«L'Orient après l'amour» de Kacimi
«J'étouffais dans l'Algérie de Boumédiène. Ce colonel, à l'instar des «barbaresques» du FLN, considérait le pays comme un butin de guerre, arraché de force aux mains de la France.
LE MATIN
27 Juin 2008
À 15:14
Notre indépendance est à leurs yeux un vol à la tire. Nous n'étions pas des citoyens, mais des captifs de guerre, aptes à être vendus pour un oui et surtout pour un «non».» Ecrit Mohamed Kacimi en ouverture de son nouveau livre paru récemment chez Actes Sud, sous le titre pour le moins ambigu : «L'Orient après l'amour». Installé en France depuis 1981, pour fuir justement les dérives autoritaire du régime de son pays, Mohamed Kacimi, descendant d'une lignée de cheikh de l'une des plus grande zaouia du sud algérien, va être amené, par une série de hasard, mais aussi grâce à sa formation littéraire et sa connaissance de la culture religieuse, à consacrer son travail à la réflexion sur la culture arabe.
Fréquentant «le milieu de la poésie» à son arrivée en France, il découvre l'Orient à l'occasion d'un voyage au Yemen sur les traces de Rimbault qui y a séjourné et travaillé durant des années, puis par la suite en s'intéressant à la vie de Mohamed à Médine.
Plus tard, il découvre Le Caire, Damas, Al-Qods, Fès, Tunis, Casablanca et Beyrouth. Le présent récit est inspiré de ces voyages. Son constat est sans appel, il rejoint et conforte celui que beaucoup d'intellectuels de la région et au dehors ne cessent de dénoncer et que Kacimi résume ainsi : «Au fil des ans, j'ai vu aussi comment les femmes et les hommes de ces pays, à force de manque de libertés, de répression, de prohibition de l'amour, ont fini par renoncer au bonheur pour faire de la catastrophe une religion et de la religion une catastrophe. L'Islam de la transe que j'ai connu enfant, est devenu aujourd'hui une simple propédeutique de la mort».
L'expérience algérienne douloureuse de l'auteur, la recrudescence de la violence que le pays a connue tout au long des deux dernières décennies, ne sont pas étrangères à ce constat amer qui traverse tout le livre et qui semble être porté par l'auteur comme un fardeau pesant . D'où ses propos de révolte et de rupture : «Je n'ai point quitté une langue maternelle, mais une langue divine. La langue française est devenue pour moi la langue du Je. Langue de l'émergence pénible du Moi.» C'est une réaction bien connue chez beaucoup d'intellectuels des pays décolonisés. Il est le fruit de l'éclatement fracassant d'un mode d'être et d'une culture en perte de vitesse, sous l'effet des siècles de sclérose et de déclin, avec la réalité changeante et incertaine d'un monde aux frontières aléatoires et incertaines. Elle explique pour beaucoup l'explosion de la violence inouïe dont ce pays, trop longtemps sous domination coloniale, a été victime.
Issu d'une famille pieuse qui présidait depuis deux siècles aux destins d'une large population aux confins du désert , Kacimi a été de surcroît, l'enfant d'un petit village de nulle part bien à l'abri de toute influence française : «Là-bas dans notre zaouia, haut lieu, dit-on du mysticisme, centre de la grande confrérie Rahmaniya, cité née du néant et du miracle, à je ne sais quel siècle, les hommes semblaient être des marges et des ombres fugitives. Ils ne vivaient surtout que pour s'estomper, se dissoudre, de toutes leurs forces, dans la foi.»
Paradoxalement ce monde clos et se suffisant à lui même, n'éclate qu'après le départ des Français: «Vint l'indépendance. Notre monde si hermétique commença à se craqueler. Pire que l'eau, il prenait du réel. Il nous fallut sortir de la zaouia». Pour le jeune Mohamed, c'est le commencement d'une naissance. Il découvre l'école, le français, une langue profane, ce qu'il appelle la langue du «Je», qui lui fait écrire bien plus tard : «Je n'écris pas français. j'écris «en moi-même».
Certains intellectuels, sous l'effet du choc brutal, sont tentés de se protéger en se réfugiant dans le passé, Kacimi préfère la rupture : «Il est des origines qui appellent des départs et non d'émouvants retours».
Est-il vraiment parti ? A-t-il franchi le pas vers la rupture? Rien n'est moins sûr. A preuve, ce livre, comme d'autre avant lui, qui malgré son excès de langage, malgré des jugements parfois à l'emporte pièce, est en fait un cri de douleur d'un être écartelé entre deux mondes qui n'arrivent pas encore à se rencontrer.
Comment ne pas ressentir de la souffrance face à des étudiants au Caire où il s'était rendu pour une conférence sur la littérature, quand il est obligé de changer de programme pour parler du port du voile par les femmes en France ?
Comment ne pas être dépité devant le fleurissement des chaînes satellitaires dont le premier souci est de servir la cause des islamistes ?
De Beyrouth à Al-Qods, de Riyad à Alger en passant par le Caire et Sanâa, Kacimi est horrifié par l'ampleur de l'influence islamiste sur les consciences : «Ce souci obsessionnel d'introduire du religieux dans le moindre geste du quotidien, cette absence de toute distance de l'individu par rapport aux lois religieuses est un phénomène qui touche aujourd'hui tout le monde arabe, si ce n'est musulman.»
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Le descendant d'une zaouia
Né en 1955 dans la Zaouïa d'El Hamel en Algérie (Hauts Plateaux), un haut lieu du mysticisme maghrébin, Mohamed Kacimi passe son enfance dans cette cité vouée à l'enseignement de la religion et à l'accueil des pèlerins venus de toute l'Algérie. Son grand-père, cheikh de la Zaouïa, théologien, l'initie à la poésie arabe classique et aux oeuvres des mystiques musulmans. Son père, inspecteur de l'enseignement, avec qui il parcourt le pays durant des années, lecteur du Monde et du Canard Enchaîné, lui transmet le goût de la littérature française.
Mohamed Kacimi vit à Paris depuis 1982. En 1985, il écrit son premier roman : Le Mouchoir (L'Harmattan, 1987). Il a publié plusieurs recueils de poésie, traduits de l'arabe, notamment en collaboration avec Guillevic et Bernard Noël et deux essais : Arabe, vous avez dit arabe ? (Balland, 19991) et Naissance du désert (Balland, 1992). Il collabore à diverses revues littéraires et à France Culture.
En 1996, un nouveau roman, Le Jour dernier, paraît chez Stock. Il est boursier du Centre national des lettres la même année. De courts récits autobiographiques sur son enfance à El Hamel, publiés chez Autrement, Belfond et Gallimard, lui ont donné le désir de revenir sur cette enfance singulière, et d'écrire sa première pièce de théâtre, 1962, créée par Valérie Grail en 1998 au Théâtre de l'union à Limoges et éditée par Actes Sud-Papiers.
Suit La Confession d'Abraham, écrite en 1999. En 2005 Mohamed Kacimi reçoit le Prix SACD de la francophonie. Il écrit une dizaine de pièce de théâtre dont : 1962 (1998), Babel taxi (2003), La Confession d'Abraham (1999), La Fin de l'humanité (2004), Les Enigmes de la Reine de Saba et Terre Sainte (2004).