L'humain au centre de l'action future

Dans la peau d'un Hamdouchi

Lieu, Dar Tazi à Fès. Sur scène, un groupe de Hamadchas, en transe, emporte dans son sillage une assistance avide de mystique et de spiritualité. Abderrahim Amrani Marrakchi et ses hommes ont, encore une fois, enflammé la foule.

02 Juillet 2008 À 12:36

En chef d'orchestre, ou "moqaddem" pour rester dans le registre hamdouchi, il harmonise les mouvements et donne le ton au spectacle.
Au milieu des hommes, et des femmes aussi, habillés de djellabas rugueux, trône un jeune homme tout en blanc et coiffé d'un turban immaculé enroulant un fez rouge vif. Le bonhomme ne passe pas inaperçu. C'est que ce «hamdouchi» n'est pas comme les autres. Ses yeux bleus et sa peau par trop blanche trahissent ses origines caucasiennes alors que les «awrades» qu'il prononce sont dans un marocain impeccable. Quand le musicien joue du guenbri, la scène est à la limite du loufoque. Déroutant !

Un homme qui s'investit de la sorte dans une culture qui n'est pas la sienne ne peut être ordinaire. Et l'on se demande ce que fait cet homme parmi les adeptes de Sidi Ali Ben Hamdouch et par quel miracle il a atterri dans ce monde soufi. Comment il a emprunté le chemin de la "tariqua hamdouchia"? Il fallait approcher le personnage pour connaître son histoire.

Du haut de ses 30 berges, Frédéric Calmès, de son nom, est aujourd'hui un hamdouchi accompli. C'est du moins ainsi qu'il se proclame. Son histoire avec cette confrérie a commencé, comme la plupart des histoires, par un heureux hasard. Spécialisé dans la musique arabe, Frédéric a toujours affectionné les rythmes orientaux. Passionné de la ville de Fès et du Maroc, cet originaire de Nancy, décide un jour de partir à l'aventure. Il fait ses clics et ses claques, prend son sac à dos, sans oublier son petit luth et fait cap sur le Maroc. Jusque-là, il ne soupçonnait pas qu'il allait vivre une expérience singulière. Une fois qu'il foule le sol marocain, il s'installe dans la maison d'une dame. Un beau jour, le téléviseur de sa voisine lui renvoya le son d'une musique envoûtante qui le laissa sans voix. Il descend et découvre Hmadcha. Il reste hypnotisé.

Un mois plus tard, il rencontre le célèbre Abderrahim Amrani Marrakchi, dans un concert de musique populaire au centre culturel français. Encore secoué par la force de la belle musique, il croise, le lendemain, cet homme dans un café. Décidément, leurs chemins devaient se croiser. L'homme saisit sa chance et demande au maître de lui apprendre la musique des hamadchas. Dans un élan de générosité, ce dernier accepte de le prendre sous son aile et de l'initier aux rites de sa confrérie. Et c'est dans une « lila » que le jeune disciple fait son baptême de feu. Le maître lui tend un guenbri et lui demande de jouer devant tout le monde.

L'aventure allait commencer pour lui. «Le fait de jouer cette musique est une expérience très forte parce ce qu'il ne s'agit pas d'un divertissement. Elle a une autre dimension », confie Frédéric. En effet, le religieux et le spirituel l'emportent sur le reste. «Pendant la Hadra, il se passe des choses extraordinaires», ajoute-il.
Depuis 6 ans qu'il est au Maroc, Frédéric a appris l'arabe. Il a compris que ses émotions passeraient mieux par le billet de cette langue «à force de chanter la poésie arabe, on entretient une relation particulière avec les mots. Elle dit quelque chose de profond au niveau spirituel. Ses paroles finissent par faire partie de vous», souligne-t-il. Sa volonté de tout partager le porta vers le soufisme et sa culture.

Vers l'universel. Français, d'origine chrétienne, les rites hamdouchis l'élèvent et lui font vivre des moments forts en spiritualité même s'il se trouve face à une culture et à une religion qui sont différentes des siennes. Pour toutes ces raisons, il est entré par la grande porte de la tolérance pour aller vers l'autre et surtout pour rencontrer Dieu. Et pourtant, il ne renonce pas à sa religion. «Je ne me suis pas converti à l'Islam. J'ai du mal à savoir pourquoi. Mais je m'identifie dans le proverbe « une seule eau et des fleurs de différentes couleurs». Nous sommes tous «nass lkoutoub» (les gens du livre) et nous avons la même façon de nous mettre en relation avec Dieu.

Pour moi, garder ma religion d'origine est un choix. Il suffit de suivre la pensée musulmane pour l'être. On n'a pas d'initiation particulière. Je ne me suis pas converti mais je pense que mon expérience, telle que je la vie, a quelque chose de plus intense. Peut être que je rentrerai dans l'Islam, un jour, si la porte s'ouvre un peu plus. Mais pas pour l'instant et cela ne pose pas de problème», précise-t-il. En attendant, il continue son chemin vers l'accomplissement en puisant de l'énergie dans cette musique ancestrale.
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Gardien du temple

Tombé sous le charme de la tradition hamdouchi, Frédéric multiplie les efforts pour la préserver. Cette musique étonnante qu'il considère comme un trésor de l'humanité et qui n'existe que chez cette confrérie, mérite d'être sauvegardée. « Comme beaucoup de musiques traditionnelles, elle vient de très loin et est porteuse d'une culture et d'une richesse incommensurables.

C'est un patrimoine immatériel de l'humanité », aime-t-il à répéter. Ce qui l'intéresse le plus, on l'aura compris, c'est l'essence des choses. Et le disciple de citer son maître spirituel Abderrahim Amrani, pour regretter le manque d'intérêt des gens pour la musique spirituelle : « Avant, les gens avaient les oreilles dans la tête. Aujourd'hui, ils les ont sur les pieds ». Aujourd'hui, le jeune Hamdouchi fait des recherches sur sa confrérie. Il caresse le souhait de pouvoir vivre encore au Maroc et de contribuer à préserver ce patrimoine culturel riche de 500 ans.
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