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Warith Deen Muhammad : l'imam qui se souciait des autres

Zahed Amanullah : Editeur associé d'altmuslim.com à Londres.

28 Septembre 2008 À 14:49

Aux Etats-Unis, les leaders musulmans se retrouvent souvent au-devant de la scène dans les médias, avec tout le tapage que cela implique, et parfois la controverse. Toutefois, un homme parmi les figures principales de la communauté musulmane américaine a réussi, au cours de ces trente dernières années, à garder un profil bas tout en imprégnant le paysage musulman américain dans son ensemble de sa forte personnalité. Il s'agit de l'imam Warith Deen Muhammad, connu pour avoir fait partie de la Nation de l'Islam, dirigée par son père, Elijah Muhammad, qui devint un leader musulman mondialement célèbre.

Warith Deen Muhammad est mort la semaine dernière à l'âge de 74 ans. Tout bien compté, W.D. Muhammad occupa une place importante à la fois dans la communauté noire américaine que dans les communautés d'émigrés musulmans ; il fut le premier musulman à faire une prière devant le Sénat américain et occupa des postes à responsabilité dans plusieurs organisations musulmanes et interreligieuses.

De toutes ses réalisations, c'est sa trajectoire singulière étalée sur trente ans - de son appartenance à la Nation de l'Islam, aux motivations socio-politiques et à son cheminement vers un Islam conventionnel pratiqué par la majorité des deux millions de musulmans noirs américains - qui a le plus suscité l'admiration, en contrebalançant sa fierté des idéaux américains avec la responsabilité de faire de l'Amérique un pays meilleur. Même s'il fut perçu comme le successeur naturel de son père à la tête de la Nation de l'Islam, W.D. Muhammad cacha de moins en moins son rejet des enseignements de celui-ci : la nature divine des Noirs, les origines divines du fondateur Wallace Fard Muhammad en tant que « incarnation d'Allah notre Sauveur», et la conviction que les Blancs sont l'incarnation du diable. Durant son séjour en prison pour objection de conscience, Muhammad étudia le Coran et rassembla le courage de s'opposer aux enseignements de son père, tout en ayant été préparé à prendre sa succession. Une fois libéré de prison, il reprit la direction du mouvement, tout en ayant de plus en plus de doutes.

Son refus d'approuver les enseignements de la Nation de l'Islam et sa dénonciation de la corruption au sein du mouvement l'isola par rapport aux autres leaders du groupe. Ce n'est que dix ans plus tard, après la mort de son père, que W.D. Muhammad a pu prendre les rênes du mouvement et commencer à le diriger vers la vision qu'il avait élaborée durant une décennie. Dès 1977, la scission par rapport aux enseignements originels de la Nation de l'Islam fut officielle, il en abandonna le nom, le laissant – ainsi que les quelques adeptes restants – au ministre du temple Louis Farrakhan, qui dirige depuis lors une Nation de l'Islam bien plus réduite. Alors que W.D Muhammad était décidé à réorienter son organisation vers un Islam orthodoxe, il le fit sans rejeter les enseignements positifs que la Nation de l'Islam avait apporté à cette communauté, comme l'autonomie et la discipline personnelle. « [Il] réussit à faire deux choses remarquables », dit Sulayman Nyang, professeur d'études africaines à la Howard University. «[L'une] était de ré-islamiser le mouvement ; la seconde de ré-américaniser le mouvement».

Avec l'imam Muhammad comme dirigeant, la communauté put atteindre d'autres groupements religieux, mit en évidence l'importance des engagements civiques telle que la capacité à se responsabiliser et enfin travailla pour son autosuffisance économique. Aux dires de certaines personnes, sous la direction de Muhammad, la communauté s'agrandit à presque un million de personnes. L'influence de l'imam Muhammad se fit sentir aussi en dehors de la communauté des musulmans noirs américains. Alors que certains émigrés musulmans ne furent pas (et ne sont toujours pas) conscients de ce que W.D. Muhammad a offert à leur communauté, sa contribution fut profondément appréciée parmi les dirigeants musulmans. En se faisant entendre des organisations musulmanes représentatives des immigrés, il leur apporta les enseignements hérités de presque un demi-siècle d'organisation et de vision du futur. Après avoir prononcé une prière devant le Sénat en 1993, il eut l'occasion d'en prononcer deux autres pour le président Clinton. En 1999, il partagea la scène avec le pape Jean-Paul II et le dalai lama devant 100.000 personnes au Vatican. En 2000, il se réconcilia publiquement avec Louis Farakhan, ce qui fut plutôt perçu comme la subordination grandissante du mouvement de la Nation de l'Islam au courant musulman orthodoxe vers lequel Muhammad dirigeait sa communauté.

Vers la fin de sa vie, l'imam Muhammad renonça à ses responsabilités de dirigeant pour ce qui était des affaires courantes de la communauté, désormais décentralisée, que son père avait autrefois dirigée d'une main de fer. Evitant les projecteurs jusqu'à la fin, W.D. Muhammad trouva refuge au sein d'une organisation appelée The Mosque Cares (la mosquée est là pour toi), où il passa le reste de ses jours, parlant d'Islam et du besoin de créer des passerelles de compréhension entre les différentes religions et communautés ethniques.
« Je n'ai pas de doctorat, je n'ai pas de maîtrise, je n'ai même pas de licence », fit-il remarquer une fois devant une assemblée d'adolescents musulmans. « Mais j'appartiens à quelque chose de fort. Je n'ai pas à rougir en compagnie des rois, des reines et des présidents». « Son intelligence intrinsèque et son sens académique firent de lui un homme sage, mais c'est pour son bon cœur et sa nature charitable qu'il fut tant aimé », remarque André Carson, membre du Congrès. « Je présente mes condoléances à sa famille et à ses amis que sa mort afflige ».

Carson, qui est l'un des deux musulmans actuellement au Congrès, représente le sens du devoir public que Muhammad tenta d'insuffler aux musulmans américains, un sens qui associe une spiritualité islamique fondamentale au sens universel du devoir envers l'humanité. L'énorme changement qu'il provoqua au sein de la communauté noire américaine musulmane ne se reproduira probablement jamais plus – mais on doit veiller à le préserver.

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