L'humain au centre de l'action future

Quand grand-mère racontait...

A trop se préoccuper de la grande histoire d'une cité, on en vient à oublier les petites histoires qui font sa personnalité, voire la singularité de ses habitants, leur parler, leur culture et leur style de vie.

25 Janvier 2008 À 16:35

C'est ce qu'on appelle la mémoire collective, celle qui donne une âme et une structure à la cité. C'est l'objet de ce livre de Hamza Ben Driss Ottmani, dédié à Essaouira, sa ville natale sous le titre bien évocateur «Si Mogador était contée».
Economiste et ingénieur de grandes Ecoles françaises, Ben Driss Ottamani a consacré la ville des alizés deux autres ouvrages dont un beau livre sous le titre «Une cité sous les alizés: Mogador, des origines à 1939». Un récit également intitulé «Le Fils du Soleil».
«Il s'agit d'un travail de préservation d'une partie de la mémoire de la cité», écrit l'auteur, celle à laquelle les historiens consacrent une ligne, quand ils ne la négligent pas tout simplement avec tout le risque de la voir sombrer dans les méandres de l'oubli.

Nous avons compris, il s'agit de petites histoires, plus ou moins vraies, difficilement authentifiables, mais tout aussi singulières où se mêlent des bribes de vérité et beaucoup de merveilleux, qui faisaient le bonheur des petits autour d'une grand-mère dont le don de conteur n'est plus à prouver, du temps où la télé n'existait pas, c'est-à-dire un autre temps, un temps fait de petits plaisirs anodins et pourtant de proportion magique, œuvre de la nostalgie des temps perdus.
Parmi ces petites histoires que nous livre ce Souiri de cœur et de naissance, et qui nous émerveillent autant par leur beauté que par le style raffiné que l'auteur y met, il y a celle de Moumad le fou, un ‘'Majdoud'' comme tant d'autres qui pullulaient dans le pays depuis des siècles, un étrange personnage haut en couleurs, à la fois respecté, voire adulé, mais parfois méprisé et honni.

Poète, diseur de bons et surtout de mauvais augures, il tient surtout le rôle du gardien de la moralité publique. On lui prête des dons de voyant extralucide pour lequel l'avenir n'a pas de secret. N'est-ce pas notre Moumad le fou, qui écumait les ruelles de Mogador, qui prédit l'invasion de la ville par les troupes françaises sous le commandement du colonel Mangin en 1912 ?
Il y a également l'histoire touchante du gouverneur Abdelkader Al Attar, qui démissionna de sa fonction après avoir assisté impuissant au blocus de la cité de 1861 par les navires espagnols, où celle du terrible pacha Mohamed Ben Slimane, qui après avoir tyrannisé les populations durant le règne éphémère de Moulay Yazid et après lui Moulay Slimane, subit sous le courroux du Sultan Moulay Abderrahman qui l'emprisonna, des années durant, dans l'île de Mogador en 1830.

Loin des manigances des puissants, l'ouvrage nous livre également des histoires plus proches des réalités des gens, celles qu'ils se racontaient dans leurs chaumières lors d'une soirée pluvieuse et froide, évoquant des évènements insolites durant les guerres, les périodes de famine, les catastrophes naturelles ou l'apparition d'une baleine échouée sur la plage.
A travers ces histoires, celle de la vieille Mogador, celle des siècles passés, qui dévoile ses secrets et son charme.
Hamza Ben Driss Ottmani en conteur habile, se réfugie derrière une grande tante paternelle, Lalla Aïcha, une veuve joyeuse qui vit de ses rentes et de ses souvenirs des temps passés. C'est elle qui, à travers l'auteur, nous raconte des fragments de la petite histoire de la ville des alizés.

En tout, une vingtaine de tableaux dont la disposition est empruntée à Sacha Guitry dans son film «Si la ville de Versailles m'était contée ». D'où le titre évocateur du livre.
On lira cet ouvrage avec beaucoup d'intérêt mais surtout avec autant de plaisir. On s'émeut, on s'indigne parfois, mais on rit aussi, on touche à l'âme d'une cité, en somme, sans laquelle elle sera toujours étrangère. Vous allez aimer encore plus Mogador…
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Extrait du livre

«…Lalla Aïcha vécut très longtemps avec ses parents et grands-parents maternels. De son père, elle hérita le sérieux et le bon sens, de sa mère, l'humour caustique et le courage. Son grand-père passa dans sa vie sans laisser de traces ni de souvenirs vivaces, sinon eux d'un homme effacé, discret, ayant en quelque sorte vécu en pointillé, dominé par sa femme et qui passait le plus clair de son temps à égrener son chapelet et marmonner des prières. Mais c'est de sa grand-mère maternelle Lalla Amina qu'elle tenait le plus.

Cette vénérable dame, enracinée dans le XIXe siècle, lui avait appris quantité d'histoires et lui avait surtout inculqué l'art de la narration. Quand ma grand-tante se mettait à raconter, toute l'assistance se taisait. On restait extasié et accroché à ses lèvres. Et elle savait beaucoup de choses. Elle était intarissable. Entre deux prises de poudre de tabac, autre héritage de sa grand-mère, elle était capable de débiter tout un épisode d'un récit épique, en tenant son auditoire en haleine durant de longues heures…»
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