Chocolat amer avec «Two lovers»
Émouvant à en bouleverser, profond à s'en perdre et romantique à en désespérer… c'est le dernier film signé par le maître James Gray.
LE MATIN
28 Mai 2009
À 16:04
«Two lovers», une production de 2008 arrive enfin sur nos écrans pour le plaisir des fans du réalisateur et de son acteur fétiche Joaquin Phoenix. Un deuxième film qui réunit les deux artistes amis après l'inoubliable «la nuit nous appartient» et qui confirme par la même occasion cette alchimie bien visible qui existe entre les deux.
Un homme marche vers son destin avec des pas lourds… tellement lourds que ça laisse présager un malheur, un corbeau se lance dans une envolée furtive tandis que l'homme continue sur son avancée troublante. Il finit par se jeter à corps perdu au fond de la mer tout en replongeant dans le passé. On revivra avec lui les moments d'un destin… le sien, celui de sa famille et des deux femmes qui ont partagé son cœur. C'est avec ces images intenses que James Gray commence cette histoire d'amour qu'il va raconter sur un ton bien intime. Une histoire ou plutôt des histoires d'amour qui se construisent comme une suite qui n'est pas logique. Lénorad campé par le sublime Joaquin Phoenix est un homme qui survit avec mélancolie. Il vit toujours avec sa famille dans un appartement new-yorkais.
Ses parents décident sa vie à sa place et lui présentent Sandra, interprétée si subtilement par Vinessa Shaw. Une fille de bonne famille sans histoires qui semble arranger Léonard jusqu'à sa rencontre foudroyante avec sa pétillante voisine Michelle, portée par la talentueuse Gwyneth Paltrow. Comme une tempête d'été, la belle voisine arrive dans la vie du jeune homme à l'improviste pour tout bouleverser sur son chemin y compris son cœur. Tiraillé entre son amour naissant et grandissant et sa raison qui s'accroche tout de même à Sandra, Lénorad va vivre ce dilemme déchirant dans la détresse. Ceux qui l'entourent ne vont pas lui arranger les choses, au contraire la situation est plus que compliquée vu que les personnages de Gray vivent dans une ambivalence bien affectée. Si Sandra aime Léonard, celui-là aime Michelle et celle-là adore un autre homme qui est, lui, marié et a un fils et qui aime sa famille par-dessus tout… des destins tragiques qui se croisent dans une sorte de jeu désespérément ironique. Ce ne sont pas là «Two lovers», mais une multitude d'âmes amoureuses rongées par un espoir empoisonné.
Inspiré par la majestueuse nouvelle de Dostoïevski «Les nuits blanches», le film de James Gray reste fidèle au squelette de l'histoire d'origine et nous montre la beauté d'un sentiment naissant, l'intensité d'une émotion ultime et la violence de la désillusion. Le visage si expressif de Joaquin Phoenix, comme un miroir limpide, reflète toutes ces émotions contradictoires qui traversent le cœur de Léonard. Son regard s'embrume, s'illumine, s'assombrit selon les offrandes du destin de son personnage. Tantôt déchiré, tantôt enthousiaste, plutôt paisible… Léonard n'aurait pas rêvé un meilleur acteur pour porter son costume lourd. Phoenix a confirmé encore une fois sa préférence ou plutôt son grand talent à endosser les rôles complexes à volonté. Ses rôles inoubliables dans «Gladiateur», «La nuit nous appartient et «Walk the line» ne laissent aucun doute sur la valeur de cet acteur redoutable. Le réalisateur de «Two lovers», bien conscient de cette vérité, lui a donné là une bonne matière à travailler, à transcender sur l'écran. Un personnage noyé jusqu'au cou dans ses engagements familiaux trop occupé à faire plaisir aux autres pour écouter son âme.
Quand il décide enfin de «se faire plaisir» et d'aimer librement, il percute des obstacles infranchissables. Lui rendre son amour… Michelle n'en est pas capable étant elle-même prise dans les filets dans un sentiment sans retour avec un autre homme. La scène qui réunit Michelle et son amant tandis que Léonard les lorgne, impuissant, depuis sa fenêtre résume le fond de cette situation tragique. Les personnages de «Two lovers» brillent par leur acharnement à s'auto-détruire, à se déchirer. La caméra de Gray, trop sensible à ses chagrins en série, va
les peindre, les rapporter, les mettre en scène et en rapprocher dangereusement le spectateur… à tel point qu'on aura l'impression d'étouffer avec eux sous le poids de la déception et du désespoir. «Two lovers» est une romance au goût amer qui change des histoires d'amour à l'eau de rose que Hollywood a l'habitude de nous servir sur des tons bien légers. En ressortir intacts, c'est possible ! Mais sans toutefois rester indifférents devant toute la charge émotionnelle de ce beau film.
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La façon de le dire
Les mots, les répliques qui se mettent dans les bouches des personnages prennent les allures de confidences, de matérialisation de tous ces sentiments complexes et insaisissables. Le fond musical donne au film cette dimension mélancolique parfois même tragique. La scène de la piste de danse où Léonard se libère de ses démons et laisse éclater sa joie de vivre est un clin d'œil subtil qui rappelle les préférences esthétiques d'un réalisateur habitué à plonger dans l'univers de la Mafia. C'est une scène qui revient souvent dans ces rares films (trois en tout). La violence des émotions, l'éclatement des corps et des désirs, la libération de l'âme de ses limites… Gray a l'habitude de servir cela sur une piste de boîte de nuit, lieu de toutes les possibilités. Léonard y laisse voir et «faire» son amour pour cette copine si particulière qui a changé brusquement de statut à son insu.