas une tâche aisée, mais il était plus qu'intéressant de faire parler des Marocains qui ont vécu à cette époque pour avoir leurs propres versions des choses, loin de toute considération politique ou approche scientifique.
Pendant les années 50, la pauvreté était très répandue dans le milieu rural. En effet, les colons avaient érigé, au fil des années, un système féodal en quelque sorte. De grands propriétaires, souvent des Européens, dominaient et accaparaient toutes les terres. Les ‘'Fellahs'' marocains, eux, travaillaient comme des journaliers dans leurs propres terres. La pauvreté et l'analphabétisme étaient donc monnaie courante dans la campagne marocaine. Cette situation a donné lieu à un exode massif des ruraux vers les grandes villes du Royaume dans les années 20 et 30 du siècle dernier. Ainsi, l'un des principaux changements s'amorçait au sein de la société avec l'apparition d'une classe prolétarienne. De grands bidonvilles sont apparus à la périphérie des villes. Carrière centrale à Hay Mohammadi et Carrière Bachko (Casablanca) sont les plus connues.
Ahmed est âgé de 72 ans. Originaire d'un petit village aux alentours de Marrakech, il s'est installé à Casablanca avec sa famille alors qu'il était encore très jeune à la fin des années 50. « La vie à la campagne à cette époque était assez dure, particulièrement pendant les périodes de sécheresse. Les enfants des familles aisées pouvaient aller au M'sid» (l'école coranique) pour apprendre à lire et à écrire. Ceux issus de familles pauvres accompagnaient les grands pour les aider dans le travail dans les champs. Je me rappelle encore lorsque j'ai attrapé la coqueluche. Ma mère m'avait emmené chez le Fquih du douar pour me prodiguer des soins», témoigne Ahmed. Ce dernier se remémore encore son premier contact avec Casablanca. «A la fin des années 50, il y a eu de nombreuses salles de cinéma à Casablanca. Les films de Tarzan faisaient un tabac au Maroc. La plupart de ces salles se trouvaient dans le quartier européen. L'entrée pour voir un film était payée à 50 centimes seulement», ajoute-t-il.
Les modes de vie des Marocains avaient connu pendant le protectorat des changements considérables. Ainsi, les Marocains ont eu un premier contact avec les habitudes de consommation des Occidentaux. En témoigne l'apparition des grandes surfaces, notamment à Casablanca. La galerie Lafayette était l'une des plus connues. «Chaque week-end, ma mère nous emmenait, mes sœurs et moi, à cette galerie. C'était un grand magasin à plusieurs étages au centre de la métropole. Les Casaouis l'appelaient ‘'Bani marroc'', probablement parce que les Marocains pouvaient, autant que les Européens faire leurs emplettes dans cette même galerie», témoigne Malika, 58 ans.
Cette dernière n'a pas eu l'occasion d'apprendre à lire et écrire. Pourtant, elle était inscrite dans un établissement dirigé par des Franciscains. « Dans certains milieux dans les années 50, les enfants étaient interdits par leurs familles d'aller dans des écoles catholiques. En effet, les gens croyaient que leurs enfants allaient se convertir au christianisme.
C'est ainsi que de nombreux Marocains ont quitté très tôt les bancs de l'école », poursuit-elle. Les habitudes de consommation des habitants des quartiers populaires n'avaient pas connu un grand changement pendant les années qui ont suivi l'Indépendance. Aux dires de certaines personnes, les vendeurs marocains n'utilisaient pas les unités de masse à cette époque. «C'était la belle époque. Vous savez, 5 dirhams seulement suffisaient pour nourrir une famille pendant deux journées. Au souk, on n'achetait pas la marchandise au kilo. On parlait plus d'amas dans les années 50 et 60. Par exemple, un amas de pommes de terre coûtait quelques centimes. On pouvait même acheter un amas de sucre en poudre. Pendant les années 60, le sucre était devenu une denrée rare. Et certains dockers le volaient en le dissimulant sous leurs uniformes de travail ou même dans leurs bottes», raconte Salem, un docker à la retraite.
Ce dernier affirme que les choses ont beaucoup changé ces dernières années. Les avenues, les personnes, les habitudes ainsi que les modes de vie des Marocains ont connu d'innombrables mutations. Pour la majorité des personnes interrogées, les conditions de vie se sont considérablement améliorées. Mais les changements ont eu également des aspects négatifs. «Je me rappelle qu'à la fin des années 60, les étudiants marocains avaient la possibilité de voyager dans d'autres pays. Il suffisait d'avoir son Bac en poche pour partir à la conquête du monde! Aujourd'hui, nous avons des frontières de plus en plus verrouillées, des antagonismes de plus en plus vivaces et surtout des conflits plus violents», déclare un professeur universitaire aujourd'hui à la retraite. ----------------------------------------------
L'épopée des Américains
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des troupes américaines étaient stationnées dans plusieurs régions du Maroc, notamment Nouaceur et Kénitra. En effet, durant la Grande Guerre, les pays de l'Afrique du Nord ont attiré l'attention des forces alliées. C'est ainsi que les Américaines ont débarqué sur les côtes marocaines en 1942. Par ailleurs, le Maroc était devenu, à cette époque, une destination prisée pour les réfugiés de toutes les origines, fuyant une Europe qui gisait sous le nazisme. Les centres urbains du Royaume chérifien, notamment Casablanca, sont devenus alors des villes cosmopolites.
Les Marocains ont découvert pour la première fois le chewing-gum, les barres de chocolat, le Coca-Cola, les cigarettes américaines. De petites boutiques se sont même spécialisées dans les produits issus des réserves de l'armée américaine. Parallèlement, de nouveaux idéaux culturels se sont diffusés, modifiant les modes de vie de larges couches sociales au Maroc. Pour leur part, les producteurs hollywoodiens allaient s'intéresser durant cette période à Casablanca. Un film qui porte le nom de cette ville a fait le tour du monde. Ce film, interprété par Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, a eu un succès tel qu'il est devenu depuis un classique du cinéma américain. Pour rappel, ce film n'a pas été tourné au Maroc. Son tournage s'est déroulé, en effet, dans les studios hollywoodiens.