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«Résorption des bidonvilles, quel accompagnement social ?»

L'Institut CDG a organisé récemment et conjointement avec l'Institut CDC pour la recherche de la Caisse des dépôts et consignations (Paris) et le Laboratoire population environnement développement (Université de Provence, LPED - Marseille) une journée d'étude sur l'habitat social durable : gouvernance urbaine, ingénierie sociale et mécanismes de financement, regards croisés Maghreb-Afrique de l'Ouest. Entretien.

11 Juin 2008 À 16:05

Le Matin : Dans le contexte du Programme "Villes sans bidonville" (PVSB), de nouveaux instruments d'ingénierie sociale sont expérimentés. Quels sont-ils ?

Julien Le Tellier :
Il s'agit tout d'abord de l'accompagnement social pour favoriser la participation des habitants aux opérations de recasement et de relogement et des mécanismes de financement tels que le Fogarim et le microcrédit pour faciliter la participation marchande et l'accès au logement des populations défavorisées.

On évoque la maîtrise d'ouvrage social, un concept à la fois simple et complexe. Qu'en est-il concrètement ?

Dans une situation difficile, il faut informer et assister. Face aux déficits d'intermédiation sociale dans les opérations de résorption des bidonvilles, l'évaluation pilotée par la sociologue Françoise Navez- Bouchanine de 1999 à 2001 débouche sur la notion de Maîtrise d'ouvrage social (MOS). La MOS peut être déléguée à des tiers dits opérateurs sociaux à qui sont confiées des missions d'accompagnement social. Celles-ci consistent à informer les bidonvillois et à les assister dans toutes les étapes du transfert des baraques vers les nouveaux lieux de vie. Pour prendre un exemple concret, je dirai que les opérateurs techniques de l'habitat, notamment Al Omrane, passent des contrats et signent des conventions avec les opérateurs sociaux, tandis que les autorités régulent le dispositif d'accompagnement social à l'échelle locale. 58 000 ménages sont concernés, soit environ 20 % du PVSB, répartis dans une vingtaine de projets sur un total de 250 actions lancées dans le PVSB et plus de 1 000 bidonvilles au Maroc.

On parle de déficits des agents de développement. Quel est le travail des opérateurs sociaux qui à leur manière sont aussi des agents de développement et avec qui travaillent-ils sur le terrain ?

Dans les faits, les opérateurs sociaux sont souvent assimilés à des facilitateurs, des agents délégataires, des relais auprès de la population, des intermédiaires entre les habitants et les pouvoirs publics. Il faut néanmoins remarquer le caractère organisationnel innovant et transparent de tels dispositifs qui permettent de rompre avec certaines pratiques clientélistes. Par exemple, pour l'attribution des lots de recasement et de relogement, les séances de tirages au sort des numéros de lots sont aujourd'hui réalisées devant témoins, alors qu'elles étaient auparavant effectuées à huis clos. Les opérations de résorption des bidonvilles impliquent divers acteurs : Al Omrane, opérateurs sociaux, représentants de l'Etat, élus locaux, associations, etc. La répartition des responsabilités et du pouvoir entre les différentes parties prenantes des projets d'habitat social pose de multiples défis. La mise en œuvre de cette gouvernance est complexe, notamment dans la démarche auprès des élus locaux qui sont très attentifs aux «bassins électoraux » car un transfert de population peut correspondre à une perte d'électeurs potentiels. Les élus locaux estiment ne pas être suffisamment impliqués dans la mise en œuvre des projets d'habitat social alors qu'ils auront à en gérer les « dégâts », quand les opérateurs techniques et sociaux se seront retirés (le temps post-opération). D'ailleurs, le PVSB semble victime de sa propre logique : les contrats de ville prévoient l'implication des communes, mais les budgets municipaux permettent difficilement aux collectivités locales de tenir les engagements pris dans ces contrats. Plus largement, les représentants élus se sentent dépossédés par les autres acteurs – et en particulier par les accompagnateurs sociaux – d'une partie de leurs fonctions habituelles de règlement des problèmes locaux.

Dans les opérations de recasement à grande échelle, on constate plusieurs étapes, avec des hésitations et parfois des renoncements, face à la peur de ne pas pouvoir assumer les nouvelles charges. Qu'en est-il ?

On observe très souvent un temps de maturation de quelques mois après le lancement d'une opération de recasement avant d'obtenir les premiers résultats. Ensuite, il y a un effet d'aubaine : les personnes qui disposent des moyens économiques et qui adhèrent au projet vont rapidement monter leur dossier d'attribution, acquitter leur participation financière, démolir leur baraque et bâtir leur nouveau logement. Puis, il y a un premier palier et le rythme des démolitions ralentit : au bidonville, il reste les personnes récalcitrantes, les familles en situation de grande précarité et celles qui attendent d'avoir accès aux mécanismes de financement. Si les crédits logement deviennent accessibles, alors la situation est débloquée et on assiste à une relance. Enfin, il reste toujours un seuil incompressible de personnes qui refusent de déménager, ainsi que les individus dits «insolvables absolus». La dimension financière du côté des habitants est donc centrale.

Quels sont les nouveaux outils financiers pour faciliter l'accès au logement des populations défavorisées ?

Le Fonds de garantie en faveur des populations à revenus irréguliers ou/et modestes (Fogarim) permet d'obtenir un crédit immobilier auprès des banques. La garantie assurée par l'Etat couvre 70 % des montants des prêts plafonnés à 200.000 Dirhams, avec des mensualités de 1.500 DH maximum. Le prêt d'une durée maximale de 25 années peut couvrir jusqu'à 100 % du projet. C'est la première fois au Maroc qu'un outil financier d'accès à la propriété est réservé à ce type de clientèle. Si le Fogarim connaît aujourd'hui une forte croissance (environ 32 000 clients en février 2008), plusieurs limites sont identifiées pour les opérations de résorption des bidonvilles. Par exemple, 80 % des crédits Fogarim ont des échéances de remboursement supérieures à 1.000 DH, ce qui est trop élevé par rapport aux capacités de remboursement des bidonvillois. De plus, les habitants des bidonvilles n'ont pas l'habitude des banques et les banquiers ne connaissent pas cette clientèle potentielle. Toutefois, des projets portant sur plusieurs milliers de ménages sont susceptibles d'intéresser les banques qui peuvent réaliser des économies d'échelle avec un produit standardisé, notamment pour les opérations de relogement, par exemple dans la nouvelle ville de Tamesna. Ensuite, plusieurs associations de microcrédit se positionnent sur le créneau des prêts au logement et souhaitent s'impliquer dans les projets d'habitat social. L'articulation entre le microcrédit et les opérations de résorption des bidonvilles est totalement inédite, mais la «solution microcrédit » reste difficile à mettre en œuvre pour ce type de clientèle et de projet. L'offre et la demande ne se rencontrent pas comme on l'attendait initialement et cela traduit à la fois un décalage entre les services proposés et les besoins des ménages bidonvillois, mais aussi une distance entre le monde des bidonvilles et celui de la (micro)finance. Dans les opérations de recasement, la demande de crédit au logement est forte et les attentes sont importantes de la part des bénéficiaires : achat de la parcelle subventionnée (environ 20.000 DH), construction du nouveau logement (au moins 40.000 DH pour une unité de base avec les fondations, et bien souvent plus de 100.000 DH au total), etc. Or l'équation est d'autant plus difficile à résoudre que les capacités de remboursement sont estimées entre 300 et 600 DH par mois, avec le « haut du panier » qui peut assumer des mensualités de 1.000 DH. Le financement demeure donc un problème central dans les projets de recasement et le microcrédit y répond difficilement.

Pour quelles raisons ?

Les montants sont souvent inadéquats : plafond fixé à 50.000 DH par la législation, alors que les besoins sont supérieurs. Les personnes ont besoin de beaucoup et d'un seul coup, or les microcrédits portent sur des petits montants. Les bidonvilles représentent une prise de risque pour les associations de microcrédit : nouveau produit dans un secteur peu familier, clientèle nouvelle avec une faible capacité de remboursement et peu de garanties. Les institutions de microfinance sont tenues de respecter la réglementation : l'investissement d'une nouvelle niche ne doit pas remettre en cause leur équilibre comptable. Il y a une autre raison importante les associations de microcrédit pratiquent des taux d'intérêt élevés, généralement plus du double par rapport aux banques.
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