«De Nanjing à Tata» ou le défi d'un développement territorial équilibré
Tata. Un site à part qui demande plus que de l'attention pour tirer profit d'un potentiel au service des populations. Dans cet entretien croisé, R>H. El Mahdad et M.Mountasser nous font le point et dévoilent les lignes >de l'approche à adopter.
LE MATIN
27 Novembre 2008
À 15:55
La consultation de ville de Tata qui débute le 28 novembre, intervient dans le cadre de la promotion des villes durables et de la gouvernance locale, véritable défi d'une gestion urbaine concertée auquel doit aujourd'hui faire face le Maroc. Elle intervient également au lendemain du 4ème Forum Urbain Mondial (World Urban Forum) qui s'est tenu à Nanjing (Chine) du 3 au 6 novembre 2008, sous l'égide du Programme des Nations pour les Etablissements Humains - UN-HABITAT et du gouvernement chinois.
Après Nairobi (2002), Barcelone (2004) et Vancouver (2006), ce 4ème Forum était consacré au thème "Urbanisation harmonieuse : le défi d'un développement territorial équilibré", ou comment trouver l'équilibre entre structures économiques, sociales et spatiales, dans un monde aujourd'hui majoritairement urbain. Créer des Cités harmonieuses pour les générations actuelles et futures a également posé la question de la promotion de structures de gouvernance locale, qui impliquent la participation et la concertation avec l'ensemble des acteurs et des partenaires. Parmi les nombreux instruments mis en oeuvre figure l'Agenda 21 local, qui concerne aujourd'hui plus de 7 000 villes dans le monde.
Tata veut se positionner dans cet ancrage comme le souligne Moulay El Mahdi Lahbibi Président du Conseil municipal de Tata qui rappelle que la cité aspire à jouer pleinement son rôle de chef lieu de province : «Tata bénéficie à ce sujet d'un patrimoine culturel et naturel d'une grande richesse. Située au confluent de deux oueds, la ville représente, avec son chapelet d'oasis et ses nombreux ksour, l'un des principaux points de rencontre entre l'Anti-Atlas, le Jbel Bani et les vastes espaces sahariens, attesté de longue date par ses gravures rupestres, son commerce caravanier et son savoir-faire local. Mais sa plus grande richesse reste indéniablement ses habitants, hommes et femmes, associations, élus et partenaires qui s'impliquent dans la valorisation de cette cité ». Monceyf Fadili Conseiller UN-HABITAT quant à lui souligne « le développement de Tata représente aujourd'hui un défi majeur, exprimé par les acteurs locaux qui veulent redonner à la ville sa réelle fonction de carrefour et de relais, à l'intérieur d'un riche espace oasien.
INTERVIEW: Hassan El Mahdad et Madani Mountasser, enseignants chercheurs à l'Université Ibn Zohr-Agadir
LE MATIN : Pourriez vous nous présenter Tata qui a peut-être une visibilité dans la carte touristique en tant qu'oasis ancestrale, mais qui est peu connue des nationaux ?
HASSAN EL MAHDAD ET Madani Mountasser : Tata est un centre urbain du Sud marocain, promu chef-lieu de la province du même nom en 1977 et commune urbaine en 1992. Initialement rattaché à la région du Sud (chef-lieu, Agadir), le territoire de Tata fait aujourd'hui partie de la région de Guelmim-Es-Smara. Tata est située sur la route nationale n°12, dite « route des oasis » reliant Sidi Ifni à Erfoud, à égale distance entre Agadir et Guelmim (280 km). Tata est une composante principale d'un chapelet d'oasis parsemant les versants méridionaux de l'Anti-Atlas et reliés par l'oued Drâa, de la localité de Mhamid au littoral atlantique. C'est le pays du Jbel Bani ou la basse vallée de l'oued Drâa. Localement, l'oasis de Tata est constituée de petites oasis, entités séparées et rattachés au lit de l'oued Tata.L'oued Tata se présente comme l'un des principaux affluents anti-atlasiques de l'oued Drâa. Autour de cet oued s'accrochent des petits îlots verts qui constituent l'ensemble de l'oasis de Tata : Agadir Lahna, Tighremt, Agoujgal, Indfiane, Taourirt, Aglagal, Akka n'Izounkad, Lkasbat, Addis, Tiguisselt, etc.La population actuelle de Tata est de 15000 habitants, soit 2800 ménages. Ce poids démographique restreint ne donne à la ville qu'une place modeste dans l'armature urbaine des régions du Sud, soit seulement 5,3% du total de la population urbaine de la région de Guelmim-Es-Smara et 2,6% de l'ensemble des villes des provinces du Sud. Par contre, son poids au niveau de sa province devient important puisqu'elle regroupe 12,5% du total de la population et 40% environ de l'ensemble de la population urbaine. En gros ce que l'on peut dire, c'est que les principales activités urbaines de Tata sont axées sur l'administration et le commerce, alors que les activités économiques productives restent dominées par l'agriculture. Le tourisme, qui bénéficie d'importantes potentialités naturelles et culturelles, ne parvient pas encore à constituer une base économique.
Dans cette oasis l'activité agricole est prédominante ?
Oui, avec toutes les contraintes que l'on connaît. La propriété foncière agricole se caractérise, comme dans tous les systèmes oasiens, par la prédominance de la propriété privée et par un grand morcellement, les parcelles agricoles étant au nombre de 3000 environ. Le mode de faire-valoir direct prédomine puisqu'il concerne 98% de la superficie des terres agricoles recensées. Les cultures dominantes sont les céréales et les plantes fruitières, dominées par le palmier-dattier qui compte 102000 pieds, dont seulement 50% environ sont productives. D'autres spéculations sont pratiquées sur de petites superficies comme le maraîchage et les plantes fourragères. Cette dernière culture est encore présente pour soutenir l'élevage local. L'agriculture oasienne en crise n'arrive plus à subvenir aux besoins des exploitants qui sont contraints de migrer ou de diversifier leurs activités. Une part importante de ces exploitants agricoles exerce dans le secteur du commerce et des services, parfois dans l'Administration. L'élevage ovin et caprin est omniprésent.
Cette pratique en milieu urbain se justifie par un fort attachement des populations d'origine oasienne ou nomade à leurs pratiques agricoles, mais aussi parce que l'élevage continue à représenter une activité génératrice d'un complément de revenu pour les catégories sociales pauvres. Les conditions de développement de l'agriculture à Tata sont aujourd'hui défavorables. Les jeunes manifestent leur désintérêt vis-à-vis.du travail agricole, et un nombre important d'agriculteurs se tourne vers d'autres activités. D'autre part, la palmeraie se dégrade sous l'effet de la sécheresse, de la salinisation des sols, des constructions sur les sols fertiles et de la prolifération du bayoud, champignon responsable de la régression d'importantes superficies de palmiers dattiers.
Par sa position centrale, Tata a toujours joué le rôle de relais commercial dans la collecte des produits locaux du territoire provincial -dattes, bétail, plantes médicinales, articles d'artisanat, etc.- et dans la distribution des biens de consommation, essentiellement domestiques. Qu'en est il de ce commerce ?
Le commerce est une activité ancienne dans le pays Bani, connu dans l'histoire comme une étape du commerce caravanier. Le commerce de détail est dominant, avec une forte prolifération du commerce informel. Le souk du dimanche rassemble 2000 à 2500 personnes. Comme dans les sociétés des zones arides, les Tataouis disposent d'un savoir-faire artisanal varié, mais en régression. Le renforcement du processus de sédentarisation des populations nomades, la crise du système oasien, et les difficultés du marché des produits d'artisanat sont autant de facteurs qui expliquent ce recul. Le nombre d'artisans et d'apprentis est de 500 sur les 1450 artisans recensés à l'échelle provinciale. Quelques activités, comme le tissage et la vannerie, sont pratiquées par les femmes. Les métiers d'art qui subsistent sont la poterie, la bijouterie, la ferronnerie, la vannerie et le tissage. Quelques artisans travaillent dans de petits ateliers, mais les travaux sont pour la plupart effectués à domicile. Des tentatives d'organisation des artisans sont conduites par le tissu associatif local, et une coopérative de tapis a été récemment créée. Pour réduire les nuisances de certaines activités artisanales, un complexe artisanal est en cours d'achèvement dans le cadre d'un partenariat entre l'Agence du Sud et l'Artisanat, la Wilaya de la région de Guelmim-Es-Smara, la province de Tata et le Conseil régional.
Un mot sur le tourisme dans cette région ?
La situation de Tata dans l'espace naturel du pays Bani présente un fort potentiel. Outre les paysages d'intérêt géologique et biologique, ce pays est doté d'un riche patrimoine culturel, notamment les gravures rupestres, dont les nombreux sites font de la province de Tata la plus forte concentration d'art rupestre au Maroc. Le pays Bani est également riche d'un patrimoine architectural traditionnel constitué de monuments historiques et d'un habitat rural constitué de ksour et de kasbahs. Les touristes qui fréquentent le pays Bani sont peu nombreux, individus isolés ou en petits groupes à faible incidence économique. Tata ne dispose que de deux hôtels classés d'une capacité de 220 lits, de cinq hôtels non classés de 64 lits et d'un camping pouvant accueillir une soixantaine de caravanes. Une ancienne demeure familiale qui domine la palmeraie longeant l'oued Tata au niveau du douar Indfiane vient d'être aménagée en maison d'hôtes par un promoteur étranger.
Les secteurs d'accompagnement de l'activité touristique, comme la restauration, souffrent des mêmes faiblesses. Un guide touristique (allemand/français) a été édité en partenariat avec les municipalités de Lich (Allemagne) et de Tata. Le patrimoine immatériel s'exprime, à Tata comme dans le Bas-Drâa, par des manifestations traditionnelles communautaires qui se transmettent de génération en génération, essentiellement à travers la tradition orale. Parmi les formes d'expression de ce patrimoine figurent les langues et dialectes, la danse et la musique, la médecine traditionnelle, les arts culinaires, l'outillage, l'habillement, la bijouterie, etc. Les fêtes et les foires permettent de renouer avec ces expressions patrimoniales en régression. Pour la province, le nombre d'arrivées était de 24 000 touristes en 2005, le nombre de nuitées de 32 500, soit une durée de séjour assez courte. Les touristes sont généralement des Européens, auxquels s'ajoutent par intermittence des groupes de fauconniers venant des pays du Golfe, qui pratiquent la chasse à l'outarde (oiseau saharien).Il faut noter aussi les efforts de désenclavement de Tata et de sa province qui ont contribué à doter la zone d'un réseau routier plus ou moins étoffé. La route nationale n°12 reliant Sidi Ifni à Erfoud, appelée «route des oasis», est l'épine dorsale de ce réseau routier. Elle assure la liaison entre les centres urbains et ruraux de la province et avec les provinces limitrophes de Zagora, Guelmim et Tiznit. D'autres axes routiers régionaux assurent la liaison avec les provinces d'Assa, Ouarzazate et Taroudant.
Tata au cœur du pays Bani est connu pour sa diversité végétale très appréciée par les touristes. Quelle est cette diversité ?
L'organisation orographique est déclinée par un remarquable étagement végétal. Sur les versants montagneux se développe une formation à base de genévrier rouge et, à la limite des provinces de Tiznit et de Guelmim, d'arganier; dans les plaines et les fonds des faïjas (dépressions) se forment des massifs d'acacia raddiana qui donnent à la zone une allure de savane; le long des lits d'oued se développe le laurier rose, et, lorsque la minéralisation des eaux souterraines des lits d'oued devient plus importante, c'est le tamaris qui prend la relève; sur les champs de dunes se constitue un mélange de plantes qui contribuent à la fixation des sables et à la formation d'un écosystème spasmophile. Ces différentes formations végétales sont d'un intérêt indéniable pour la population: elles présentent un pâturage stratégique pour le cheptel et elles assurent une production conséquente en bois de feu, utilisé pour le chauffage et la cuisson. Sur la base de la végétation naturelle locale, les Tataouis, notamment les habitants de Tissint, ont développé un savoir-faire en matière de médecine traditionnelle. Le patrimoine immatériel local et régional est lié à un mode de vie et à des pratiques qui mettent en contact les populations nomades et les populations des oasis, d'une part, et les populations sédentaires des groupements humains montagnards, d'autre part.
Les fragilités naturelles sont connues, problème de gestion de l'eau, invasion acridienne, problèmes d'assainissement …Comment voyez-vous le développement de cette cité oasis ?
Le développement de la ville de Tata en tant que chef-lieu de province est à situer autour de sa fonction d'espace carrefour et de point de rencontre entre la zone montagneuse et les espaces sahariens. La configuration géographique de la ville et les potentialités qu'elle recèle donnent tout leur sens à cet espace urbain au sein d'un vaste écosystème oasien, véritable patrimoine naturel aujourd'hui menacé. Tata, capitale du pays Bani, est aujourd'hui confrontée au nécessaire équilibre entre la création d'une dynamique économique performante et la fragilité du milieu et des ressources naturelles. Des attentes et des besoins exprimés ressortent les problématiques prioritaires suivantes: amélioration du cadre de vie ; mise à niveau du système oasien ; développement d'un tourisme adapté aux potentialités locales ; gestion des ressources naturelles et lutte contre la désertification. Ces problématiques constituent des axes de réflexion sur le devenir de la ville et de son territoire provincial, dans le cadre du programme Agenda 21 local, qui intervient dans le sens de l'émergence d'un projet de ville partagé et d'une prise de décision locale au service de la collectivité.