Ils sont encore des enfants. Mais la vie ne leur a pas fait de cadeau. En effet, pour une raison ou une autre, ces bambins se trouvent dans l'obligation de travailler pour lutter contre les aléas de la vie.
LE MATIN
12 Mars 2008
À 15:56
Une lutte qui les prive de vivre le bonheur inhérent à leur bas âge. D'ailleurs ils se fâchent dès qu'on les traite "d'enfants” puisqu'ils se prennent déjà pour des adultes. Adultes et responsables… Pourtant, il suffit de les aborder pour découvrir à quel point ils sont "gamins”. Des rêves, ils en ont mais préfèrent ne pas en parler, car ils pensent ne plus en avoir le droit d'aller à l'école ou jouer avec des enfants de leur âge, puisque ce sont des enfants qui travaillent… Reportage Il suffit de faire un tour dans l'ancienne médina de Fès pour se rendre compte de la triste réalité. Les enfants travaillent presque partout.
Souvent, ils sont issus de familles qui ont migré à la ville dans l'espoir de trouver un travail décent et fuir aussi les maigres revenus des zones rurales. Mais une fois dans la ville, le rêve s'avère chimérique et les parents se trouvent dans une situation telle qu'ils n'arrivent même pas à payer le loyer et les factures d'eau et d'électricité.
Alors, comme il est plus facile de trouver un travail pour les enfants puisque ils sont sous- payés, ils se voient donc obligés d'aider leurs familles qui se hâtent de caser les garçons dans les petits ateliers et les filles comme domestiques pour "alléger” le fardeau qu'elles ont à assumer… Résultat : l'ancienne médina est devenue une petite ville d'industrie artisanale où les ouvriers ne sont autres que les enfants. En sillonnant les petites ruelles, nous nous arrêtons à "Debaghine” un grand espace dédié- à la tannerie.
Là-bas des adolescents et des enfants travaillent durement pour un salaire de misère. "Dans ces ateliers informels, soit on tient la cadence soit on meurt de faim”, explique Ahmed, 14 ans. A "Séfarine”, un quartier occupé par de petites manufactures de vaisselle en bronze et en argent, les enfants constituent encore une fois presque toute l'équipe des ouvriers. Ali a 8 ans. Pourtant il travaille depuis une année déjà. "Je suis payé 60 DH la semaine”, s'exclame-t-il heureux. Il continue : "je suis peut-être un peu mal payé mais je sais que l'employeur va m'augmenter prochainement, en plus je suis beaucoup plus avantagé par rapport à d'autres potes qui ne touchent que 40 DH la semaine”. Non loin de là, des ateliers sont assemblés dans un petit quartier obscur à "Rssif”, de petites fabriques de babouches traditionnelles où les enfants occupent un large pourcentage parmi les ouvriers. Certains n'ont même pas atteint l'âge de 8 ans, pourtant ils "bossent” comme des grands.
"J'aurais aimé avoir plus de temps pour jouer mais, bon, ça me fait plaisir quand même de pouvoir aider mes parents et ma sœur. Je sais que si j'arrête de travailler ma sœur s'arrêtera aussi d'aller à l'école et cela me rendra malheureux puisqu'elle constitue le seul espoir de la famille”, explique Abdou, l'un des dix ouvriers entassés dans une petite fabrique de babouches. Lorsqu'on lui a demandé le niveau d'étude de sa sœur il nous répond avec un sourire innocent : "elle est en première année du primaire mais j'ai confiance en elle, et je sais qu'elle deviendra un jour médecin ou architecte”. Le plus dangereux dans cette situation c'est que les employeurs profitent de l'innocence de ces enfants pour les charger de tâches qui peuvent être très dangereuses. Dans les fabriques de babouches par exemple, les enfants sont exposés aux vapeurs de colle et à la poussière.
Des matières qui peuvent causer, à long terme, des troubles respiratoires. Ceci sans parler des risques d'accidents de travail dans les ateliers et les usines utilisant de grandes machines. On parle encore de l'affaire de Othman Moustakim survenue en 2002 à Fès et tout le monde se souvient de cet enfant qui travaillait dans un atelier de fabrication de chaussures à Sidi Boujida à l'ancienne médina de Fès, et qui avait perdu ses deux mains à cause d'une mauvaise manipulation d'une machine pesant 10 tonnes. Ce jeune garçon qui n'avait que 14 ans lors de l'accident a été malheureusement condamné à vivre avec un handicap pour le reste de sa vie à cause de l'indifférence d'un employeur qui a pris la poudre d'escampette dès qu'il a su que la famille comptait porter l'affaire devant la justice…Néanmoins, la faute n'incombe pas seulement à l'employeur…C'est la faute de toute une société et Othman en paye toujours le prix… ---------------------------------------------------
La législation marocaine
"Le nouveau code du travail protège les enfants par la fixation de l'âge minimum d'admission au travail à 15 ans révolus au lieu de 12 ans (Art 143). Les sanctions à l'égard des contrevenants ont été rendues plus sévères. Et, un projet de loi interdisant le travail pour les moins de 15 ans et réglementant sévèrement le travail domestique pour les plus de 15 ans est en cours d'étude au secrétariat général du gouvernement.
Ce projet de loi fixe l'âge minimum pour le travail domestique à 15 ans révolus, les conditions contractuelles, les mécanismes de contrôle et de protection et les mesures de répression en cas de manquement aux dispositions de ladite loi", déclare Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité. En effet, l'actuel code du travail prévoit plusieurs dispositions relatives au travail des enfants. La loi donne le droit à l'agent chargé de l'inspection du travail de requérir l'examen par un médecin du service public de tous les mineurs salariés de moins de 18 ans pour vérifier si le travail dont ils sont chargés n'excède pas leurs capacités.
Il a aussi le droit d'ordonner le renvoi des mineurs en cas d'avis conforme du médecin à son avis, après examen contradictoire à la demande de leurs parents. Cependant, il très important de faire la distinction entre le travail d'un enfant de moins de 15 ans, interdit par la loi, et le travail des mineurs de plus de 15 ans que le législateur autorise à travailler. --------------------------------------------
Des chiffres alarmants
"L'enfance a droit à une aide et à une assistance spéciale”, déclare le préambule de la Convention internationale des droits de l'enfant que le Maroc a ratifiée en 1993. Au sujet de l'importance de la famille, il ajoute : "l'enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension”. Malheureusement, la réalité est loin de cet idéal.
L'enfant fait l'objet d'exploitation aux quatre coins du monde. Le dernier rapport présenté dans le cadre du programme international pour l'abolition du travail des enfants montre que les chiffres officiels font état de 600.000 enfants employés dans des travaux plus ou moins dangereux au Maroc. Une autre enquête réalisée récemment par l'ONDE sur les employées domestiques au niveau de Casablanca présente des chiffres inquiétants, selon lesquels 60% des petites bonnes sont des filles de moins de 15 ans parmi lesquelles 85% sont analphabètes.
Au niveau de "l'abus sexuel” des enfants, les statistiques sont plus alarmantes. Depuis l'ouverture du centre d'écoute de l'ONDE en 1999, 44% des appels au numéro vert concernent des abus sexuels, lesquels représentent 204 des 732 dossiers de maltraitance ouverts par l'Observatoire. Les agresseurs sont des étrangers à 14,1%, des jeunes à 1,9%, des voisins à 3,3 %, des fonctionnaires dans des instituts d'accueil (orphelinat…) à 10%, des employeurs à 43%, des parents à 17,8% et des proches à 10%. Les auteurs ne sont poursuivis généralement que dans des cas très rares. Néanmoins, ces chiffres si inquiétants soient-ils ne reflètent pas pour autant le nombre exact des enfants faisant objet d'exploitation sexuelle. En effet, l'agression est presque toujours enveloppée de silence car souvent les victimes ne sont pas encore capables de discerner…