Naissance de SAR Lalla Khadija

Le vécu d'une population marginalisée

La tête baissée, l'arcade abîmée par le froid, enveloppé dans une vieille couverture tendue à mi-hauteur, un jeune homme installé dans la rue Omar Slaoui poursuit presque chaque matin les va-et-vient des piétons.

10 Octobre 2008 À 17:14

D'un regard timide, ce jeune vagabond essaie aussi bien que mal de cacher sa misère mais surtout les séquelles d'une nuit froide et solitaire dans la rue. Le cas de ce jeune homme n'est certainement pas le seul. A travers des vieilles couvertures et des pans de cartons, Les Casablancais croisent chaque jour des centaines de visages des sans-abris attristés par le temps, l'oubli et le changement du climat.

Couverts de saleté et de tristesse, ces derniers font désormais parti de la mémoire de la métropole. On les rencontre sur les bancs des jardins, dans les gares routières, devant les immeubles ou dans les terrains nus. La plupart d'entre eux passent leur temps à contempler le mouvement des passants, et suivre les regards des curieux, alors que d'autres cachent leur honte en s'accroupissant à côté des murs et wwdans les vieilles bâtisses.

En cette saison de froid, les sans-abris de Casablanca passent leur temps à changer d'endroits à la recherche de refuge chaud et sûr, mais aussi pour fuir la police, les agressions et le regard de la société. Après chaque rafle, les sans-abris sont souvent conduits au centre Tit Mellil ou dans des associations pour enf ants abandonnés. Cependant, la plupart d'entre eux refusent de s'intégrer et cherchent en permanence à fuir leurs problèmes entre les dédales de la métropole. Il faut dire que la capitale économique compte de plus en plus de sans-abris. Des personnes venant d'autres villes ainsi que les enfants fuyant leurs familles sont les plus concernés par le sans-abritisme. Ces SDF de la ville sont aussi des jeunes et des petits Casablancais détachés de la société. Ils acquièrent, bon gré mal gré, l'immunité contre la faim, la maladie, le froid et l'humidité. Pourtant, ils sont toujours assoiffés de chaleur humaine.

N'importe quel SDF le confirmera, le pavé manque toujours de tendresse. Pour la plupart des sans-abris qu'on a interrogés, vivre dans la rue constitue un pis-aller imposé par la pauvreté et les dissensions familiales. Ils ou elles se réfugient dans la rue pour fuir la brutalité d'une méchante belle-mère, d'un beau père bourreau ou d'un parent négligent.
C'est le cas de Issam, un jeune garçon âgé de 10 ans qui se fait chaque soir une chambre à coucher sous les escaliers d'un immeuble différent. «Mon père est très sévère avec moi. Il me frappe chaque soir et comme ma mère ne peut rien pour moi j'ai préféré me réfugier dans la rue», nous confie avec amertume ce petit bout d'homme. Ce petit sans-abris, se plaint des «attitudes de rejet» qu'il subit de la part des citoyens. «Les gens nous traitent souvent de bâtards ou de "chemkar" alors que certains d'entre nous ont des familles et on a même était à l'école», raconte Issam, les larmes aux yeux.

On voit trop souvent les SDF comme des personnes désocialisées et totalement exclues de la société.
Cependant, ces SDF, sans-abris ou "chemkar" comme certains les appellent ne se retrouvent jamais à la rue par hasard. Il y a toujours une très longue histoire avant, qui remonte parfois jusqu'à l'enfance. Amal, quant à elle, préfère garder son histoire pour elle. Elle se méfie de tout et de tout le monde. Beaucoup d'autres sans-abris ont approché la folie à force de se raconter leur propre vécu.

Les histoires diffèrent d'un SDF à l'autre, mais disons qu'un jour la pression a atteint le point de rupture pour eux et ils se sont trouvés dans la rue. Toutefois, le rêve de retrouver un logement propre ne les quitte jamais. «Chaque nuit j'imagine que je me lèverai le lendemain matin au sein d'une famille qui m'aime et me protège contre les aléas de la vie», nous confie le petit Fouad, orphelin depuis l'âge de 6 ans.

Les pieds gourds, le crâne douloureux, le visage gelé après des journées et nuits entières passées dans la rue, les sans-abris ne rêvent pas seulement d'un logement fixe et d'un repas chaud mais aussi d'une aide qui leur fera oublier une fois pour toutes leur misère.

«Le froid est à l'intérieur de nous. On vit dans la peur et l'attente d'un destin inconnu. A chaque fois qu'il pleut, tout est mouillé, tout se dégrade autour de nous, nos vêtements, notre peau, nos cheveux. On se sent transformé en chiffon, en serpillière humide», déplore cette vielle SDF qui a choisi se réfugier près de la gare Casa Voyageur. Ces sans-abris ou ombres d'humains enveloppées de chiffons ont souvent le corps gisant au-delà de la torpeur et passent souvent leurs nuits à extirper leur peur. Selon la plupart des SDF, notamment les plus jeunes, les sans-abris ne dorent pas dans la rue. Ils sommeillent l'oeil en alerte, en attendant le jour, dans l'odeur d'urine, de sueur et de crasse, avec la peur des violeurs, des rôdeurs, des noctambules, des malfaisants, des rats. Une peur des autres, de soi, de ses cauchemars. La nuit dans la rue, on est nu et transi.
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État des lieux

Selon les chiffres de l'Unicef, il y a plus de 8 millions d'enfants dans les rues dans le monde. A Casablanca, on estime leur nombre entre 5.000 et 7.000. Au Maroc, ils sont à peu près 25.000, selon les associations. Il est difficile d'avoir une visibilité sur ce phénomène. La plupart des enfants passent leur temps à changer d'endroit et de villes.

Au niveau de la cité blanche, ils élussent souvent refuge dans les jardins notamment celui de Sidi Belyout, lieu de regroupement des enfants des rues où ils viennent se débarbouiller le visage, jouer et s‘amuser. On croise aussi les enfants des rues au feu rouge en train de mendier, essuyer les vitres ou vendre des kleenex, du chewingum ou des cigarettes au détail. Chacun a une histoire particulière à raconter. Histoires de misère, d'enfants dont les parents interrompent la scolarité par manque de moyens, enfants qui participent très tôt à nourrir toute la famille. Histoires d'enfants battus aussi, issus de familles en manque de repères vivant dans la pauvreté la plus absolue. Ces enfants sont souvent ramassés par les agents de police, les responsables et éducateurs des centres sociaux et aussi par le Samu social. Ce dernier cible principalement les personnes en détresse vivant dans la rue, à savoir les femmes, les enfants, les handicapés et les personnes âgés de Casablanca.

Le Samu donne priorité aux enfants âgés de moins de 18 ans et les femmes de moins de 25 ans, dont les mères célibataires. L'équipe du Samu va à la rencontre de la population cible là où elle se trouve grâce à des Equipes mobiles d'aide (EMA), qui sillonnent la métropole 24h/24, à bord d'un camion médicalisé et facilement identifiable la nuit, pour repérer les lieux de vie et/ou de regroupement des personnes en situation de rue. Les zones ciblées sont la gare routière de Ouled Ziane, l'ancienne médina, le quartier 2 mars, le marché de gros, le port de pêche, Al Hank, le centre-ville, Derb Omar, Sahat Sraghna et El Fida.
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