Spécial Marche verte

La mortalité maternelle, un fléau persistant

Au Maroc, le taux de mortalité maternelle est de 227 décès pour 100.000 naissances vivantes. Un chiffre noir qui persiste malgré les efforts déployés dans le domaine de la lutte contre ce phénomène.

11 Février 2008 À 16:26

Difficulté d'accès aux soins, absence d'information et de sensibilisation de la femme enceinte, mauvaise qualité de la prise en charge médicale, insuffisance des infrastructures sanitaires, mauvaise répartition du personnel soignant… sont autant de facteurs qui gonflent les chiffres de la mortalité maternelle et infantile, plaçant ainsi le Maroc parmi les pays ayant les chiffres les plus alarmants.
A titre de comparaison, le taux de MM en Algérie est de 180 décès pour 100.000 naissances vivantes. En Egypte, il est de 130, en Tunisie de 100 et en Jordanie de 62.

«La mortalité maternelle est le résultat d'une défaillance de plusieurs maillons d'une longue chaîne qui va de la famille jusqu'à l'hôpital, la réanimation…», avance le professeur Mohamed Miguil, chef du service d'anesthésie réanimation de la maternité Lalla Meryem du CHU Ibn Rochd de Casablanca avant de revenir sur les efforts qui ont été fournis entre 1987 et 1992, et puis
entre 1992 et 1997, et qui ont eu pour résultat une baisse du taux de mortalité de 31%.

Malheureusement, les statistiques de 2003-2004 ont montré que le taux de (MM), qui était de 227, n'a baissé que d'un point par rapport aux données de 1997.
Et le spécialiste de commenter : «Cela veut dire que les efforts déployés n'ont pas vraiment abouti à des résultats palpables, et ce à cause de beaucoup de facteurs : il y a tout d'abord la consultation prénatale qui reste insuffisante. Ensuite, les patientes ne sont pas bien informées sur les risques éventuels de la grossesse et ceux successifs à l'accouchement.

Faut-il rappeler que la grossesse est un phénomène physiologique qui peut, dans certaines situations, dévoiler un certain nombre de maladies (hypertension artérielle, diabète, atteintes cardiaques, problèmes hépatiques, problèmes de reins…)».

La solution serait donc, selon lui, de donner plus d'importance à l'information et d'inciter les patientes à accoucher dans des structures surveillées. Les médecins et les décideurs, doivent, quant à eux, mettre à la disposition des patientes, l'infrastructure propice pour qu'elles puissent accoucher en toute sécurité.
C'est dire que la lutte contre la MM est la responsabilité de tous. Elle interpelle les différentes instances gouvernementales, mais également la société civile.
Ces recommandations et bien d'autres ont été émises lors d'un débat qui a été organisé dans le cadre du 26e congrès de gynécologie obstétrique.
Les intervenants ont été unanimes à reconnaître l'insuffisance des stratégies antérieures et ont insisté sur la nécessité d'accélérer la cadence pour lutter contre ce problème de santé publique. «Nous ne sommes pas dans une logique de continuité qui consiste à répondre à des besoins en fonction des moyens. Il s'agit d'un problème majeur qui est lié aux droits humains.

C'est pour cette raison que depuis l'avènement du nouveau gouvernement, Mme Yasmina Baddou, ministre de la Santé, a placé la lutte contre la MM comme deuxième priorité de son ministère.
Dans ce sens, elle a mobilisé une commission nationale qui a pour mission de lui proposer un plan d'action susceptible de réduire la MM de plus de 3/4 d'ici 2012. Celle-ci se réunira, le 21 février, pour finaliser les propositions, qui ont été débattues, en vue de les soumettre à Mme la ministre», a dévoilé Abdelali Belghiti Alaoui, directeur des hôpitaux et des soins ambulatoires.

Parmi les points sur lesquels se penche ce plan, figurent les problèmes liés à l'accès aux soins obstétricaux pour les populations défavorisées, surtout dans les régions rurales. En plus de la nécessité de doter ces zones, non couvertes,
d'infrastructures sanitaires plus décentes, le programme propose d'adopter une stratégie mobile qui consiste à aller vers les patientes pour les sensibiliser et les informer.

«Il faudrait également revoir la question de la barrière financière. Aujourd'hui, bien que l'indigente ne paye pas dans les hôpitaux pour accoucher, elle n'a pas une interaction positive avec les établissements de soin. Elle a, partant, besoin d'être rassurée que lorsqu'elle va recourir à ces structures, elle sera prise en charge.
Il faut que le message soit clair. Pour ce faire, on pourrait opter pour des forfaits obstétricaux, ou proposer la gratuité pour l'accouchement mais aussi pour la césarienne lorsque la femme en a besoin, même si elle coûte beaucoup plus cher. Il faut faciliter l'accès financier à la césarienne, pour les populations rurales qui n'ont pas les moyens», préconise A. Belghiti.

Il est un autre acte important sur lequel insiste le plan national, à savoir celui de la surveillance. D'où la nécessité de mettre en place un système de surveillance et de déclaration qui oblige les autorités et les pouvoirs publics à déclarer les décès maternels pour que les responsables puissent identifier la cause du décès et la cibler dans la lutte. Cela leur permettra également de développer un registre national sur les décès. Car, les autorités connaissent juste les quelques 300 décès qui surviennent dans les hôpitaux.

Autour de ces deux principales actions, des efforts vont être fournis pour améliorer la qualité de la prise en charge et reconsidérer les effectifs des ressources humaines. A côté, un texte de loi sera proposé pour renforcer l'arrêté qui vise à compenser les consultations de la femme enceinte.
Il concerne la prise en charge des consultations après l'accouchement, vu qu'une proportion importante de décès survient après.
Cette panoplie de bonnes pratiques devrait arriver à un taux de 50 décès pour 10. 000 d'ici l'horizon 2012, 2015. Un objectif qui reste difficile à atteindre, selon le Pr Miguil, vu la gravité de la situation actuelle. «On peut approcher les 100 pour 100 000 naissances vivantes», précise-t-il.
Encore faudrait-il traduire les recommandations en actes.
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Une lutte sur deux fronts

Parmi les 10 objectifs du millénaire, figure la lutte contre la mortalité maternelle et la pauvreté. Ce qui veut dire que le lien est direct entre le développement et la mortalité chez la femme et l'enfant. L'UNICEF utilise la mortalité des moins de 5 ans comme principal indicateur pour classer les pays en termes de développement.

«Ce qui parait logique, puisque pour régler le problème de la mortalité maternelle et infantile, il faut toucher à pas mal d'autres secteurs déterminants. Ceux directement liés à la santé et la médecine mais également ceux d'ordre social, ou liés à la pauvreté, à l'alphabétisation, à l'éducation…
Lorsqu'on a un chiffre réduit de mortalité maternelle et infantile, on peut dire que le pays est développé. C'est pour cela que les pays développés, comme la France, l'Espagne, voire tout l'Occident ont des chiffres de moins de 10 pour 100.000 alors que nous avons 227 pour 10.000», affirme A. Belghiti Alaoui.
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