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Le Coran ne peut pas être usurpé : entretien avec Amina Wadud

Martina Sabra Journaliste indépendante établie en Allemagne.

10 Septembre 2008 À 13:15

L'Islam, l'égalité des sexes et les droits humains sont compatibles, telle est la conviction fondamentale d'Amina Wadud, auteur de plusieurs ouvrages à propos de l'Islam et des femmes. Martina Sabra s'est entretenue avec la féministe islamique lors d'une récente conférence en Allemagne, dont le thème était "le pouvoir des femmes en Islam”.

Jusqu'à l'âge de 20 ans vous êtiez chrétienne. Votre père était un pasteur méthodiste. Aujourd'hui vous figurez parmi les penseurs musulmans réformateurs les plus connus à travers le monde. Pourquoi êtes-vous devenue musulmane ?
Amina Wadud : J'ai toujours été intéressée par les questions théologiques. Comme vous venez de le dire, mon père était un pasteur méthodiste. J'ai été élevée dans la religion chrétienne et j'étais très intéressée par toutes les questions concernant Dieu, la morale, la nature humaine et la spiritualité. Alors, avant de me convertir à l'Islam, j'étais bouddhiste, j'ai vécu dans un ashram et pratiqué la méditation, que je pratique toujours aujourd'hui. A l'âge de vingt ans, je suis entrée dans une mosquée tout près de là où je vivais. Je voulais connaître l'Islam.

Le rapport entre le profane et le sacré m'intéresse beaucoup. En ce qui me concerne, l'Islam m'a fourni un langage, et d'ailleurs la langue arabe y était pour beaucoup – le langage du tawhid, le langage de la relation étroite entre Dieu et la création, mais aussi le pouvoir d'apporter de l'harmonie aux choses qui sont disparates. Pour moi, cela représente la quintessence de l'abandon. L'Islam m'a aidée à comprendre mon expérience du christianisme et du bouddhisme. Cela a été une révélation raisonnée. Ce n'est peut-être pas le cas pour tout le monde ; certaines personnes ont une compréhension de l'Islam beaucoup plus simple. Mais c'est comme cela que je l'ai vécu.

Quand j'ai eu l'occasion d'étudier un peu l'Islam, j'ai été très impressionnée, en particulier par le Coran. Pour moi, le Coran a ouvert un rapport entre ma logique, mon raisonnement, ma compréhension du monde, mon amour et mon intérêt pour la nature et pour le monde au-delà du monde et l'invisible. J'ai donc développé mon travail spécifiquement dans le domaine du Coran et des questions de différence de sexe, je considère ce travail comme un cadeau qui m'a été fait car j'adore ce que je fais.

Enfant, vous avez vécu l'époque du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. En tant qu'adolescente, vous disiez avoir été très consciente des libertés individuelles et de l'indépendance intellectuelle. Tout cela, n'était-ce pas en contradiction avec le courant conservateur de l'Islam des années 1970 ?
Bien sûr, j'ai dû faire face à de nombreuses contradictions. La lutte pour devenir musulmane était des plus faciles au début, quand j'ai passé de ma période post-chrétienne, post-bouddhiste à la conversion à l'Islam. La connaissance était alors ma vraie motivation. Maintenant c'est plus difficile, je comprends davantage et cela implique plus de responsabilité. Ma vision des choses fait partie d'un courant de réforme et cela rend les choses parfois difficiles car ce n'est pas la façon de voir du courant principal. Lorsque j'ai commencé à travailler sur des questions de différence de sexe d'ordre général, ou des questions de sexisme, la notion de féminisme islamique n'était pas intervenue. J'ai écrit Qur'an and Woman (Le Coran et la Femme) à la fin des années 1980. En effet, pour un grand nombre, cet ouvrage marque le début de la relecture du Coran à partir d'une perspective féminine, ce qui constitue une part importante de ce que nous reconnaissons maintenant d'une manière analytique comme étant le féminisme islamique.

Le féminisme islamique n'intéresse pas les femmes musulmanes. Certaines ne s'intéressent même pas à l'Islam. En ce qui me concerne, j'ai eu plus de problèmes avec la manière dont l'Islam est pratiqué qu'avec l'Islam à proprement parler et aussi avec ce genre d'Islam qui peut parfois être agressif à l'encontre de l'égalité des droits de la femme.

Dans vos ouvrages, vous vous référez souvent à des penseurs religieux chrétiens ou juifs, comme par exemple Paul Tillich et Martin Buber parmi d'autres. Dans Qu'ran and Woman et Inside the Gender Jihad, vous défendez le pluralisme, la liberté d'opinion et le droit d'être différent d'un point de vue islamique. Selon vos écrits, le Coran devrait être relu du point de vue du sexe auquel on appartient et à la lumière du contexte historique. Pourtant, le Coran est considéré comme étant éternel et immuable. Comment vous expliquez cela ?

Je crois qu'à moins d'avoir une véritable communion avec le Coran, vous ne pouvez pas comprendre la façon dont il constitue une force sur le plan de l'histoire et au niveau spirituel. Vous ne comprendrez pas qu'il y a une coopération entre le lecteur et le texte. Vous direz qu'il n'y a pas de rigueur du point de vue de la méthodologie. Mais vous devez comprendre que les lecteurs peuvent utiliser le texte comme ils l'entendent, parce qu'il y a un lien dynamique entre le texte et l'interprétation. Le texte a à la fois été créé dans le temps et évolue aussi au-delà du temps.

Pouvez-vous donner un exemple de la façon dont cela se traduit dans la pratique? Nous sommes en train de participer à un mouvement de réforme planétaire pour une loi sur le statut de la personne musulmane.
L'origine même de cette idée remonte à la trajectoire égalitaire du Coran. Le Coran n'a pas accompli cette trajectoire du vivant du Prophète.

Certes, le Coran ne saurait être récupéré par quiconque, même hors de son contexte historique. Mais certaines personnes ont été élevées dans une culture où le Coran est utilisé selon une interprétation étroite et restrictive et considèrent cette interprétation comme la seule et unique possible. Et cela me pose problème.
Mon travail a montré que l'interprétation n'est jamais complète. La signification n'est jamais immuable.
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