Casablanca la grande… Casablanca l'ambivalente. Une fois de plus la métropole nous épate avec l'une de ses figures contradictoires.
LE MATIN
05 Juin 2008
À 16:18
Au-delà de ses «Hammer» et berlines dernier cri, elle nous offre une époustouflante image d'un éternel mode de transport: Les CHARRETTES. Très «pratiques» et extrêmement bon marché (2 Dh au grand maximum), les «taxis charrettes», comme leur nom l'indique, sont des attelages tirés par des chevaux ou des ânes.
A Casablanca, et surtout, au niveau du Boulevard Mohamed VI, Bd Driss El Harti ou encore Boulevard Al-Qods, impossible de ne pas croiser une panoplie de ce modeste moyen de transport tant apprécié par une certaine catégorie des Bidaouis. Des adeptes qui le préfèrent aux autres moyens de déplacement en dépit de son manque de sécurité. Est-ce une simple question de choix, de moyens financiers, ou tout simplement de disponibilité. Témoignages. 12h00 : Place Lkriaa. A quelques mètres du grand souk, une dizaine de charrettes se bousculent anarchiquement pour embarquer les clients. Ici, les charrettes bâchées servent au transport en commun, elles sont prisées par les employés et par les femmes qui vont au marché.
«Je ne peux pas faire monter mon couffin dans le bus, il risque d'être renversé à cause de la bousculade, et en même temps, je n'ai pas les moyens de me payer un petit taxi, le montant de la course est équivalent à un quart de kilo de viande. Quant aux grands taxis, ils restent aussi trop chers pour moi. Donc je préfère prendre la charrette dont les frais de transport ne dépassent pas 1.50 dh» En effet, très peu onéreux, ce mode de déplacement est extrêmement pratique pour joindre certains quartiers casablancais, adjacents au Bd Mohamed VI. Il s'agirait du quartier Sidi Othman, Hay Mabrouka ou encore Hay Sadri et même à Lhraouiine.
Ceci dit, une autre catégorie de casablancais s'est rabattue sur les «taxis-charrettes» pour d'autres raisons: En l'absence de véhicules de transport en commun dans les quartiers lointains, et face aux tarifs excessifs des taxis (entre 6 et 7 dhs) ces adeptes réalisent que l'essentiel était d'arriver à destination sans s'épuiser dans une longue marche à pied.
C'est le cas de Touria, secrétaire dans un cabinet d'avocat: «J'habite à Lhraouiine, je me lève à 7h00 pour pouvoir être à mon travail à 8h30. Je n'ai aucun autre choix. Car ici, le manque de taxis à cette heure ci, est flagrant. Les bus n'en parlons pas, entre ceux qui ne s'arrêtent pas et d'autres qui ne sont jamais là lorsqu'on en a besoin, l'anarchie bat son plein. Donc pour moi, le moyen le plus sûr pour arriver est de prendre la charrette jusqu'au boulevard où les grands taxis sont plus disponibles», dit-elle avec déception. Elle rajoute: «En tout cas, pour moi, ce n'est pas un choix. Je subis cette pression chaque jour. Là, maintenant, il n'y pas de problème, car il commence à faire beau. Mais en hiver, la situation est dramatique! J'arrive souvent au bureau toute mouillée».
Ainsi, pour remédier à ces petits ennuis, les cochers ne manquent pas d'idée: Pour attirer les clients, les propriétaires s'efforcent d'embellir le véhicule par des ornementations diverses. Aussi, ils dotent leurs charrettes d'arceaux recouverts de toile cirée ou de bâches pour protéger les clients du soleil ou de la pluie, ces carrioles sont équipées de banquettes plus ou moins confortables.
Brahim, 18 ans, est cocher d'un taxi-charrette depuis 4 ans. Dans sa carriole pleine de femmes en ce jour de souk, il explique : «Il n'y a pas que les femmes qui nous sollicitent. Il y a également des hommes, mais surtout des petits ouvriers qui ne peuvent pas se permettre de payer une course en taxi». Cependant, Brahim, tout comme ses autres collègues, est loin d'accepter de transporter tout type de marchandise. «Je ne transporte pas tout bien sûr. Je refuse la marchandises trop lourde, les déchets, les meubles, les morceaus de bois ou de fer tranchant et…le poisson…ça laisse une mauvaise odeur derrière », rajoute-t- il en riant.
Aussi, même si le travail de Brahim est en quelque sorte anarchique, ce jeune cocher s'est fixé quelques règles sécuritaires : «Ma journée commence à 7h00 du matin et se termine à 18h00. Je refuse de travailler lorsque le soleil est couché. Ceci met non seulement ma vie en danger, mais aussi celle de mon équipage. Car ma charrette n'est pas dotée de feux signalétiques». Un minimum sécuritaire? Est ce suffisant? Etonnant, car que faire si un accident arrive en pleine journée? Que faire si la mule ou le cheval fonce vers un bus? Que faire si des cas de blessures ou carrément de mort se présentent ? «Allah Lhafid» (que Dieu nous garde), se contente de dire Brahim.
Là dessus, nous sommes bien d'accord, mais il vaut mieux prévenir que guérir. Certes, il est inadmissible de dire qu'il faut supprimer ce moyen de transport insécurisé, qui, qu'on le veuille ou non, répond au besoin d'une tranche sociale face à la cherté de la vie, mais il est tout a fait raisonnable d'essayer de trouver une formule sécurisante pour les utilisateurs des «taxi-charrettes». A bon entendeur salut! ---------------------------------------
Les taxis à Casablanca
Dans le Grand Casablanca on ne compte pas moins de 5.265 grands taxis blancs et 7.703 petits taxis rouges qui travaillent, pour la plupart, 24 heures sur 24, au rythme de 8 heures par chauffeur. Ces derniers sont détenteurs d'un permis dit «de confiance», délivré par les examinateurs de la wilaya aux personnes répondant à des critères précis. En outre, le candidat à l'examen du permis de taxi doit être âgé de plus de 25 ans, avoir un permis catégorie tourisme depuis au moins 5 ans, un casier judiciaire vierge, et justifier qu'il n'occupe pas d'emploi rémunéré.
Pour garder à l'octroi du permis «de confiance» son caractère social, les autorités tentent de moduler le nombre de permis avec le nombre de taxis en circulation, à raison de trois permis pour un agrément de taxi afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande sur ce pan du marché du travail. Ainsi, malgré toute cette volonté affirmée plusieurs fois par les autorités de la ville d'assainir cette activité, des problèmes demeurent. Car, au caractère social du permis «de confiance», s'ajoute le délicat problème de l'agrément qui est la base et le pilier sur lequel repose tout le système.