Pourquoi des vieilles médinas comme celles d'Asilah ou d'Essaouira sont de véritables petits trésors, propres et bien entretenus, tandis que notre «Bab Marrakech» ressemble à une décharge publique.
LE MATIN
08 Mai 2009
À 15:36
La faute à qui ? Et que faire pour changer la donne ? Et cette piteuse dégradation dont est victime «Bab Marrakech » est-elle réversible ? Ou est-ce hélas trop tard ? Pour certains, comme pour Leila Tounsi, la réponse ne fait pas de doute, il est trop tard, car ce quartier est, selon elle, «sacrifié!». Habitante du quartier depuis bientôt cinq ans, elle a emprunté à la banque la moitié du prix de son nouveau logement, un petit deux-pièces. Mais pour elle la situation est insupportable tant par rapport à l'abandon des pouvoirs publics, que par rapport aux relations entre riverains. «J'ai conscience que nous sommes mal acceptés par les anciens habitants, car on nous pointe du doigt pour ce qui est de la dégradation de ce quartier. Nous y sommes pour rien. Les éboueurs ne font pas leur travail, les responsables de voirie non plus, et les élus locaux s'en fichent !», affirme Leila. «L'ambiance est devenue tout simplement infernale au fil des années : bagarres, insultes entre voisins, odeur pestilentielle dans la rue, absence d'éclairage public… », ajoute un autre habitant de Bab Marrakech .
Après de tels témoignages, on comprend plus facilement pourquoi la physionomie de ce quartier historique de Casablanca comme tant d'autres a changé à ce point. «Tous les anciens du quartier sont partis», s'exclame avec colère Taïeb Hocine, qui a hérité d'une vieille demeure familiale vers Bab Jidi. «Il ne reste que très peu d'anciens ici, les plus riches sont partis, et les plus pauvres qui n'ont pas assez de quoi acheter un meilleur logement y sont restés! Et les nouveaux venus apportent avec eux leur part d'ignorance, d'illettrisme et d'incivilité… Je ne reconnais plus mon quartier», déplore-t-il. Pour d'autres encore, la vision de ce bouleversement est à prendre avec philosophie à l'image de Hamid, maroquinier de père en fils, depuis des générations : «Le monde change et nous devons l'accepter, mais aussi la nouvelle physionomie démographique de ce quartier ! Ce n'est pas ces nouveaux arrivants que nous devons tenir pour coupables de la marginalisation de ce quartier historique, mais bel et bien les élus locaux qui manquent à leurs devoirs!».
«Il faut savoir que l'entretien d'une zone, comme l'ancienne médina, est très difficile. Cela demande un budget considérable et aussi un savoir-faire qui doit être partagé entre la ville et les citoyens», explique un responsable communal. Et d'ajouter que "plusieurs initiatives ont été menées en collaboration avec des associations locales afin d'améliorer la situation sur place". Une chose est sûre, il est bien loin le temps du Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah qui avait décidé de restaurer la vieille médina de Casablanca au 18e siècle déjà, en rénovant son Mellah et ses murailles, mais aussi en la dotant de puissants remparts et tours de garde !
Visionnaire qu'il était, le Sultan savait que la ville blanche intègrerait un jour les circuits d'échanges économiques en Atlantique, d'où l'instauration d'une douane permanente à partir de 1836 ! Et aujourd'hui, trois siècles plus tard où en est-on ? N'en déplaise aux riverains, l'ancienne Médina continue de péricliter. Enième sonnette d'alarme, cette dernière agonise lentement, mais sûrement sans que les élus locaux ne s'en soucient… Un spectacle désolant: des milliers de détritus, ordures et autres immondices jonchent le sol. Des odeurs fétides vous envahissent et d'un coup vous êtes réellement en train de traverser une décharge publique ! D'un côté on vous vante les hauts lieux historiques et pittoresques version «carte postale» pour promouvoir le tourisme, mais d'un autre côté voici le triste et sordide spectacle que des touristes du monde entier vont garder comme image de Casablanca! ----------------------------------------------------------------------
L'ancienne Médina d'antan
La veille du Protectorat, la cité n'est qu'une petite ville, répartie en trois quartiers distincts : la Médina. C'est ce site que Sidi Mohammed Ben Abdallah a choisi de ressusciter et de fortifier au 18e siècle. Située sur la partie Est et Nord-Est de la ville, elle abritait bâtiments administratifs (tribunal, douane, consulats étrangers) et demeures citadines (résidences du gouverneur, des fonctionnaires et des principaux commerçants de la ville). Sa topographie est conforme au type urbain de toutes les médinas. Elle est traversée de ruelles plutôt que de rues, elle compte des impasses au lieu des places et elle a une structure compacte, concentrique plutôt que celle linéaire. Le Mellah, situé au Sud et Sud-Ouest de la ville, accueillait la population juive marocaine. Il n'en subsiste actuellement qu'une petite minorite, contiguë à la médina. Aujourd'hui, des associations de sauvegarde du patrimoine, comme Casa Mémoire, s'inquiète sérieusement pour Bab Marrakech.