L'Irak cet inconnu! En effet, à part des informations colportées par les chaînes de télévision, ‘'les attentats devenus notre pain quotidien'' depuis l'invasion américaine, que connaissons-nous de son histoire passée ou moderne? Que connaissons-nous de sa population et des multiples communautés éthnico-religieuses qui le composent?
LE MATIN
19 Septembre 2008
À 20:43
Le dernier roman de l'écrivain libanais Mohammed Taan, «Le Sayyed de Baghdad», édité chez Eddif, permet de se familiariser avec les complexités de ce pays millénaire. Né à Tyr au Liban, diplômé de médecine en France, M. Taan a exercé en tant que chirurgien au Liban et au Maroc avant de s'installer au Nigeria où il réside aujourd'hui. On lui doit, entre autres, les ouvrages «Khawaja», «L'Eté du Chirurgien» et «Bahmane». «Le Sayyed de Baghdad » est son dernier roman. De confession chiîte, M. Taan peut donc présenter la communauté du même rite qui peuple le sud de l'Irak, notamment ‘'les marées des Ahwars'' dont les nouvelles ont défrayé la chronique en 1991 à la suite de la terrible répression que le dictateur Saddam Hussein a fait subir aux populations. C'est justement de cette campagne de répression et celles nombreuses qui ont suivi qu'il s'agit tout au long de ce ‘'roman terrible''.
Mais nous sommes déjà en 2005, l'occupation américaine a eu le temps de s'installer, sous les bonnes grâces d'une population qui n'en a que trop souffert de la tyrannie du dictateur déchu. On imagine l'atmosphère qui règne dans un pays qui vient à peine de sortir de la guerre et qui assiste impuissant à sa propre occupation. Plus d'Etat, plus de sécurité, le banditisme est devenu une banalité; les règlements de comptes entre factions; contre les anciens du régime, vrais ou supposés; on n'a que l'embarras du choix… Le pays est en ruine, les sans-abri sont légion, on élit domicile là où l'on peut, là où c'est possible. Dans les salles de théâtre, dans les locaux des anciennes ‘'Moukhabarates'' du régime déchu et même dans les résidences des ministères.
Peu importe, il fallait se protéger contre les dangers qui guettent à chaque instant. Dans cette atmosphère de chaos, l'espoir est grand pour les familles de retrouver qui un fils, qui un père ou un frère disparus sous l'ancien régime. Chaque jour apporte son lot de charniers nouvellement découverts. C'est dans ces conditions que Sayyed, un chef de clan chiîte, accompagné d'Amina, sa belle-fille, vient à la recherche du cadavre de son fils mort sous la torture. Amina fait partie d'une petite communauté d'anciens nomades tsiganes, venus, dit-on d'Inde ou d'Afghanistan il y a des siècles, et sédentarisée en Irak sous le nom ‘'Kawlis''.
Comme les gitans, ils vivaient de leur musique à l'occasion des fêtes familiales ou dans les lieux publics. Sous le régime de S. Hussein, les femmes kawlies étaient très appréciées par les hommes du pouvoir. C'est pour cette raison qu'Amina et son mari, un ancien camarade de classe, souffraient le martyre de la part d'un potentat des ‘'Moukhabarates'' qui ne comprenait pas qu'Amina puisse refuser de se plier à ses désirs. Pourchassés, ils ont vécu, chacun de son côté, dans la clandestinité. Mais pas pour longtemps: le mari a été retrouvé mort sous la torture. Veuve et vivant dans l'insécurité, même après la chute du régime, Amina erre d'une ville à l'autre à la recherche de ses anciens camarades. C'est donc à travers ses yeux que l'on apprend beaucoup de choses sur l'Irak, celui d'hier, mais surtout celui d'aujourd'hui.
On se familiarise, en cours de route, avec le rite chiîte et ‘'ses arcanes'', ses ‘'majalis'', etc. Jimmy, le soldat américain, déçu de la guerre, qui se passionne pour l'Islam chiîte, quitte l'armée et plonge dans le mysticisme sous la férule de Sayyed. Et à travers Farès, l'ingénieur, on apprend la tragédie écologique causée par le desséchement des marées par S. Hussein en représailles contre les populations chiîtes en révolte. En faisant défiler les malheurs que ce pays a dû endurer sous le gouvernement déchu, ce roman nous met en face de nous-mêmes, en nous donnant à penser aux risques néfastes que des tyrans font courir à leurs pays et à leurs peuples en raison de leur soif du pouvoir absolu. ------------------------------------------------------------
Des clefs pour comprendre
Dans le chaos d'un Irak en guerre où les troupes américaines, après leur «victoire», cherchent l'ennemi; le destin de trois personnages va s'entrelacer pour le meilleur et pour le pire: un vénérable chef chiîte, Sayyed, sa belle-fille, Amina, et enfin un soldat américain, Jimmy, engagé volontairement dans ce conflit qu'il croyait juste. Fils et petit-fils de militaires, le jeune homme va découvrir les facettes de cette terre et le vrai visage de son armée, au travers de la quête qu'il va embrasser pour découvrir ce qu'il est vraiment advenu du fils de Sayyed, et le mari d'Amina, communiste persécuté par le régime de Saddam Hussein.
Première fiction en français sur ce conflit traité par un Arabe, voici un témoignage très loin du traitement médiatique auquel nous sommes accoutumés. Sans faux-semblant, il nous tend les clefs pour la compréhension d'un conflit qui a ouvert le nouveau siècle sous de mauvais auspices. «L'apparition de Sayyed sur le parvis attira l'attention de la foule qui s'agglutina sur la grande esplanade ombragée. Soudain, il y a eu silence et les regards se tournèrent vers l'homme respectable. Jimmy le suivait d'un pas timide, intrigué et gêné, se sentant importun. "Que faisait un occupant étranger, chrétien de surcroît, au sein d'une foule musulmane en fête?'' Mais il se ravisa: ‘'La fête était organisée pour tous et les étrangers sont généralement les bienvenus''...